"Je tiens à préciser que malgré l’escalade brutale de ces derniers jours, Israël et le Liban peuvent choisir une autre voie. Une solution diplomatique est toujours envisageable", a déclaré jeudi le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, au terme d’une réunion avec ses homologues britannique et australien à Londres, consacrée aux événements en cours. Mais il a quand même averti: "Nous sommes maintenant confrontés au risque d’une guerre totale qui serait dévastatrice à la fois pour Israël et pour le Liban." Autrement dit, les journées sanglantes de matraquage contre plusieurs régions libanaises ne sont que l’avant-goût de ce qui risque d’attendre le pays.

Involontairement, les propos de Lloyd Austin donnent cependant la clé d’une sortie de guerre, malgré le discours de Benjamin Netanyahou. "Israël et le Liban peuvent choisir une autre voie", dit-il. Le verbe "choisir" est le mot-clé. Pour choisir, il faut être libre. Il faut avoir le courage de l’être. Il faut oser être libre. Libres de désavouer publiquement et officiellement le Hezbollah. C’est ce courage qui manque au Premier ministre sortant, Najib Mikati, qui excelle dans l’art de contourner la vérité. Par ailleurs, pour choisir, en l’occurence, il faut être deux.

Dans la déclaration de Lloyd Austin, il existe un autre point important: le responsable américain s’adresse au Liban et non au Hezbollah. Voilà un homme qui croit encore en nous, à nos institutions, à notre capacité de réfléchir et de décider. Voilà un homme qui croit au fantôme de l’État qui continue de hanter nos administrations, au reste de conscience nationale qui survit à notre peur d’être emporté par une voiture piégée.

Car l’humanité dont nous savons et devons faire preuve à l’égard des victimes de la barbarie israélienne ne doit pas nous faire oublier le radical désaccord qui nous oppose à la révolution islamique en Iran, où le Hezbollah puise sa vision du monde, sa culture et une sorte de "guévarisme" exalté dont les racines plongent dans le récit de l’inégale et fondatrice bataille de Kerbala (610 de l’ère chrétienne), ainsi que dans une eschatologie incertaine prévoyant le retour de l’imam caché, le Mahdi, à la fin des temps.

Or, nous ne sommes plus dans l’Irak du VIIe siècle, mais dans le Moyen-Orient du XXIe. La flotte américaine règne sur les mers et les F-35 dans les airs. En pressant un bouton, on peut tuer ou blesser 3.000 êtres humains. En larguant une bombe atomique, 300.000.

Avec une roquette, la tour de contrôle de l’aéroport international de Beyrouth peut être rendue inopérante. Certes, le régime d’Israël et de son extrême droite sont dénoncés, à cause de cette guerre. Mais la dictature religieuse des mollahs n’est pas moins essentialiste, arbitraire et criminelle. Il n’est donc pas impossible que la guerre de soutien à Gaza lancée par le Hezbollah, avec la bénédiction du Guide suprême de la révolution islamique, Ali Khamenei, soit une erreur de calcul et s’apparente plus au syndrome de Samson qu’à l’idéal de la bataille de Kerbala.

"C’est au XIIe siècle avant notre ère que les Philistins, peuple arrivé sans doute par la mer, établirent une fédération de cinq cités au sud du littoral levantin, écrit dans un article paru dans Le Monde l’historien Jean-Pierre Filiu (*).  Une telle fédération, dénommée Philistie, comprenait, outre Gaza, les villes (aujourd’hui situées en Israël) d’Ashdod, de Gath, d’Ekron et d’Ashkelon. Les affrontements récurrents entre les Philistins et les tribus juives de l’intérieur, notamment pour l’accès à la mer, ont nourri dans la Bible le mythe de Samson, qui aurait tiré sa force herculéenne de sa chevelure toujours intacte. Rasé par Dalila la traîtresse et livré aux Philistins, Samson, les yeux crevés par ses ravisseurs, est condamné à tourner sans fin une meule à Gaza. Mais sa chevelure repousse jour après jour, reconstituant sa force, sans que ses geôliers en soient conscients. Traîné dans un temple païen pour divertir les notables locaux, Samson s’arc-boute contre les colonnes de l’édifice jusqu’à le faire s’écrouler, périssant avec ses ennemis".

En livrant à Israël un combat largement inégal, au nom de la Palestine, Hassan Nasrallah n’a pas seulement entraîné sa formation vers l’inconnu, mais son pays lui-même. En a-t-il le droit?  La réponse est non. Car c’est d’un sang plus pacifique que le Liban-message se réclame. Une solution diplomatique – et donc pacifique –, est toujours envisageable, assure Lloyd Austin. Il faut la tenter coûte que coûte. Avec la résolution 1701, certains de ses éléments sont déjà posés. Que peut la guerre que ne peut la paix?

(*) Jean-Pierre Filiu est professeur d’histoire à Sciences-Po (Paris). Sa chronique hebdomadaire, "Un si proche Orient", publiée depuis 2015 sur le site du Monde, attire des millions de lecteurs.

 

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