Peinture, dessin, sculpture, photographie, scénographie, architecture, graphisme, design…, Sandra Saab est une artiste pluridisciplinaire aux sources d’inspiration multiples. La Galerie Vallois présente son travail pour la première fois, du 1er au 23 décembre, dans son espace du 41 rue de Seine. Pyxis est une plongée dans le monde intérieur de Sandra Saab, un univers atypique, intemporel et profond.

Cette exposition est construite autour de l’intrigante série de figures en argile qu’elle a sculptées directement à l’intérieur de boîtes à cigares, sans esquisse préparatoire. Le père de Sandra était amateur de cigares, aussi ces boîtes ont-elles toujours fait partie du quotidien de l’artiste. Elle avait l’habitude d’y stocker de petits objets, puis les a utilisées pour faire des meubles. En 2007, après avoir sculpté la Madone d’argile de son exposition Souls of Africa, Sandra a récupéré les chutes de terre et les a réunies dans une de ces boîtes. Frappée par la beauté des volumes, sur lesquels venaient jouer l’ombre et la lumière, elle a remodelé la matière et fait émerger du chaos un visage. Laissé de côté, ce travail a resurgi comme une évidence pendant la période du confinement, permettant à Sandra de traduire son angoisse de l’enfermement et de l’isolement et par là même de la conjurer. La série des organes sensoriels brisant les sphères dont ils sont prisonniers répond à un cauchemar concomitant: celui d’être privée de ses cinq sens, coupée ainsi de tout contact avec le monde extérieur, terreur ultime pour cette artiste et passionnée de voyages.

L’artiste aborde les questions identitaires

Dans sa façon de fragmenter les visages, d’isoler œil, nez, bouche, oreille…, Sandra Saab s’inscrit dans un questionnement identitaire initié au début du XXe siècle avec le cubisme et porté à son paroxysme par les surréalistes. Cette collection de visages humains "tronqués" et mis en boîte produit sur le spectateur une forte impression d’étrangeté, en même temps qu’elle entre en résonance avec les mots d’André Breton lorsqu’il évoque dans son Dictionnaire abrégé du surréalisme "cette boîte à multiple fond qui s’appelle l’homme". Le trouble ressenti est d’autant plus intense que ces visages, traités avec beaucoup de réalisme et un grand sens du mouvement, semblent doués de vie et prêts à sortir de leurs boîtes, comme dans un conte fantastique. On se laisse alors aller à la rêverie et le souvenir nous revient d’autres boîtes dont le contenu charme les sens: boîte d’optique, coffret de magicien, cabinet de curiosité… Le travail de Sandra Saab fait surtout écho au mythe grec de la boîte de Pandore, cette femme fatale façonnée dans l’argile par Héphaïstos… En libérant de la Pyxis les maux qui, depuis, affligent le monde, elle a forgé le destin de l’humanité. Or c’est précisément l’humain qui est au cœur du travail de Sandra, qui explore avec beaucoup de finesse le large spectre des émotions: tristesse, mélancolie, passion, douceur, sensualité…  Avec les séries du Baiser et du Cigare, l’artiste va à l’encontre du geste de Pandore puisqu’elle capture dans ses boîtes les instants de plaisir, d’extase et de bonheur, que l’on voudrait faire durer toujours, et nous invite au carpe diem. Ces œuvres appartiennent de par leur petit format à la sphère intime; objets de fétichisme, elles sont faites pour être regardées de près, prises en main, touchées, caressées. Si chaque boîte se suffit à elle-même, la tentation est grande également de les juxtaposer, de les empiler, créant ainsi un dialogue entre les figures, des compositions aux rythmes différents, une musicalité particulière. On retrouve là une autre facette de l’artiste: la scénographie. Ces assemblages forment des petits théâtres de la condition humaine. Mais ces boîtes figurent-elles la scène ou les loges de spectateurs? Qui regarde qui? La série des Singes, particulièrement saisissante de réalisme, complète cette célébration de la vie et de l’intime par un appel à la sagesse. Dans un monde où nous sommes submergés d’images, de paroles et de bruits, où sphères publique et privée ont tendance à se confondre de plus en plus, l’artiste nous appelle à la réserve. Ce symbole des trois singes, hérité du confucianisme, fait ressortir une autre dimension des Pyxis de Sandra Saab, plus mystique, qui n’est pas sans rappeler l’artiste américaine Kiki Smith. Celle-ci développe sur des supports multiples une œuvre d’une grande spiritualité, mais aussi très organique et intuitive comme celle de Sandra, dont les organes isolés peuvent s’apparenter à des ex-voto et les boîtes à des reliquaires. Pour revenir à la pyxide, notons qu’au Moyen Âge, l’objet a changé de fonction pour servir de coffret à hosties… Pyxis est par ailleurs le nom latin abrégé de la constellation australe de la Boussole et désigne aussi une espèce de tortue, animal qui symbolise la Terre et représente la sagesse, la création et la patience.

Qui est Sandra Saab?

Sandra Alexis Saab est née au Liban en 1972 et a grandi à Monaco. Elle hérite de la sensibilité et du don artistique de sa mère, Jackie Acouri, qui n’aura de cesse de l’encourager dans ses choix. Sandra se fait ainsi remarquer dès son plus jeune âge par son talent de dessinatrice. En 1995, elle obtient son diplôme d’architecte d’intérieur à l’Académie Charpentier à Paris et se diversifie en réalisant des meubles, portraits, illustrations publicitaires et cinématographiques, story-board, photos, peintures, sculptures, trompe-l’œil… Elle participe à des projets qui la conduisent à New York et au Bahreïn, expose dans des galeries et salons, remporte plusieurs récompenses dans diverses disciplines. De retour à Monaco en 2000, elle participe à des expositions collectives, reçoit des prix pour ses tableaux À l’italienne en 2004 et Le Baiser en 2005. Ses voyages la conduisent à explorer davantage l’univers de la photo. En 2007, elle réalise les esquisses scénographiques de l’exposition Monumenta d’Anselm Kiefer pour le Grand Palais à Paris et présente sa première exposition personnelle, Massai. D’autres suivront, notamment Souls of Africa qui est présentée en 2008 à Monaco et voyagera jusqu’au Mexique, où elle est accueillie par le Musée Joaquin Arcadio Pagaza, et Allegoric Hegemony en 2012 à Oslo, qui réunissait ses dessins à l’encre de Chine, dans la Monte-Carlo Galleri.

Tags :

Abonnez-vous à notre newsletter

Newsletter signup

Please wait...

Merci de vous être inscrit !