Plusieurs groupes de Libanais ont quitté Kharkiv ou Kiev depuis vendredi. Dimanche en soirée, ils n’avaient pas encore atteint les frontières polonaises ou roumaines.

La route est longue. Très longue. Quinze heures en moyenne, ou plus, passées en voiture, la peur au ventre. Est-ce la peur ou la faim qui explique ce nœud à l’estomac qu’évoquent les Libanais qui, au péril de leur vie, essaient depuis jeudi d’atteindre les postes  frontières polonais ou roumains. Ils ont une seule idée fixe en tête: arriver coûte que coûte dans un lieu sûr. Fuir l’enfer ukrainien avant qu’il ne se referme sur eux. Certains sont étudiants. D’autres fuient en famille. Ceux-là vivent depuis des années en Ukraine où ils ont développé leurs propres entreprises, disséminées dans différentes villes de ce pays que la Russie a envahi.

Depuis le début de l’offensive russe, ils ont suivi les instructions des municipalités, se sont cachés dans des abris à attendre, sans trop savoir quoi. Beaucoup y sont encore. D’autres, pris de peur, fatigués de se cacher et de vivre au rythme des missiles qui tombent de plus en plus fréquemment, décident de partir. C’est le cas de Radwan, Youssef, Rami et tant d’autres. Il y en a qui ont voulu prendre le train et se sont déplacés vers les gares à Kharkiv ou à Kiev. D’autres ont décidé de faire le chemin en voiture.

Vendredi, Radwan et cinq amis quittent Kharkiv à bord de deux voitures et entament un périple de plus de 15 heures pour atteindre les frontières polonaises. Quinze heures de cauchemar, de stress et une grande fatigue.

Ils évitent les grandes villes où les affrontements sont violents, coupent à travers les forêts, conduisant à 150 km/heure. Les missiles tombent entre les voitures. Ils slaloment entre des cadavres gisant par terre, des chars en flammes. Les avions survolent la ville et le bruit des explosions leur parvient. Ils regardent sans voir ce qui se passe autour d’eux et accélèrent pour ne pas s’attarder. Il n’y a pas de place pour les émotions fortes. Il faut qu’ils arrivent le plus tôt possible dans un endroit sûr pour pouvoir enfin dormir. Ils rêvent de dormir.

" On crie, on pleure, on se dispute! "

D’autres groupes de Libanais se rendent dans les gares de Kiev et de Kharkiv. Elles sont bondées. La foule est nombreuse, opaque. Ghada, Ahmad, Rami, Louay, Élias, Mariam, Nour, Darwiche attendent. Des missiles tombent. Les gens doivent rester encore cachés avant de pouvoir monter à bord des trains. Dans les wagons, on se serre les uns contre les autres. " Il y a des gens partout. Dans les couloirs, par terre…, raconte Ahmad, à Ici Beyrouth. On crie, on pleure, on se dispute. Tout le monde est à bout de nerfs. On parle pour cacher sa peur et pour essayer de camoufler avec sa voix le bruit des missiles, des avions et des chars. "

" Tout est fermé "

Les différents groupes arrivent enfin à Lviv, dernière station avant la frontière. Ils reçoivent tous des messages et des numéros de téléphone de personnes chargées de leur faciliter le passage vers la Pologne et la Roumanie. " Mais personne ne répond. Nous avons appelé à plusieurs reprises ", se désolent Youssef, Ahmad, Radwan et les autres. Ils s’étaient accrochés à ce numéro, leur ticket de sortie, comme à une bouée de sauvetage.

Il neige. Ils ont froid et faim, eux aussi. Les déplacés essaient de trouver un endroit pour manger et dormir avant d’entamer une longue marche vers la frontière. " Hélas, tout est fermé ", soupire Radwan. Les gens paniquent de plus en plus. La gare de Lviv est elle aussi bondée.

Des bus gratuits proposent aux rescapés des villes bombardées de les emmener à la frontière. Mais encore faut-il pouvoir se frayer un chemin pour monter. La mission semble impossible. Ceux qui en ont les moyens prennent alors des voitures. D’autres prennent leur courage à deux mains et décident de marcher. " Le trajet peut durer entre quatre et vingt heures ", explique Nour. Sac-à-dos, bagages en main, il n’y a plus qu’une seule chose qui les motive: l’espoir. Les chaussures crissent sur les trottoirs enneigés. La peur est immense. Le danger est partout.

L’attente peut durer 60 heures

Dimanche matin, Radwan était à 15 kilomètres de la frontière. Les files de voiture sont interminables. L’attente peut durer soixante heures, voire plus, selon la situation. Le but est tout à la fois si proche et si loin.

La connexion Internet est très lente. Ceux qui sont à pied ne peuvent plus donner de nouvelles à leurs familles, parce que les batteries de leurs téléphones sont à plat. Ceux qui sont en voiture attendent patiemment leur tour.

Quinze heures de route. Plus de dix heures de marche et 24 heures d’attente. Ils sont encore aux frontières… à attendre.