Le gouvernement devra prolonger dans les deux prochaines semaines le mandat du général Joseph Aoun à la tête de l’armée, sinon c’est le Parlement qui prendra le relais.

Le dossier de la prolongation du mandat du commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, est en bonne voie de règlement, grâce à un quasi-consensus national qui s’est dégagé autour de la nécessité du maintien de ce dernier à la tête de la Troupe alors que le Liban risque de glisser dans une guerre qu’il n’a pas choisie.

La fumée blanche est sortie de Aïn el-Tiné, lundi, à la faveur d’une réunion du bloc parlementaire des Forces libanaises, conduite par le député Georges Adwan, avec le président de la Chambre, Nabih Berry.

C’est le gouvernement qui est censé prolonger le mandat du général Aoun, l’armée relevant du pouvoir du Conseil des ministres, conformément à l’accord de Taëf.

Selon les explications de M. Adwan à la presse, M. Berry a affirmé vouloir attendre deux semaines, pour donner au gouvernement le temps de régler ce dossier. Au cas où les ministres proches du chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, farouchement opposé à Joseph Aoun, feraient obstacle à cette prorogation (le ministre de la Défense, Maurice Slim, qui est censé la présenter, est proche du CPL), le Parlement est prêt à prendre le relais.

Nabih Berry s’est engagé auprès de la délégation FL à convoquer en décembre une réunion parlementaire dont l’ordre du jour comprendrait, en tête de liste, la proposition de loi FL revêtue du caractère de double urgence, portant sur l’amendement du mandat du général Aoun.

L’importance de la réunion de Aïn el-Tiné et des explications de M. Adwan résident dans le fait qu’elles témoignent du consensus national autour de la nécessité de maintenir le général Aoun à la tête de l’armée et, surtout, du feu vert du tandem chiite à la prolongation souhaitée.

La raison d’État 

La position de Nabih Berry, lundi, est à l’antipode de celle qu’il avait adoptée lorsque le bloc des FL avait soumis au Parlement, fin octobre, sa proposition de loi portant à 61 ans, au lieu de 60, l’âge de la retraite des commandants en chef de l’armée. Le président de la Chambre avait alors critiqué l’initiative des FL, qui boycottent depuis un an toutes les réunions parlementaires en l’absence d’un chef de l’État, leur reprochant "une législation à la carte".

Ce consensus autour du maintien du commandant en chef de l’armée à son poste et de la nomination d’un nouveau chef d’état-major de l’armée, pour compléter le conseil militaire, est motivé par le principe politique de la raison d’État, en ces circonstances exceptionnelles que traverse le Liban.

Même le chef des Marada, Sleiman Frangié, qui avait exprimé une opposition de principe à une prolongation du mandat du commandant de l’armée, lors de son entretien avec Gebran Bassil, a fini par se rétracter. Le changement de position de M. Frangié, lui-même candidat à la présidence de la République, s’explique par le fait qu’il ne souhaite pas créer de précédent en ouvrant la voie – s’il s’oppose à une rallonge du mandat Aoun – à la nomination d’un nouveau commandant de l’armée en l’absence d’un président de la République.

Au Liban, l’usage veut que le chef des forces régulières soit choisi par le président de la République, considéré, conformément à l’accord de Taëf, comme le chef suprême des armées, lesquelles sont cependant soumises au pouvoir politique du Conseil des ministres.

Le délai de deux semaines, annoncé par Aïn el-Tiné, est supposé donner au chef du gouvernement le temps d’œuvrer pour un consensus au sein de son équipe. Avec l’aide de Nabih Berry et, éventuellement, du Hezbollah, dans le but d’éviter une nouvelle crise dans le pays et, surtout, de couper l’herbe sous les pieds de Gebran Bassil. Ce dernier, s’il veut aller jusqu’au bout de son opposition, risque de recourir aux outils constitutionnels ou administratifs pour faire valoir sa politique de blocage, laquelle, dans sa logique, prime sur l’intérêt général.

De blocage en blocage

En décembre 2021, le chef du gouvernement, Najib Mikati, soumis à une forte pression aouniste pour licencier le gouverneur de la banque centrale de l’époque, Riad Salamé, avait réagi en avançant un argument sans appel: "On ne change pas d’officiers en période de guerre". Le Liban s’enfonçait alors dans une crise financière et économique sans précédent, mais le chef du CPL y avait vu une opportunité pour essayer de hisser un de ses proches à la tête de la Banque du Liban, avant la fin du mandat de son beau-père, l’ancien président Michel Aoun.

Deux ans plus tard, c’est le même scénario qui se répète et pour les mêmes motivations opportunistes. Seule la cible a changé pour M. Bassil qui place aujourd’hui dans son collimateur le commandant en chef de l’armée, un des candidats les plus sérieux à la présidence de la République, et qu’il perçoit de ce fait comme un adversaire redoutable. A la différence de 2021, cependant, le Liban se trouve aujourd’hui dans un état de guerre non déclarée, avec l’ouverture du front sud, parallèlement à la guerre entre Israël et le Hamas à Gaza.

L’argumentation des FL

L’opportunisme de Gebran Bassil – à différencier du CPL, puisque plusieurs députés et cadres de ce parti sont favorables à une rallonge du mandat du général Joseph Aoun – a été mis en relief par les Forces libanaises au moment où la délégation de leur bloc parlementaire était reçue à Aïn el-Tiné.

"Nous savons parfaitement que le moment n’est pas aux polémiques politiques, et que la priorité est à empêcher une guerre vers laquelle le Liban est malheureusement en train de glisser petit à petit, mais le chef du CPL, Gebran Bassil, a dépassé toutes les limites dans une affaire qui a trait à la sécurité nationale", ont souligné les FL, dans un communiqué publié par leur département d’information.

"Le député Bassil prétend avoir une position constante et de principe lorsqu’il exprime son opposition (à la prolongation du mandat du commandant en chef de l’armée), alors que tout le monde sait que sa position n’est ni constante ni de principe, parce que la seule constante qu’il connaît se rapporte à ses seuls intérêts", affirme le communiqué FL qui a rappelé comment Gebran Bassil "a fait exception à ses positions dites de principe, alors qu’il boycottait les réunions législatives en l’absence d’un président, pour voter en faveur d’une rallonge du mandat des conseils municipaux et barrer ainsi la voie à des élections municipales" dont les résultats n’auraient pas été en sa faveur.

"Gebran Bassil affirme qu’une prolongation du mandat du chef de la Troupe ne fait pas partie de ce qui est considéré comme une législation d’urgence, contrairement, selon lui, à celle du mandat des conseils municipaux," ont dénoncé les FL, en rappelant que la tenue du scrutin était pourtant primordiale, "pour suivre les dossiers intéressant directement la population alors que près de la moitié des conseils municipaux sont dissouts".

Le parti de Samir Geagea a aussi mis en relief le lien entre la hiérarchie militaire et l’efficacité des forces régulières. "Changer le commandement de l’armée en cette période critique alors que la guerre frappe à nos portes, que la vacance à la tête de l’Etat persiste, et à l’ombre d’un effondrement économique, expose le pays à des risques," ont averti les FL en soulignant que la situation actuelle commande le maintien à son poste de celui qui a l’expérience qu’il faut et qui connaît parfaitement l’institution militaire." " Lorsqu’un président de la République sera élu, un nouveau commandant en chef de l’armée pourra alors être nommé," a conclu le communiqué FL.