Si la guerre d’Ukraine n’a pas eu encore lieu, la guerre des nerfs, elle, est lancée. " Tu es prêt ? " Le reporter russe hoche la tête. Les balles se mettent opportunément à siffler au loin. Le journaliste en gilet pare-balles court et explique hors d’haleine qu’il assiste en direct à une action de " sabotage " contre une position pro-russe dans l’est de l’Ukraine. " La propagande russe à l’oeuvre sous vos yeux ", explique une chaîne Telegram qui suit les évènements en Ukraine, publiant un clip vidéo pour démontrer que le reportage est une mise en scène. Dans la " guerre hybride " que livre Moscou à son voisin depuis huit ans, la bataille de l’information constitue un front clé. Ici, tous les coups sont permis, y compris les manipulations les plus grossières. Déjà dans une capsule vidéo d’avril 2015, la chaîne Arte décriptait un extrait de l’émission russe " Vesti Nedeli " de la chaîne de télévision d’État " Rossiya 1 " dans lequel le présentateur exposait la prétendue " nazification de l’Ukraine ".

Et la campagne de désinformation s’est accélérée avec le déploiement de 150.000 soldats russes massés aux frontières est et nord de l’Ukraine. La rhétorique belliciste a atteint son comble ce lundi avec l’accusation formulée par Vladimir Poutine quant au prétendu " génocide " des Russophones en Ukraine. Mais ces opérations russes sur la toile font l’objet d’une intense contre-offensive. Avec des outils de vérification en ligne, permettant d’authentifier une image, de comparer des cartes ou d’extraire des données, une armée auto-proclamée de " réinformateurs " est aussi à l’oeuvre.

Vendredi dernier, il n’aura fallu que quelques heures pour que l’inquiétante vidéo susmentionnée concernant le " sabotage " mise en ligne par le dirigeant séparatiste Denis Pouchiline, dans laquelle il ordonnait l’évacuation le jour même, " le vendredi 18 février ", de la population de la région de Donetsk vers la Russie, perde en crédibilité. Les métadonnées du fichier vidéo original ont parlé : la vidéo avait été pré-enregistrée deux jours auparavant, soit le 16 février. Chez Bellingcat, plateforme spécialisée dans l’enquête avec des outils numériques et qui a disséqué des opérations présumées des renseignements russes comme les empoisonnements de l’agent double Sergueï Skripal ou celui de l’opposant Alexeï Navalny, les dernières semaines ont été consacrées à déminer le terrain virtuel du conflit autour de l’Ukraine.Son dernier coup, le " debunkage " d’un attentat contre la voiture d’un chef de police séparatiste. La télévision d’Etat russe avait diffusé la prétendue confession d’un " agent ukrainien " impliqué et repris l’image d’une carcasse de voiture sur laquelle on pouvait voir la plaque d’immatriculation dudit responsable policier. La plaque était la bonne. Mais, d’après les analystes du site Bellingcat, elle avait était décrochée du rutilant véhicule tout-terrain du chef séparatiste pour les besoins de la photo.La guerre de la désinformation n’est pas l’apanage de la Russie. Côté ukrainien, les médias et réseaux sociaux ne sont pas exempts d’arrangements avec la vérité, comme lorsque sont diffusées des images montrant des manifestations à Moscou contre la guerre. Celles-ci dataient de 2014.Sur ce front de l’information, Moscou a déjà fait de premières victimes. Le bombardement médiatique anxiogène a des effets ravageurs sur la santé mentale des Ukrainiens, relève la psychologue Katerina Goltsberg, présidente de l’association de pédopsychologie du pays. " Au cours des deux derniers mois, nous avons atteint un niveau de panique particulièrement élevé. C’est probablement lié à l’intensification de ces attaques médiatiques ", analyse-t-elle. " Les gens sont vraiment très inquiets (…) pour eux-mêmes, leurs enfants, leurs proches ", ajoute la psychologue. Si la guerre cognitive est prévue pour être un des champs de bataille du XXIe siècle, la guerre de l’information est plus ancienne. Elle prouve, dans le contexte de la crise ukrainienne, et ce malgré ses formes parfois grossières, qu’elle n’a pas pris une ride.Avec AFP

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