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La population libanaise aurait souhaité bénéficier d’une alimentation continue en courant, comme l’avait promis, il y a deux décennies, le ministère de l’Énergie. Le Liban se trouve toutefois sur la liste des pays qui pâtissent de la pire gestion du dossier de l’électricité. Plus encore, c’est le pays qui a une sombre réputation, du fait du gaspillage, de la corruption et de l’échec qui se poursuivent depuis des dizaines d’années.

L’état du réseau électrique constitue l’un des principaux défis auxquels fait face le Liban. Depuis plusieurs années, le pays a eu du mal à assurer le courant de manière continue. En cause: le manque de financements, la corruption et la négligence au niveau de la gestion des infrastructures. Cela s’est traduit par une détérioration du réseau électrique et des coupures fréquentes du courant, souvent pendant plus de vingt-quatre heures.

Pour satisfaire ses besoins en électricité, le Liban dépend largement des générateurs privés. De son côté, le gouvernement a dépensé des sommes considérables pour fournir le courant. Les défis à caractère structurel, administratif et politique continuent d’entraver tout progrès significatif dans ce domaine. Et ce, en raison de la corruption, de l’absence de gouvernance et des conflits politiques qui entourent ce dossier.

Les améliorations dans le dossier de l’électricité ne sont toutefois pas réalistes. Un besoin urgent se fait ressentir au niveau de gros investissements nécessaires pour moderniser l’infrastructure et renforcer le potentiel de production électrique. Par conséquent, les Libanais éprouvent une frustration face aux coupures récurrentes du courant et de leurs répercussions sur leur vie quotidienne et professionnelle. Sans oublier que la crise de l’électricité a un impact sur les différents secteurs touristiques et industriels, comme sur le secteur des services. Plus encore, elle plonge le pays dans un chaos généralisé et entraîne des pertes considérables pour ces secteurs.

Nomination des membres de l’autorité de régulation

Dans ce contexte, Ziad Hawat, député du bloc parlementaire de la République forte (Forces libanaises), a expliqué à Houna Loubnan que "le plan de réforme du secteur de l’électricité a été élaboré, en 2010", par le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, alors ministre de l’Énergie. "Des ministres, affiliés au même parti politique, se sont par la suite succédé à la tête de ce ministère, poursuit-il. Le problème, c’est que dans tous les projets énergétiques proposés, il n’a jamais été question d’une augmentation de la tarification. Or celle-ci a toujours été inférieure au coût de production, dans le sens où le kilowattheure était vendu au consommateur à un prix inférieur à celui de la production. Ce qui est inadmissible. C’est ce qui a conduit à ce désastre, avec des pertes dans le secteur de l’électricité qui se chiffrent à 40 milliards de dollars."

Pour M. Hawat, la responsabilité principale incombe à M. Bassil et à ses successeurs, "puisque conformément au décret n°4517 publié le 13/12/1972 (le régime qui régit la fonction publique) la question des tarifs est soumise à l’approbation de l’autorité de tutelle". Et d’insister: "Or, aucun de ces ministres n’a attiré l’attention de l’administration d’Électricité du Liban sur ce point ni lui a demandé d’augmenter ses tarifs pour remédier à la situation. Cette question a systématiquement été soumise au Conseil des ministres, au moment où le ministre de l’Énergie savait que le Cabinet ne la trancherait pas, puisqu’elle est impopulaire. Par conséquent, aucune mesure n’a été prise à ce sujet, ce qui a conduit à cette catastrophe économique. Ainsi, l’évaluation de la performance du gouvernement est fonction de celle des ministres de l’Énergie."

En réponse au Courant patriotique libre qui accuse les Forces libanaises d’entraver la mise en œuvre des plans de réforme du secteur de l’électricité, M. Hawat a affirmé qu’"il n’y avait pas obstruction de la part des FL, mais d’une tentative de rectifier les failles". "Celles-ci étaient évidentes, a-t-il insisté. Nous avons, à maintes reprises, appelé à la nomination des membres de l’autorité de régulation du secteur de l’électricité pour que celui-ci soit dirigé de manière efficace et professionnelle. Jusqu’à présent, cette nomination n’a pas eu lieu. Entre-temps, le secteur de l’électricité continue de stagner.

