Remake du célèbre film de Paolo Genovese, "Ashab Wala Aazz" s’est classé numéro un des visionnages dans le monde arabe. Le film a provoqué l’ire des conservateurs égyptiens. Pour l’ONG Helem, "le fait que ce film soit sur Netflix lui permet une grande exposition, à l’ombre des censures des régimes autoritaires".

Une femme qui trompe son mari, un homme gay qui fait son coming out, une jeune fille qui dort chez son petit ami, un sous-vêtement féminin montré à l’écran… Il n’en fallait pas plus pour susciter l’ire des conservateurs et des adeptes habituels de la censure dans le monde arabe. Si ces personnages banals sont légion dans les milliers de séries et films produits par Netflix, Perfect Strangers ("Ashab Wala Aazz") est le premier long métrage arabe au casting libano-égyptien produit par la firme américaine leader des sites de streaming.

Adapté pour la seizième fois à l’écran après des versions française, chinoise, russe et brésilienne, le film italien de Paolo Genovese, sorti en 2016 et qui a connu un succès mondial, est cette fois revisité par le réalisateur libanais Wissam Smayra. Le film s’est rapidement classé numéro un dans de nombreux pays arabes : en Égypte, en Arabie Saoudite, au Qatar, au Liban, en Jordanie et au Koweït. Si la trame narrative et les personnages sont fidèles au scénario original, les touches libanaises sont bien présentes. Au casting, on retrouve Nadine Labaki, Georges Khabbaz, Diamand Abou Abboud, Adel Karam, Mona Zaki, Eyad Nassar et Fouad Yammine.

Plainte contre l’actrice Mona Zaki

En Égypte, moins de vingt-quatre heures après son lancement le 22 janvier, le film a provoqué un débat houleux dans les médias et sur les réseaux sociaux, jusqu’à la Chambre des représentants, où l’homme politique Mustafa Bakri a accusé le long-métrage de promouvoir "l’infidélité et l’homosexualité". Sur Twitter, plusieurs messages à caractère homophobe ont été publiés, le film y est décrit comme un "crime" et des appels à poursuivre les producteurs ont été relayés. Pour l’avocat égyptien Ayman Mahfouz, le film est "un complot pour déstabiliser la société arabe". Ce dernier a engagé des poursuites pour tenter de retirer le film de la plateforme Netflix. Le site égyptien BiTajarod fait également mention d’une plainte déposée contre l’actrice Mona Zaki, célèbre dans son pays. L’une des scènes du film la montre furtivement retirer sa culotte.

Face à cette vague d’idées rétrogrades et aux appels à la censure, de nombreuses voix se sont aussi fait entendre pour soutenir la liberté d’expression et les thèmes développés dans ce film qui permet d’aborder des sujets de société importants habituellement tenus à l’écart des écrans arabes.

Ayman Mhanna de l’ONG SKeyes, rappelle que "ce n’est pas la première fois qu’un cas pareil se présente sur Netflix. Il y a deux ans, c’est la série jordanienne Jinn qui a suscité la polémique. Le plus triste, c’est que le cinéma égyptien était pionnier en matière de liberté de mœurs dans les années 1950-60. Et quelle ironie de voir la campagne actuelle contre ce film, sous le mandat, soi-disant laïc, d’Abdel-Fattah el-Sissi".

Un hashtag #IAmAlsoPerfectStranger est devenu viral sur la toile égyptienne pour soutenir le film. Sur Twitter, les utilisateurs libanais ont majoritairement défendu le film. "Pourquoi une scène de sous-vêtements dans Perfect Strangers provoque-t-elle une onde de choc à travers le monde arabe alors qu’il y a un silence total quand il s’agit des histoires quotidiennes de femmes assassinées, violées ou agressées ? Est-ce vraiment une question de morale et de valeurs familiales ?", s’est demandé L. Zhaim dans un message devenu populaire. D’autres ont dénoncé l’hypocrisie générale qui règne autour de ces sujets classés " tabou " dans les sociétés moyen-orientales. Pour sa part, l’acteur égyptien Amr Waked, connu pour ses rôles dans les superproductions Lucy et Syriana, a tweeté que "toute personne pensant qu’un film peut affecter ses croyances n’est en fait pas croyant".

L’ONG Helem réagit

Pour Whard Mougharbel, coordinateur à l’association Helem en charge de la défense des droits des LGBT+, "le film a le mérite d’ouvrir la porte à la discussion des thématiques liées à la sexualité, à l’émancipation des femmes et à d’autre sujets mis au ban du débat public actuel. Le fait que ce film soit sur Netflix lui permet une grande exposition, à l’ombre des censures des régimes autoritaires".

Si ce film fait tant parler de lui, c’est en raison d’un autre travers du cinéma actuel, selon le responsable de Helem : "L’absence d’approches progressistes et inclusives dans le cinéma arabe actuel a laissé place aux stéréotypes qui dominent les écrans de cinémas".

"Si Perfect Stranger a l’honneur de soulever des questions tabous dans les sociétés arabes, la présence de l’acteur Adel Karam dans ce film pose question. Par le passé, il avait campé un personnage gay aux traits très stéréotypés dans Majdi & Wajdi, ce qui avait beaucoup choqué. L’expression est d’ailleurs devenue un terme péjoratif. Par ailleurs, si l’homosexualité est abordée dans ce film, l’acteur qui incarne ce rôle n’est en revanche pas un acteur LGBT. Nous aurions aimé que cela soit le cas. Ce débat est également d’actualité en Occident et devrait aussi avoir lieu ici", conclut Whard Mougharbel.

Si le film n’est pour l’heure pas censuré, Ayman Mhanna se montre prudent. "Les plateformes de streaming constituent bien entendu un espace où le contenu a plus de liberté. Cependant, Netflix demeure une compagnie privée à but lucratif. Quand la pression des autorités devient telle que Netflix risque la suspension pure et simple, leur contenu est modifié, pour les maintenir en ligne."

Contacté par Ici Beyrouth pour commenter l’affaire, Netflix n’a pas souhaité s’exprimer.