Dans ces temps où le pays nous échappe chaque jour un peu plus, comme une urgence de retourner vers nos fondamentaux, de retrouver nos repères, de se reconnecter avec nos monuments, vestiges, richesses, fiertés nationales, en deux mots récupérer notre territoire.

Il est des anniversaires qui font bondir à nouveau le cœur. C’est en décembre 1998 que la vallée de la Qadisha a été officiellement inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco dans la catégorie " paysage culturel ". Le Liban avait en effet présenté un double dossier au comité en incluant également les Cèdres de Bécharré. Plus que de la fierté légitime, on ne peut que ressentir un grand soulagement. Les menaces se multipliaient et, comme toujours au Liban, il faut se battre contre les destructeurs. Dire que cette vallée est un trésor pour l’humanité n’est pas peu dire.

D’abord le nom. La vallée magnifique s’octroie le privilège de répondre à deux appellations. Qadisha qui signifie sacré en syriaque ou Wadi Qannoubine qui vient du grec koinobion qui veut dire couvent ou communauté monastique. Mais sous les deux noms, un même lieu habité depuis les temps préhistoriques et refuge ou lieu d’échange selon les époques. Grottes, couvents, vestiges archéologiques, paysages à couper le souffle, cette parenthèse divine qui se divise en deux sillons parallèles au milieu desquels danse un fleuve a vite fait de nous transporter dans une dimension autre… infinie.

Considérée comme le berceau de la communauté maronite libanaise, la vallée entourée de vingt et un villages regroupe une vingtaine d’ermitages et trois grands monastères ainsi que des grottes dont certaines revêtent pour les visiteurs un caractère plus que sacré. Elles auraient bien sûr servi de refuge aux moines et à des familles entières fuyant les diverses invasions mais également de postes de guet à l’époque des Croisés. C’est de ces grottes où dès le IIIe millénaires avant J. C., les pèlerins venaient célébrer la mort de l’Adon et sa résurrection, où les jacobites, Éthiopiens, syriaques, melkites et même soufis musulmans ont laissé leurs traces que sont partis la plupart des espaces aménagées pour devenir plus tard des couvents ou des lieux de culte de diverses importances.

Parmi les plus imposants, le monastère de Qannoubine bien sûr, siège du patriarcat maronite durant 400 ans (1440-1899), où sont enterrés dans une chapelle à proximité 18 patriarches et où des fresques murales se laissent admirer. Il est habité aujourd’hui par des religieuses.
Deir Mar Antonios Qozhaya se dresse là, grand et majestueux depuis le Moyen- ge. Et l’émotion est au rendez-vous lorsque l’on sait que depuis le XVIe siècle on y imprimait des livres sacrés. Du fond de cette vallée, la culture se propageait et on peut y admirer encore aujourd’hui une imprimerie plus récente et visiter le musée de l’imprimerie. L’Unesco a décerné au monastère en 1982 la médaille de la première imprimerie du monde arabe.
Deir Mar Elichaa ou couvent Saint Elysée, un des plus grands centres d’ermitage de la vallée sainte et restauré en 1994, est une suite de plusieurs grottes creusées dans la roche.
On a aussi envie d’évoquer Mar Assia qui recèle des traces des Ethiopiens présents dans la vallée, Deir el-Salib aux fresques médiévales, la chapelle de Saidet Haouqa qui devient lieu de pèlerinage lors de la fête de l’Assomption de la Vierge, la chapelle de Mar Chmouni construite au Moyen- ge.

Et tellement de choses encore à dire et à découvrir que l’on comprend vite que c’est bien plus qu’une escale, mais un pèlerinage, une initiation, une quête, une élévation spirituelle, une reconnexion à l’absolu. Je suis né aux pieds des Cèdres du Seigneur, au bord de la vallée sainte dans un village nommé Bécharré. Comme Gibran Khalil Gibran, ne jamais oublier, jamais, le caractère sacré de cette terre aujourd’hui martyrisée.