M. Hawat a rappelé que les Forces libanaises s’étaient opposées à la décision prise en Conseil des ministres de louer deux navires-centrales turcs pour la production d’électricité au Liban. "À l’époque, nous avions estimé que cette mesure allait constituer un fardeau pour le Trésor, sans pour autant résoudre le problème de l’électricité, a-t-il insisté. La preuve: les contrats conclus avec les compagnies turques sont arrivés à expiration, les navires-centrales ont quitté le large du pays et l’approvisionnement en courant ne s’est point amélioré."

M. Hawat affirme à cet égard que les Forces libanaises ont voulu "rectifier l’approche et présenter des alternatives pour remédier aux failles, et non bloquer les projets présentés qui comportaient de nombreuses lacunes."

En ce qui concerne les revendications des Forces Libanaises dans le dossier de l’électricité, M. Hawat a affirmé que son parti a une "vision claire qui permet de résoudre la crise". "Nous appelons à une stratégie globale qui commence par la nomination, dans les plus brefs délais, des membres de l’autorité de régulation, a-t-il insisté. Le deuxième plan consiste à investir davantage dans les énergies renouvelables, notamment après le vote par le Parlement de la loi sur les énergies renouvelables. On sait que les Libanais ont déjà généré mille mégawatts grâce à l’énergie solaire. Par conséquent, il est important d’encourager les investissements dans ce domaine, d’autant qu’il permet de faire d’importantes économies au Trésor. Il est important de renforcer le recours à ces sources d’énergie, qui peuvent constituer une alternative à la construction de centrales électriques."

Au nombre des solutions également, selon M. Hawat, "la désignation d’un ministre spécialisé dans le domaine de l’énergie, loin des ingérences et tiraillements politiques". "Le problème est évident et se traduit par le fait que le ministre de l’Énergie est affilié à une partie politique qui le contraint à agir dans son intérêt plutôt que dans l’intérêt général", a-t-il conclu.

"Nous tenons au ministère de l’Énergie"

Des propos que conteste Malek Abi Nader, responsable au sein du CPL, qui affirme que conformément à la Constitution et aux lois en vigueur, le parti "a accompli entièrement son devoir". "Nous avons élaboré des plans et mis en œuvre tous les décrets d’application, a-t-il indiqué. Mais la réalisation de tels projets nécessite l’approbation du Conseil des ministres. Malheureusement, nous n’avons pas pu concrétiser tous ces projets, en raison de l’opposition dont nous avions fait l’objet au sein du Conseil des ministres. Il n’en reste pas moins que tous les ministres qui se sont succédé à la tête du ministère ont élaboré un plan pour l’électricité, qui a été adopté en Conseil des ministres et mis en application. Néanmoins, les ministres des Finances ont publiquement déclaré qu’ils avaient eu l’honneur d’entraver le plan relatif à l’électricité. On aurait pu réclamer des comptes au ministre (de l’Énergie) si celui-ci pouvait disposer des fonds, mais c’est le Conseil des ministres qui en a le pouvoir."

M. Abi Nader affirme que le CPL "ne ressent aucun remords à ce sujet pour la simple raison qu’il a rempli son devoir". "Mais le Conseil des ministres nous a déçus en ne votant pas pour notre projet, a-t-il déploré. En ce qui nous concerne, nous restons attachés au ministère de l’Énergie, puisque nous avons un plan clair pour le secteur de l’électricité et le projet concernant le pétrole. Nul n’ignore notre contribution à ce dernier projet."

