Mon Liban est souffrant… Un cercle vicieux de souffrance, vraisemblablement sans issue… Certains essaient encore d’y survivre, s’armant de courage contre les multiples injustices au quotidien, d’autres essaient de s’en sortir, la plupart suffoque et essaie de partir… Valises faites, ils quittent la chaleur de leurs douces racines pour aller déployer leurs ailes vers d’autres horizons, dans des pays où le collectif prend le dessus, où l’humain est respecté à sa juste valeur, où l’avenir semble meilleur… où politique ne rime pas avec décadence morale et corruption systémique !

Quant à moi, je mène un conflit au quotidien. Me débattant contre l’idée de quitter, je me demande comment pouvoir réparer cette société complexe qui me semble complètement pourrie, pour pouvoir encore y survivre. Pour trouver des solutions, je commence par me demander : " Quel est donc le principal problème de ce pays qui nous attire et nous repousse à la fois ? ".

Pour moi, la source de tous nos problèmes se résumerait en un seul mot, la base de tous nos maux : l’individualisme.

Nous n’avons pas d’identité collective qui nous réunisse tous en tant que Libanais autour d’un même but. Nous avons été habitués à vivre divisés… divisions historiques, religieuses, politiques, voire tribales… Nous sommes peut-être un pays, mais nous ne sommes pas une nation.

Oui, les Libanais sont charmants, sociables, affables, généreux, chaleureux, amicaux… Oui, nous aimons vivre, dansons au lieu de pleurer, faisons la fête pour noyer notre dépression, évacuons notre frustration dans un narguilé au lieu d’agir, laissant tout espoir partir en fumée… Oui, si quelqu’un nous rend visite, nous déployons une table de mets pour trente personnes même si nous n’avons pas de quoi payer notre loyer à la fin du mois… Oui, nous avons la volonté de nous entraider…

Mais nous sommes surtout pris par la vague du " chacun pour soi ", au quotidien, dans les détails…

Chacun se plaint des politiciens corrompus au pouvoir, mais ce même Libanais critique, jette ses déchets par la fenêtre de sa voiture, dépasse les deux files d’embouteillage, ouvrant une troisième à sa guise et bloquant le sens inverse juste pour passer lui-même avant les autres. Le commerçant ne pense qu’à se remplir les poches, cachant le lait infantile et les médicaments dans ses dépôts pour les vendre ultérieurement aux nouveaux prix et faire plus de profit, alors que les enfants de son pays meurent de faim et d’une simple fièvre !
Ce simple citoyen libanais qui ne pense qu’à lui, a en fin de compte les mêmes principes et valeurs que celui qui est en poste au gouvernement et qui remplit ses propres poches au lieu de penser au bien commun.

Si nous ne mettons pas le collectif en avant, si nous ne nous battons pas tous ensemble, unis, pour construire un vrai pays où les règles sont respectées, où les coupables sont jugés, où le " nous " passe avant le " moi ", alors nous n’aurons jamais de vraie nation.

Le Liban restera réduit à une fonction de simple couloir des civilisations de passage qui en profitent… Une terre de passage… Une terre que chacun exploite pour soi. Une terre riche en ressources où chacun vend son âme sans être conscient des dommages subséquents. Une vaste fosse commune pour nos rêves. Une petite jungle ensoleillée où nous ne nous retrouverons plus jamais.

Sans solidarité, le Liban cessera d’exister.

Le " chacun pour soi " nous a détruit.

Seule une prise de conscience de ce trésor inestimable que constitue la culture du lien et de l’altérité pourrait nous sauver.