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Le Programme national de santé mentale (NMHP), a officiellement lancé jeudi, en collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au Liban et avec le soutien de l’Agence française de développement (AFD), la Stratégie nationale de santé mentale pour le Liban (2024-2030). L’événement a eu lieu à l’École supérieure des affaires (ESA) à Beyrouth.

La première Stratégie nationale pour la santé mentale au Liban avait été lancée en 2015, mais, depuis, les Libanais ont été soumis à une série d’événements, l’un plus pénible que l’autre.

Le responsable du NMHP au Liban, le Dr Rabih Chammay, a présenté un aperçu détaillé de la stratégie et des piliers clés en cours d’exécution.

La stratégie a été conçue à partir des réalisations passées, en comblant les lacunes de la première stratégie et en concentrant l’action future là où elle est le plus nécessaire.

Cependant, pour une mise en œuvre optimale, elle fait face à deux défis. Le premier est d’ordre financier, mais seulement en termes de continuité, et le second est d’ordre pratique, puisque le Parlement est censé adopter la loi relative à la politique nationale de santé mentale.

Quoi qu’il en soit, les expériences acquises dans la réponse à des situations d’urgence, telles que la crise des migrants syriens, la pandémie du Covid et l’explosion au Port de Beyrouth, permettent de tirer parti des leçons apprises et de renforcer la préparation aux situations d’urgence par un soutien à la santé mentale et une assistance psychosociale.

Les deux s’avèrent nécessaires si l’on tient compte du fait que la santé mentale coûte au Liban la somme de 528 millions de dollars par an.

Le ministère de la Santé publique reçoit un prix de la Task Force inter-institutions des Nations unies pour la prévention des maladies non transmissibles et la santé mentale en 2023 en reconnaissance de ses efforts dans le programme "Step by Step"
Crédit photo : Wael Hamzeh / NMHP

Domaines d’action et objectifs

Le programme 2024-2030 est divisé en quatre domaines d’action.

Le premier concerne le renforcement du leadership et de la gouvernance, un des objectifs étant la mise en place de mécanismes et d’outils efficaces conformément au projet de loi sur la santé mentale. Un élément clé de la stratégie envisagée, mais qui a besoin du concours du Parlement et d’un financement qui s’inscrit dans la durée.

L’AFD finance à raison de 6,4 millions d’euros la prise en charge des patients au niveau des structures de santé secondaire et le renforcement des actions de sensibilisation et de prévention au niveau communautaire au Liban. Il semble toutefois que ce montant ne couvre pas, du moins pour le moment, le coût global de la mise en œuvre de la stratégie.

Selon le bureau de l’OMS interrogé par Ici Beyrouth, "si le Liban a progressé dans la mise à jour de la loi sur la santé mentale, celle-ci n’a toujours pas été adoptée et la garantie d’un financement suffisant et durable pour sa mise en œuvre et celle de la stratégie nationale en matière de santé mentale reste un défi".

C’est ce que le Dr Chammay, interrogé par Ici Beyrouth, confirme également. Le financement de l’AFD soutient des projets spécifiques, mais ne suffit pas à la stratégie entière. "Nous avons besoin d’un financement plus important, pour des périodes plus longues et prévisibles, pour pouvoir planifier et mettre en application les mesures prévues dans le cadre de la stratégie. Nous ne sommes pas l’unique exécutant, mais plutôt le chef d’orchestre", précise-t-il.

Selon Catherine Bonnaud, directrice de l’AFD, interrogée par Ici Beyrouth, l’agence travaille sur base de l’octroi de prêts, cependant, vu la situation au Liban, l’État français lui a demandé de subventionner le projet.

"Depuis que l’AFD soutient ce programme, la demande augmente. D’abord, à cause de la situation, mais aussi parce que nous arrivons à faire comprendre aux gens que le traitement n’est pas un stigmate", précise Mme Bonnaud.

