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Car nous ne vivons pas un chapitre du Désert des Tartares(1) où le personnage principal se morfond dans l’attente de l’invasion ennemie, une invasion qui tarde à venir et qui lui permettrait de reprendre le cours de la vie et de l’action! Car ce n’est pas Israël qui vit dans l’expectative de la riposte de l’axe de la récalcitrance (moumana’a); et ce n’est pas Israël dont les nerfs sont en pelote vu la menace qui pèse sur son peuple et qui ne se matérialise pas! Car c’est bien plutôt le Libanais, le citoyen lambda, qui vit les affres de l’équilibriste "debout sur un seul pied" selon l’expression désormais consacrée. Et c’est bien les "populations" de Ras Beyrouth et d’Achrafieh comme les administrés du Hezbollah, ceux de la Banlieue sud, qui, dès qu’un avion de chasse franchit le mur du son, s’écrient: "Ça y est, c’est reparti, bonjour les dégâts!"

Ni trop, ni trop peu

Hassan Nasrallah nous laisse entendre qu’il s’amuse à déstabiliser l’État hébreu en ayant recours à la guerre psychologique; après tout, la guerre d’usure qu’il a menée n’a pas tourné à son avantage, ni au profit de sa résistance, si inspirée soit-elle. Libre au sayyed de faire avaler le morceau à ses affidés, les sujets fidèles du "taklif shar’i"! Il n’arrivera pas à nous convaincre de sa prépotence, pas plus qu’il ne réussira à cacher l’inaptitude de ses troupes face au déploiement de l’aéronavale US, de la haute technicité des forces combinées et des surprises que celles-ci lui réservent. Et de fait, si la formation chiite ou son mentor à Téhéran tardent à riposter, c’est parce qu’en chats échaudés, ils ne veulent pas dépasser la mesure, de crainte de déclencher les foudres de l’Armageddon. Des foudres qui feraient passer un mauvais quart d’heure au parti d’Allah, d’autant plus qu’il est truffé d’indicateurs et de taupes.

Avouons que les mouman’agis n’ont toujours pas trouvé la cible idéale même si leurs stratèges s’y emploient studieusement. Alors pour faire avancer les choses, il serait souhaitable qu’Israël ou les US la leur désigne. Et qu’on en finisse, les Libanais n’en pouvant plus d’attendre. Après tout Ismaël Haniyé, que Téhéran dit vouloir venger, n’était qu’un Arabe stipendié par les services iraniens, qui émargeait le registre mensuel du personnel (payroll).

À mourir pour mourir

Quoiqu’on en dise, un assassinat ciblé revient moins cher qu’une guerre ouverte ou qu’une campagne militaire coûteuse en hommes, en matériel et en destruction. Il n’en reste pas moins que les annales historiques n’accordent pas la même place d’honneur aux commandos de l’un comme ils l’accordent au commandement et aux troupes de l’autre. Dans le premier cas, celui d’une frappe chirurgicale, comme à Beyrouth en avril 1973 ou à Entebbe (Ouganda) en juillet 1976, les récits peuvent valablement louer l’audace et le professionnalisme des "raiders", alors que dans le second cas, comme lors de la "percée du déversoir" en octobre 1973, ces mêmes récits en souligneront la gloire militaire dans la tradition des grands faits d’armes.

Cependant, que ce soit dans un cas ou dans l’autre, c’est-à-dire dans tout engagement armé, le calcul des profits et des pertes est censé précéder toute initiative militaire et peut mettre un frein à toute réaction irréfléchie. D’ailleurs, Hassan Nasrallah n’a pas manqué, dans son dernier discours, de nous rassurer en disant: "Nous riposterons avec doigté plutôt qu’avec impulsivité."(2)

Et puis, et surtout, les tacticiens savent que les prévisions sont souvent remises en cause et démenties au contact de l’amère réalité, comme par l’imprévisibilité que met en branle toute "mère des batailles" ou tout cavalier de l’Apocalypse.

Haïfa ou alors Dimona?

En fait, le sayyed Hassan, qui estime être à son avantage dans ce conflit, croit pouvoir s’en prendre à une proie consistante comme le serait le port de Haïfa ou la centrale nucléaire de Dimona. L’histoire le retiendra: c’est un morceau de choix qu’il ambitionne et qu’il cherche à marchander. Il est convaincu que les ficelles de la dissuasion dont il dispose lui assurent un bouclier stratégique. À tort, d’ailleurs, car cette dernière n’est pleinement opérationnelle en tant que tactique et ne peut être jouée jusqu’à ses ultimes limites que dans le domaine du nucléaire.

On ne l’a que trop dit, la dissuasion est une stratégie de défense qui s’appuie essentiellement sur l’arme atomique. Et c’est la "dissuasion par représailles" qui a sanctuarisé la France face à l’URSS à l’époque de la guerre froide. Les Soviétiques, autrement plus puissants que les Français, allaient devoir renoncer à toute agression, vu que le cas échéant "le gain escomptable serait inférieur au risque de destruction qu’ils pourraient encourir" sur leur propre territoire.

Le secrétaire général du Hezbollah, s’il lui prenait de bombarder le port de Haïfa (13 milliards de dollars de dommages, d’après une estimation), à supposer qu’il y parvînt en bravant le dôme de fer, verrait non seulement les agglomérations et populations du Sud éradiquées de la surface du globe, mais également le reste du Liban ramené à l’âge de pierre. La dissuasion du sayyed n’est qu’une illusion dont il ne peut se gargariser que sur les écrans.

Et puis Israël, vivant pleinement son complexe de Massada, n’hésiterait pas devant une victoire à la Pyrrhus.

Youssef Mouawad

[email protected]

  1. Dino Buzzati, Le désert des Tartares, 1940.
  2. Salah Hijazi, "Nasrallah: Nous riposterons avec doigté plutôt qu’avec impulsivité", OLJ, 6 août 2024.

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