Les rédacteurs sont invités à élire douze membres du conseil dont le président, alors que de nombreux consœurs et confrères dénoncent le fait que ce syndicat soit sous l’emprise des acteurs politiques et propriétaires de médias.


Après les avocats, les pharmaciens et les dentistes, c’est au tour des journalistes de la presse écrite de se présenter aux urnes. Demain, mercredi 1er décembre, les 910 journalistes inscrits à l’ordre s’étant acquittés de leurs cotisations, sont invités à choisir douze membres du conseil de l’ordre, au nombre desquels le président. Les élections se dérouleront entre 9h et 17h, au siège de la Confédération générale des travailleurs libanais (CGTL), rue du Fleuve.

Le président actuel de l’ordre, Joseph Kossaifi, a affirmé à Ici Beyrouth que toutes les mesures sécuritaires et sanitaires ont été prises pour que les élections se déroulent en toute sérénité.
Hormis les candidats individuels, une liste complète, menée par Joseph Kossaifi, et deux autres incomplètes s’affronteront pour représenter les journalistes au sein du conseil de l’ordre :
"L’Unité syndicale" compte en plus de M. Kossaifi, Salah Takieddine, Nafez Kawass, Georges Chahine, Ali Youssef, Wassef Awada, Scarlett Haddad, Youmna Chakar Ghorayeb, Walid Abboud, Hanadi Samra, Georges Bkassini et Ghassan Rifi.

"La liste des journalistes indépendants" est composée d’Anthony Geagea, Nouhad Topalian, Yakzan al-Taki et May Abboud Abi Akl. Enfin, la liste "Journalistes pour un syndicat libre" comporte Rima Khaddaj, Khalil Fleyhane, Daoud Rammal, Marlène Khalifé, Mohammad al-Dika, Jeanne d’Arc Abi Yaghi et Safa Kara Mohamad.

Créé à la suite du soulèvement populaire du 17 octobre 2019, le groupe "Un syndicat de presse alternatif" a annoncé lors d’une conférence de presse ce midi, que la journaliste Elissar Koubeissi a présenté sa candidature pour pouvoir surveiller les élections, notamment à la suite des différentes violations constatées lors des anciens scrutins. Pour la coordinatrice du mouvement, Elsy Moufarrej, les journalistes "n’ont pas droit à une élection, mais à un simulacre de démocratie". Elle insiste sur l’importance de la candidature du groupe pour " garantir les droits de tous les journalistes dont la plupart ne sont pas membres de l’ordre et ne veulent pas y être ".

Contacté par Ici Beyrouth, un confrère ayant requis l’anonymat, affirme ainsi " ne pas vouloir s’inscrire " à l’ordre parce qu’il considère que celui-ci ne le " représente pas ". "L’ordre a besoin d’être modernisé et de se réinventer pour ne plus être sous l’emprise de l’establishment politique, avance-t-il. La presse est censée être un contre-pouvoir et non pas le simple reflet d’une classe politique archaïque."

Cette problématique est d’ailleurs soulevée par les différents candidats et listes qui critiquent la politisation du conseil sortant et la liste présidée par Joseph Kossaifi. "En tant que journalistes au Liban, nous avons un héritage à défendre, des martyrs à respecter comme Nassib Metni, Samir Kassir ou Gibran Tueni, nous ne devons pas être des agents de la classe politique", défend May Abi Akl, critiquant l’ingérence politique dans la campagne.

Même son de cloche chez Habib Chlouk qui accuse "des instruments du pouvoir d’interférer dans les candidatures et d’avoir divisé les journalistes indépendants". C’est le cas, explique-t-il, des deux listes "Journalistes indépendants" et "Journalistes pour un syndicat libre" qui étaient supposées n’en former qu’une seule et soutenir sa candidature à la présidence de l’ordre.

De son côté, le candidat Khalil Fleyhane insiste sur le besoin d’avoir du "sang nouveau pour le changement". Il fait campagne pour que le syndicat protège les journalistes des autorités politiques. Il plaide dans ce cadre en faveur d’une interdiction d’emprisonner un journaliste et insiste sur la nécessité de respecter sa fonction. "Le syndicat de presse alternatif" appelle, lui aussi, à la protection des journalistes. Ses membres critiquent l’inaction de l’ordre au cours des dernières années, notamment lorsque les journalistes ont été agressés lors des manifestations ou convoqués par la justice civile et militaire.

Un enjeu social

Pour les journalistes électeurs, tout comme pour les candidats, un autre enjeu majeur de ces élections est d’ordre social: intégrer les journalistes à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), faire en sorte que tous les journalistes membres de l’ordre puissent bénéficier d’une assurance médicale et d’une assurance vieillesse, et mettre en place une caisse mutuelle.

Le président sortant Joseph Kossaifi explique que l’adhésion de tous les journalistes à la CNSS "est sur la bonne voie, grâce au travail accompli par son conseil qui a permis qu’une loi soit présentée dans ce sens". "Celle-ci elle est en cours d’étude", insiste-t-il. Une démarche qui reste "insuffisante", selon May Abi Akl, pour qui "il ne suffit pas de réclamer un accès à la CNSS ou de créer une caisse de retraite puisque d’une part, le nombre de journalistes adhérents et le montant de leurs cotisations ne suffiraient pas à renflouer celle-ci". "D’autre part, il faut moderniser le fonctionnement de l’ordre", martèle-t-elle. Dans ce contexte, Mme Abi Akl plaide en faveur d’une solution à long terme qui consisterait à encourager les journalistes à rejoindre l’ordre pour "initier un changement fondamental". "Nous voulons décloisonner l’ordre pour que tous les journalistes puissent s’y inscrire et ressentir une appartenance", confie la candidate à Ici Beyrouth.

Un autre enjeu de taille, qui semble unir les différents candidats, reste l’ouverture des inscriptions à l’ordre aux représentants des différents médias numériques et audiovisuels. Cela sous-entend toutefois un amendement de la loi sur les imprimés qui date des années 1960. "Nous avons déjà accepté l’adhésion de plusieurs journalistes, confie M. Kossaifi. Nous avons imposé ce fait." Et d’assurer que la porte est ouverte à tous les confrères qui le souhaitent. Or, selon les adversaires de Joseph Kossaifi, l’adhésion à l’ordre n’est pas transparente. "Être sur les listes de l’ordre relève du clientélisme au profit de son président et des propriétaires de médias", critique ainsi Elsy Moufarrej, qui insiste sur le fait que la "bataille menée pour l’indépendance des médias est tout aussi importante que celle menée pour l’indépendance de la justice."