En ces temps de crise prolongée, la lecture est devenue un luxe pour de nombreuses personnes qui ont du mal à joindre les deux bouts. L’ingéniosité de certaines librairies leur permet de continuer à s’offrir ce plaisir, dans la mesure du possible.

Dans une librairie de Beyrouth, une femme saisit un livre. Elle le feuillète, le retourne, vérifie le prix, puis le remet à sa place. La déception se lit sur son visage. Elle en attrape un autre, répète le même rituel. Plus loin, dans le coin réservé aux juniors, une maman et ses enfants discutent du choix à faire pour chacun d’entre eux. Devant les innombrables étagères, plusieurs clients se contentent de vérifier les dernières parutions. D’autres, moins nombreux, sont plus décisifs et décident de s’offrir un livre.
Avec la crise économique qui sévit depuis plus de deux ans et la dévaluation de la monnaie nationale, les livres et magazines sont devenus un luxe pour une grande majorité de la population. " J’étais habituée à acheter plusieurs livres par semaine, confie une femme. Maintenant je n’achète en librairie que les livres qui sont vraiment intéressants. J’essaie de trouver d’autres moyens pour m’en procurer, via des associations où je peux à la fois acheter un livre et aider l’ONG à poursuivre son action sociale. "
Afin de permettre aux lecteurs d’entretenir leur passion, certaines librairies ont trouvé des " astuces " pour permettre à cette culture de subsister en ces temps contraignants. Émile Tyan, PDG de Hachette-Antoine, explique à Ici Beyrouth que la hausse vertigineuse des prix des livres et magazines importés est due à la dévalorisation de la monnaie nationale à laquelle est venue s’ajouter les coûts de transport qui ont considérablement renchéri.
Pour pallier ce problème, les maisons d’éditions françaises ont décidé d’aider le marché au Liban en proposant plusieurs formules. D’abord, un prix spécial Liban a été lancé pour les magazines. " Ils sont tarifés de manière à ce que les prix sur les marchés libanais et français soient similaires, ajoute M. Tyan. Ils ne sont plus calculés au taux du jour comme c’était le cas. Cette formule a été conçue après que les maisons d’édition françaises ont remarqué que les Messageries du Moyen-Orient faisaient beaucoup de concessions au niveau de leur propre marge de bénéfices ". Selon M. Tyan, cette formule est en cours d’essai sur une période de trois mois. " Si nous arrivons à démontrer qu’à travers des prix bien étudiés, les ventes s’améliorent, la procédure pourrait être pérennisée. "

Offres spéciales pour le Liban
En ce qui concerne les livres, la Librairie Antoine avait amorcé en 2020 une édition spécifique pour le Liban. Conscient du fait que les prix des livres importés étaient devenus hors de la portée d’une large partie du lectorat libanais en raison de la crise financière et économique, Émile Tyan avait conclu un accord entre le groupe Hachette et Antoine Liban pour imprimer des éditions spécifiques pour le pays. " Ces éditions sont des permissions d’impressions locales de la part de certaines maisons d’édition françaises de best-sellers ou de titres-phares, ce qui permet de les offrir aux lecteurs à des prix très abordables ", souligne-t-il. À part ces formules dédiées aux magazines et aux livres, la Librairie Antoine fait en plus des promotions sur les livres sortis il y a plus de huit mois, selon un barème de prix équivalent à une remise de 40%. Ce qui permet aux lecteurs de trouver les derniers ouvrages de leurs auteurs favoris à des prix abordables.

Préserver sa bulle de lecture 
La Librairie Stéphan s’est, elle aussi, lancée dans un mécanisme pour remédier à la situation économique. " De grandes promotions ont été faites sur les réseaux sociaux, pour évaluer le nombre de personnes encore intéressées par l’achat de livres ", souligne à Ici Beyrouth la directrice Rania Stéphan. " Les demandes ont largement dépassé nos attentes, poursuit-elle. Des commandes ont été livrées sur l’ensemble du territoire, y compris à Tripoli et au Akkar. "
Cela a encouragé Rania Stéphan à chercher d’autres alternatives qui " mettraient les livres à la portée de tout le monde ". Ainsi, à part les promotions régulières, cette même librairie propose une bibliothèque roulante (mise en place durant la guerre civile par les fondateurs) dans l’une de ses branches, ce qui donne l’occasion aux lecteurs de louer des livres à un bon prix. La Librairie Stéphan propose également des offres sur les livres non-récents, ainsi que sur des coffrets pour enfants avec des paiements échelonnés sur 10 ou 12 mois. Pour Rania Stéphan, " il est essentiel d’accompagner les gens en ces temps difficiles et de rester aux côtés de ceux qui veulent continuer à lire ".
Face à la crise qui ne cesse de s’aggraver, de nombreux lecteurs ont changé leurs habitudes, d’autant que leur pouvoir d’achat a nettement baissé. Aussi, nombreux sont ceux qui ont confié " lire les livres et les magazines en ligne ". D’autres se sont tournés vers les podcasts ou les éditions de Poche. De plus, les férus de lecture se procurent souvent leurs titres de l’étranger par le biais d’amis… Enfin, la méthode classique de se prêter les livres a été renforcée, au grand bonheur des férus de lecture.