Le responsable au sein du CPL a rappelé, par ailleurs, qu’"une mafia composée des propriétaires des générateurs et des importateurs de mazout" gère le secteur de l’électricité, "ce qui coûte à l’État des pertes annuelles estimées à 3 milliards de dollars". "Si le plan de l’électricité est mis en application, cette mafia et ses responsables, dont certains se trouvent au sein du Conseil des ministres, ne pourront plus tirer profit de la situation, a-t-il dénoncé. Pour cela, ils ne vont sûrement pas autoriser l’exécution de ce plan. Les doigts d’accusation pointent toujours envers le CPL en ce qui concerne la location des navires-centrales, alors que c’est le Premier ministre sortant Najib Mikati qui avait conclu les contrats au sujet de ces navires. Et, lorsque les contrats de location auraient dû être renouvelés, il a refusé de le faire."

Et M. Abi Nader d’insister: "Soyons réalistes. Personne ne peut élaborer un plan pour l’électricité, en présence d’une mafia qui relève des dirigeants et qui profite du commerce du carburant."

Infractions en série

Dans ce contexte, le directeur de l’autorité des achats publics, Jean Ellieh, a souligné que "les garanties de transparence telles que prévues dans la loi sur les achats publics concernent toutes les opérations d’achat et s’appliquent au secteur de l’électricité, ainsi qu’à ceux des travaux, des fournitures et des approvisionnements". "Il s’agit, en premier lieu, de définir les besoins de manière claire et précise, et en temps opportun, ajoute-t-il. Dans un deuxième temps, il faut établir un cahier des charges qui reflète les besoins réels et qui respecte l’adéquation entre les besoins requis et la situation des prestataires. Donc, ces cahiers des charges doivent être équitables de manière à éviter les conditions taillées sur mesure."

Après avoir identifié les besoins et établi les cahiers des charges, l’appel d’offres est lancé. M. Ellieh explique qu’un délai suffisant doit être accordé pour permettre aux différentes parties intéressées de présenter leurs offres. "Durant la dernière étape, celle de l’évaluation des offres, les prestataires sont traités selon le principe d’égalité."

En ce qui concerne la manière dont cette autorité fait face aux défis liés aux contrats du secteur de l’électricité, M. Ellieh a souligné que cela devrait être planifié par l’autorité concernée, à savoir le ministère de l’Énergie. "Nous savons que le travail administratif comporte des risques, a-t-il dit. Dans la gestion, il est important d’analyser les risques. Le ministère de l’Énergie doit, par conséquent, avoir pris des mesures pour faire face à ces risques. Il doit être géré avec sagesse et compétence. Les appels d’offres doivent être lancés en accordant des délais nécessaires. Enfin, il faut garder ce qu’on appelle le stock de sécurité pour éviter les coupures du courant. Cela est élémentaire."

Pour M. Ellieh, l’expression "lutte contre la corruption" restera "un slogan et des paroles creuses auxquels les chercheurs et responsables continueront à recourir, en l’absence d’une reddition de comptes". Il a souligné à cet égard que "l’ancienne direction des adjudications possède des rapports documentés sur des infractions survenues entre 2016 et 2019, lorsque César Abi Khalil et Nada Boustany se trouvaient à la tête du ministère" de l’Énergie. "En 2021, la commission parlementaire des Travaux publics, du Transport et de l’Énergie, alors présidée par Nazih Najem, avait décidé, sur la base d’un rapport qu’elle a présenté à l’autorité des adjudications, de former une commission d’enquête sur les irrégularités financières dans les appels d’offres du ministère de l’Énergie, a-t-il rappelé. Ce comité ne s’est jamais réuni."

Et M. Ellieh de conclure: "Si nous voulons vraiment lutter contre la corruption et la prévenir, nous devons sanctionner les auteurs des infractions commises. Or, dans un environnement où il est facile d’enfreindre les lois, que ce soit au niveau de l’électricité ou dans tout autre domaine, il n’y a jamais eu de lutte contre les corrompus. Au Liban, tout le monde dénonce la corruption, mais on ne trouve pas de corrompus ni de corrupteurs. Le corrupteur est plus dangereux que le corrompu, puisqu’il pousse les autres à la corruption."