Dans ces temps où le pays nous échappe chaque jour un peu plus, comme une urgence de retourner vers nos fondamentaux, de retrouver nos repères, de se reconnecter avec nos monuments, vestiges, richesses, fiertés nationales, en deux mots récupérer notre territoire.

Entouré d’arbres encore là malgré tout, le champ de courses est bien calme aujourd’hui. Et pourtant il a bien quelque chose à célébrer. C’est en décembre 1915 que l’hippodrome du parc de Beyrouth pour l’encouragement des races chevalines arabes en Syrie et au Liban est créé. Le wali ottoman de l’époque Azmi Bey avait des velléités de moderniser la ville. Le président du conseil municipal de Beyrouth, Kanaan Taher Bey avait alors accordé, dans le cadre d’un bail de 50 ans, l’exploitation d’une forêt de 600 000 m2 à Alfred Moussa Sursock dans le but de créer des cercles de jeux, des terrains de sport, des chemins de promenade, un cinématographe et surtout un champ de courses.

Depuis le temps des Romains, les courses de chevaux ont toujours été une tradition sur notre terre comme en témoignent notamment les hippodromes de Tyr et de Beryte. Plus tard en 1884, des pistes de courses se sont improvisées à Bir Hassan qu’on appelait Marmalé, et sur lesquelles les propriétaires et éleveurs faisaient courir leurs magnifiques chevaux arabes.

Le Casino Club Azmi dont l’architecte est Gaspard Nafilyan sera achevé en 1917 dans des circonstances rendues très difficiles par la guerre qui sévissait alors. Il ne sera jamais inauguré et servira d’hôpital avant de devenir la résidence de François-Georges Picot, en octobre 1918. Mais revenons à l’hippodrome qui achevé en 1919 sera inauguré en 1920. Un pari gagné.

Avec ce début du mandat, cet édifice d’inspiration mauresque suscite l’engouement et très vite les rendez-vous du week-end deviennent une tradition. La passion réunit les parieurs, les éleveurs, les jockeys, les élégantes et les mondains. Les tribunes construites en 1924 sont pleines et l’enthousiasme n’a d’égal que la pureté des races des chevaux qui venaient de toute l’Arabie et de la Syrie s’entraîner au Liban. En 1930, il n’y avait pas moins de 360 courses par an et 500 chevaux en compétition sur 1240 mètres de piste. Les première lois réglementant les courses et les paris sont émises en 1932. L’épouse du Haut-Commissaire Damien de Martel, passionnée d’équitation, y organise des rencontres de la haute société d’alors qui allie le sérieux des paris et la liesse des retrouvailles. Une institution.

Mais le véritable âge d’or se situerait vers la fin des années 50 dans un Liban en pleine effervescence. Un Liban qui accueillait les têtes couronnées, les vedettes de cinéma et de la chanson et des touristes venus nombreux admirer ce pays aux mille vestiges, aux mille chapitres d’histoires et aux mille et une nuits. En 1961, 630 courses et plus de 900 chevaux, plus de 5000 personnes les dimanches, et beaucoup plus lors des Grands prix du Liban et des tribunes foulées par les rois Fayçal II d’Irak, Paul de Grèce, Hussein de Jordanie, le shah d’Iran, le général de Gaulle, venus assister aux seules courses hippiques du monde arabe. Le succès et le public étaient au rendez-vous et l’on venait de toute la région goûter à la ferveur des courses, des paris, des rendez-vous équestres et surtout admirer les chevaux magnifiques et altiers qui paradaient fièrement. Les écuries affichent les couleurs des grandes familles. Une fête.

En 1966, et avec la fin de la concession accordée à la famille Sursock, la municipalité a tenté de gérer les choses avant de passer la main aux propriétaires des écuries prestigieuses comme Henri Pharaon, Moussa de Freige, les familles Daouk et Ghandour en autres qui créeront une association (la Sparca, Société pour la protection et l’amélioration de la race chevaline au Liban) pour entre autres gérer l’hippodrome. C’est un grand succès avec de vraies innovations comme l’éclairage des pistes pour des courses nocturnes, un système électronique pour gérer les paris. Le Tout-Beyrouth mondain et politique, les diplomates étrangers et beaucoup de touristes se pressaient dans les tribunes, les femmes avaient de grands chapeaux et les hommes une certaine idée de l’élégance, les Grand Prix se succédaient et l’hippodrome ressemblait à une ruche bourdonnante avec de grands projets internationaux à l’horizon. En 1974, près de 488 courses se sont déroulées avec plus de 1200 chevaux et des jockeys venus de partout. Une consécration.

La guerre viendra interrompre le formidable élan des courses et transformera les lieux en lignes de démarcation. Lieu de passage ou de non passage. Même si les courses reprenaient de temps en temps, l’hippodrome peinait à retrouver son panache. Les écuries pâtissent de l’instabilité et l’hippodrome perd beaucoup d’argent. Détruit et déserté en 1982, il faudra une intervention haut placée pour que les pauvres chevaux coincés à l’intérieur de leurs boxes et mourant quasiment de faim soient évacués. Une désolation.

Dès la fin de la guerre, l’hippodrome est rebâti par la Sparca avec l’espoir de lui redonner sa prestance d’avant-guerre. Il reprendra ses activités le 6 janvier 1999. Aujourd’hui il reste un hippodrome au milieu de 200 000 m2 de verdure et d’arbres. Un lieu encore préservé que Nabil de Freige actuel président de la Sparca gère avec les aléas de ces drôles de temps. Les courses se déroulent le dimanche et les parieurs sont quand même au rendez-vous. Sans oublier de nombreuses manifestations annuelles comme le Garden Show, le Spring Festival et le Vinifest qui ne demandent qu’à reprendre du service. Même si l’hippodrome est en sursis comme le reste du pays, ne jamais oublier qu’en dehors de sa vocation touristique et économique, il est avant tout une vitrine du Liban qu’on aime mais aussi un vrai poumon vert, comme ça, au milieu du gris.