Le Prix Nobel de la Paix a été décerné vendredi 6 octobre à la militante iranienne emprisonnée Narges Mohammadi. Cette récompense sonne comme une reconnaissance à l’égard de toutes les iraniennes victimes de la barbarie du régime des mollahs, un an après la mort de Mahsa Amini.

Le Nobel de la paix a couronné vendredi la militante iranienne des droits humains Narges Mohammadi, actuellement emprisonnée dans la République islamique où des femmes, tête nue, font souffler un vent d’émancipation malgré la répression.

La militante et journaliste de 51 ans est récompensée " pour son combat contre l’oppression des femmes en Iran et sa lutte pour la promotion des droits humains et la liberté pour tous ", a déclaré la présidente du comité Nobel norvégien, Berit Reiss-Andersen, à Oslo.

A l’annonce de sa distinction, l’ONU a demandé sa libération. " J’en appelle à l’Iran: libérez-la, faites quelque chose de digne ", a abondé Mme Reiss-Andersen auprès de l’AFP.

" Nous constatons que le Comité Nobel a attribué le Prix de la Paix à une personne reconnue coupable de violations répétées des lois et qui a commis des actes criminels ", a réagi le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Nasser Kanani, dans un communiqué.

" Nous condamnons une décision partiale et politique ", a ajouté M. Kanani, en soulignant que " des affirmations erronées ont été diffusées au sujet des développements en Iran dans la déclaration du Comité ".

Il a dénoncé un " acte politique et interventionniste, impliquant certains gouvernements européens ".

Emprisonnée depuis 25 ans

Vice-présidente du Centre des défenseurs des droits de l’Homme fondé par Shirin Ebadi, elle aussi prix Nobel en 2003, Narges Mohammadi a été maintes fois condamnée et emprisonnée depuis 25 ans pour son engagement contre le voile obligatoire pour les femmes, et la peine de mort.

Elle est récompensée alors que l’Iran a été traversé l’an dernier par un vaste mouvement de contestation déclenché par la mort d’une Kurde iranienne de 22 ans, Mahsa Amini, après son arrestation à Téhéran pour non-respect du strict code vestimentaire islamique.

Une adolescente de 16 ans, Armita Garawand, est aussi actuellement dans le coma après, selon l’ONG de défense des droits des Kurdes d’Iran Hengaw, avoir été " agressée " par des membres de la police des moeurs chargés de faire appliquer l’obligation de porter le voile.

L’Iran se situe à la 143ᵉ place –sur 146 pays– du classement du Forum économique mondial (WEF) sur l’égalité des sexes.

Le soulèvement " Femme, Vie, Liberté " –un slogan avec lequel Mme Reiss-Andersen a entamé son annonce vendredi, y a été violemment réprimé: 551 manifestants, dont 68 enfants et 49 femmes, ont été tués par les forces de sécurité, selon l’ONG Iran Human Rights (IHR), et des milliers d’autres arrêtés.

Un mouvement " irréversible "

" Le gouvernement de la République islamique n’a pas réussi à étouffer les protestations du peuple iranien, et la société a accompli (des choses) qui ont ébranlé et affaibli les fondements du gouvernement religieux despotique ", écrit la quinquagénaire, figure historique de la défense des droits humains en Iran, lauréate de plusieurs prix internationaux, dont celui de la liberté de la Presse Unesco en mai dernier.

" Le mouvement a accéléré le processus de démocratie, de liberté et d’égalité ", désormais " irréversible " selon elle, malgré une répression impitoyable (des centaines de morts selon des ONG, et des milliers d’arrestations depuis un an).

Les femmes y sont bien sûr en première ligne, et leur rôle est " déterminant " en raison de décennies " de discriminations et d’oppression " dans leur vie publique et personnelle, pointe-t-elle.

Mais le " mouvement révolutionnaire " dépasse les élites jeunes et urbanisées, insiste Mme Mohammadi. " L’insatisfaction et les protestations touchent les régions périphériques et les villages ", affirme-t-elle, citant le chômage, l’inflation, la corruption comme facteurs alimentant la colère.

" Les gens sont devenus mécontents et hostiles, même envers la religion ", affirme la militante, estimant que les différents cycles de protestation qui ont secoué l’Iran ces dernières années, notamment contre la cherté de la vie, " montrent l’irréversibilité et l’ampleur de la contestation ".

Elle-même et trois codétenues ont brûlé leur voile dans la cour de la prison d’Evin à Téhéran pour marquer l’anniversaire de la mort de Mahsa Amini le 16 septembre.

La contestation se poursuit

Si la contestation est désormais plus diffuse, elle se poursuit sous différentes formes, posant aux autorités iraniennes l’un des plus grands défis depuis la révolution de 1979.

Scènes encore inimaginables il y a un an, des femmes sortent aujourd’hui dévoilées dans les lieux publics malgré les risques.

En septembre, le Parlement iranien, majoritairement conservateur, a durci les sanctions visant les femmes qui refusent le voile.

" Le prix de la paix de cette année récompense également les centaines de milliers de personnes qui, au cours de l’année écoulée, ont manifesté contre les politiques des régimes théocratiques en matière de discrimination et d’oppression contre des femmes ", a dit Mme Reiss-Andersen.

De nouveau arrêtée en 2021, Narges Mohammadi, elle, n’a pas vu ses enfants –qui vivent en France avec son mari– depuis huit ans.

Considérée comme une " détenue d’opinion " par Amnesty International, elle disait dans sa correspondance avec l’AFP n’avoir " presque aucune perspective de liberté ".

Mme Reiss-Andersen a dit vendredi " espérer " sa libération par les autorités iraniennes.

Il y a 20 ans, le Nobel avait déjà été attribué à une Iranienne, l’avocate Shirin Ebadi, récompensée " pour ses efforts en faveur de la démocratie et des droits de l’Homme ", et plus particulièrement ceux des femmes et des enfants dans son pays.

En 2003, Mme Ebadi avait défié les conservateurs iraniens en recevant son Nobel à Oslo sans porter de hijab.

Si elle reste derrière les barreaux, Narges Mohammadi ne pourra pas se rendre dans la capitale norvégienne pour recevoir son Nobel –un diplôme et une médaille d’or assortis de 11 millions de couronnes (près de 980.000 euros)– le 10 décembre.

Malo Pinatel, avec AFP