Il n’en demeure pas moins que l’enveloppe prévue par l’AFD va être investie dans un premier temps là où un grand besoin se fait sentir. Il s’agit notamment des services de santé mentale de proximité afin d’accroître leur disponibilité et leur accessibilité dans des environnements communautaires, notamment en milieu hospitalier, dans le secteur public, pour réduire les services en institution. Il s’agit là du deuxième domaine d’action

Le choix de l’AFD pour le financement s’est ainsi porté sur Beyrouth, Tripoli et la Békaa, parce que, selon Catherine Bonnaud, il y avait des demandes de la part des institutions qui y étaient déjà ancrées.

Le ministère de la Santé publique a remis un prix au programme national de santé mentale
Crédit photo : Wael Hamzeh / NMHP

Dans un entretien avec Ici Beyrouth, la directrice des soins infirmiers de l’hôpital gouvernemental de Tripoli, Roula Hajj, a expliqué que les difficultés rencontrées résident d’abord dans le fait que l’accès aux soins n’est pas abordable. À l’hôpital de Tripoli, ce sont des associations financées par des instances internationales qui couvrent les frais de ces services en continu.

Le troisième domaine d’action du programme est basé sur la promotion et la prévention. Le but étant d’augmenter les facteurs de protection et de promotion de la santé mentale aux niveaux individuel, social et structurel et de réduire l’impact des facteurs de risque. Un des objectifs est de promouvoir les changements de comportement et d’attitude par le biais de campagnes de sensibilisation nationales.

Pour exemple, l’hôpital gouvernemental de Tripoli organise des formations de sensibilisation et de prévention au niveau communautaire. "Nous avons remarqué que ces formations ont un effet positif dans la communauté", précise Roula Hajj. Selon elle, le nombre de cas a augmenté à cause de la situation économique, qui impacte les familles. "Lorsqu’une personne vient se faire traiter, nous pouvons lui assurer en moyenne dix séances de soin parce que les psychothérapeutes sont surchargés", confie-t-elle.

Le dernier domaine d’action repose sur l’information et la recherche. Il s’agit d’accroître la disponibilité de connaissances fondées sur des données probantes afin de pouvoir mettre en œuvre des politiques en matière de santé mentale.

La publication accrue de rapports réguliers concernant l’évolution du programme, sur base de données disponibles pour améliorer la planification et la transparence, est un autre objectif.

Le bureau de l’OMS au Liban précise que "l’un des défis majeurs au Liban est la rareté des données sur la santé mentale, ce qui empêche de comprendre pleinement l’ampleur des problèmes qui y sont liés, de suivre les tendances de manière optimale et d’évaluer l’efficacité des interventions".

Coûts énormes

Côté chiffres, le poids économique total des conditions de santé mentale sur l’économie libanaise est de 528 millions de dollars par an, ce qui équivaut à 1% du PIB (chiffres de 2019). Un chiffre probablement plus élevé compte tenu de la crise économique que traverse le pays depuis 2019.

Selon une étude diffusée lors du lancement de la stratégie, le poids des maladies mentales est comme un iceberg dont la partie supérieure représente les coûts directs, c’est-à-dire le montant que le gouvernement consacre aux soins de santé mentale.

Au Liban, il n’y a pas de budget officiel réservé à celle-ci, mais les coûts sont estimés à 13 millions de dollars.

En 2015, les dépenses du ministère de la Santé pour ces pathologies représentaient 5% de ses dépenses totales.

La partie immergée de l’iceberg représente les coûts indirects qui sont les pertes de productivité dues à l’absentéisme, au présentéisme et aux décès prématurés. Ces coûts cachés constituent la majeure partie des dépenses, principalement dues à l’absentéisme.

Avec l’augmentation du recours au traitement au sein la population, le nombre d’années de vie en bonne santé augmenterait remarquablement entre 2022 et 2042, en fonction de cette stratégie.

Pour plus d’informations sur la Stratégie nationale pour la santé mentale au Liban (2024-2030) et les services et ressources disponibles, consulter le site official du ministère de la Santé.