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La simple observation des réalités politiques et stratégiques en cours nous renvoie à des schémas de chaos généralisé qui évoluent dans des vides politiques et sécuritaires de plus en plus accentués. La désintégration évolutive du Liban n’a plus de limites: l’effondrement des institutions étatiques et leur instrumentalisation par la politique de puissance iranienne, la mise à mort des contrats sociaux et moraux qui leur ont servi de double, l’ensauvagement de la vie politique et sociale, la transformation du territoire national en plateforme pour des conflits par procuration, la prolifération des crises économiques et sociales, ainsi que les interminables intérims auxquels sont renvoyés les Libanais depuis plus de cinq ans, ne font, en réalité, que sceller la mort d’un pays aux déliquescences interminables.

L’usurpation des prérogatives constitutionnelles par un gouvernement d’intérim qui a perdu toute légitimité en raison de son statut de cabinet de transition, de ses échecs en matière de gouvernance, de la vénalité de ses membres et de leur servilité à l’égard de la politique de domination chiite. Le verrouillage des élections présidentielles, la vassalité conjuguée du Parlement et du gouvernement ont fini par abattre tous les faux-semblants de constitutionnalité et réduire les institutions à la fonction de relais instrumentés par la politique de puissance chiite. Il est inutile de pontifier sur les enjeux de la vie constitutionnelle et de ses mandats électifs dans un contexte entièrement faussé par la mainmise des fascismes chiites sur les leviers de l’action étatique. Les sommets interconfessionnels, les démarches symboliques du Vatican et les apartés entre oligarques et parlementaires sans consistance ne font qu’entériner les réalités d’un pays en état de désagrégement avancé.

Toutes les chorégraphies projetées sur le devant de la scène politique ne sont que des manœuvres de diversion, alors que la trame réelle de la vie politique se joue dans les arcanes de la politique de puissance iranienne et ses suppléants domestiques. Toute la gesticulation et les ébruitements des politicards ne font qu’attester la futilité de la vie politique libanaise, l’indignité morale et politique d’une oligarchie politique composée de malfaiteurs préoccupés par leur survie et la protection de leurs prébendes, au prix de concessions sur la souveraineté et la constitutionnalité de la vie publique. Toute sociologie politique qui s’interdit d’analyser les processus qui ont mené au démantèlement de l’État libanais, à la patrimonialisation de la chose publique et à la destruction de la souveraineté libanaise, ne peut, sous aucun rapport, expliquer les causalités enchevêtrées d’une faillite brutale et systémique.

La politique de destruction systématique du Liban que mènent les fascismes chiites s’effectue par un double biais, celui de la délégitimation morale et politique de l’entité nationale libanaise et de la stratégie plus englobante qui utilise le Liban comme plateforme de subversion majeure dans le cadre de la politique iranienne d’expansion qui vise la région dans son ensemble. La stratégie des conflits pérennes, dûment conceptualisée par Waddah Charara, rend largement compte de la dynamique exponentielle des conflits en cours. La politique de sabotage inaugurée avec les pogroms du 7 octobre 2024 dans le sud israélien visait ostensiblement la politique de normalisation engagée par les États-Unis et l’Arabie saoudite, l’hypothétique stabilisation régionale qu’elle projetait et la réactivation des politiques de subversion islamiste dans des États déficitaires à tous égards.

Le scénario de guerre du 7 octobre 2023 visait Israël, le seul État de la région qui pouvait faire obstacle à la politique impériale iranienne. Le processus enclenché après le 7 juin 2023 s’inscrit dans la perspective d’une guerre totale où les leviers proche-orientaux serviraient de relais à la nébuleuse néo-totalitaire en émergence. L’épilogue des guerres en cours à Gaza, au Liban-Sud, ainsi que les enjeux de la militarisation du nucléaire iranien qui prennent un nouveau relief, regagnent en actualité alors que les élections en Europe, en France et aux États-Unis battent leur plein. Il est invraisemblable d’envisager des trêves humanitaires perdurables et à même de débloquer des contextes géostratégiques saturés, à moins de changer les rapports de force, d’opérer des conversions idéologiques et de mettre au point des agendas politiques alternatifs qui mettraient fin aux cycles de violence. Or, avec la prépondérance de la politique de puissance iranienne et ses multiples blocages, il serait inutile de se hasarder dans des conjectures sans aucune incidence sur la réalité.