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Le jury du prix littéraire de la Grande Mosquée de Paris a décerné une mention spéciale à Victor Hugo et l’islam, de l’historien Louis Blin, aux éditions Erick Bonnier. Ici Beyrouth, qui avait interviewé l’auteur sur son livre-évènement après sa parution, s’est entretenu avec le diplomate et arabisant en exclusivité.

Dans un monde dévasté par "les identités meurtrières", Louis Blin poursuit son idéal de médiateur, de constructeur de ponts entre les cultures, avec une grande méticulosité, soutenu par la maison d’édition spécialiste du monde arabe et musulman, Erick Bonnier. Victor Hugo et l’islam a remporté, le 24 septembre 2024, la mention spéciale du prix littéraire de la Grande Mosquée de Paris. Il sera traduit en arabe et un autre livre du même auteur, Lamartine passeur d’islam sera lancé la semaine prochaine, également aux éditions Erick Bonnier.

Le jury de la Grande Mosquée de Paris récompense chaque année un roman et un essai sur la civilisation musulmane. Cette année, les prix ont été attribués à Nour Malowé pour son roman Le Printemps reviendra, Yasmina Khadra pour l’ensemble de son œuvre, Dorothée Myriam Kellou pour Essai sur la civilisation musulmane et Louis Blin qui a reconstitué, dans son ouvrage précité, l’évolution spectaculaire de Victor Hugo. Louis Blin répond aux questions d’Ici Beyrouth.

Avez- vous écrit Victor Hugo et l’islam dans l’intention de contribuer, à votre échelle, au dialogue des cultures en France et ailleurs, d’autant plus que Victor Hugo jouit d’une popularité énorme et qu’il est considéré comme le plus grand écrivain, poète et dramaturge français?

Tous les entretiens que j’ai accordés depuis la parution du livre, il y a un an, montrent à ma grande surprise que je m’étais trompé de public. En fait, le livre s’adressait au grand public français à une heure où nombre de nos concitoyens refoulent le volet islamique de leur culture, magnifiquement illustré par Victor Hugo. Ce public l’a boycotté. Pour eux, parler de Victor Hugo et l’islam c’est parler de l’eau et du feu. En revanche, les Français d’origine arabe mettent en valeur cette dimension de Victor Hugo.

Vous évoquez dans ce livre certaines divergences entre Hugo et Lamartine dans leur peinture de l’islam. D’ailleurs, vous lancez Lamartine passeur d’islam également aux éditions Erick Bonnier, la semaine prochaine. Qu’est-ce qui distingue essentiellement Lamartine et Hugo dans leur approche de l’islam?

Victor Hugo a compris l’islam dans sa spiritualité et à travers son admiration pour le Prophète, auquel il s’est identifié. Mais il n’a rien compris aux musulmans, qu’il n’a pas connus. Le Prophète et le Coran reviennent à une centaine de reprises dans son œuvre. Notre époque l’a oublié, car elle peine à admettre le message du plus grand écrivain français: on n’a pas besoin d’être musulman pour respecter l’islam. Cent trente-neuf ans après sa mort, Victor Hugo nous montre l’enracinement de cette religion dans la culture française et sa compatibilité avec les valeurs républicaines.

Lamartine appréciait particulièrement la vie du Prophète, qu’il a d’ailleurs rédigée et tout ce qui est rapporté dans Al-Sira al-Nabawiyya, ainsi que les musulmans qu’il a connus. Ce qui explique sa démarche œcuménique, c’est la tolérance qu’il a découverte au Liban, en 1832, alors qu’il venait d’une France qui ne comptait aucun musulman. De plus, il a vu qu’à Jérusalem, c’était une famille musulmane qui conservait la clé du Saint-Sépulcre, puisqu’il y avait une certaine rivalité entre les différents rites chrétiens, à ce niveau. Ébloui par l’Orient, creuset des religions monothéistes, il a dit: "Les Orientaux nous ont découvert les cieux."

Comment expliquer l’évolution de Hugo dans sa vision de l’islam ou du Prophète depuis Les Orientales, jusqu’à La Légende des siècles?

Au départ, il était islamophobe. C’est la mort tragique de sa fille, Léopoldine, qui a changé la donne. Il ne pouvait admettre que le "Dieu Amour", puisse permettre une chose aussi horrible. Il a cherché des réponses à ses questions obsessionnelles dans la lecture des livres religieux, notamment le Coran. Lui qui se prenait pour le prophète de son temps s’identifie au personnage de Mohammed dans les deux grands poèmes consacrés à l’islam de son principal recueil poétique, La Légende des siècles. Cette identification est mystique dans Le Cèdre et physique dans L’An neuf de l’Hégire. De plus, l’idée de l’abandon à Dieu dans l’islam l’a séduit. Pour Renan, Les musulmans sont victimes de l’islam, alors que pour Victor Hugo, c’est l’islam qui est victime des musulmans.

Dans notre précédent entretien, je vous avais demandé si Victor Hugo s’était converti à l’islam, comme certains le prétendent, et vous m’aviez laissée un peu sur ma faim.

Que sa poésie soit constellée de références à l’islam a poussé certains lecteurs musulmans peu au fait de ses convictions religieuses, à conclure à sa conversion, quatre ans avant son décès. Les réseaux sociaux sont encombrés de dénonciations polémiques d’un complot qui l’aurait occultée. La rumeur n’est fondée sur aucun élément de la vie de l’écrivain établi par ses biographes, mais elle a convaincu nombre d’adeptes de l’islam que Victor Hugo était des leurs.

Votre livre est émaillé des vers de Hugo, qui étayent votre argumentation. Votre connaissance et votre goût de la littérature vous feront écrire des romans bientôt?

C’est la littérature qui explique le mieux le monde, beaucoup plus que l’Histoire, puisqu’elle fait appel non seulement à la réflexion mais aux sentiments. La littérature, c’est un intermédiaire entre le physique et le métaphysique, en particulier la poésie. Ce n’est pas par hasard que Victor Hugo se soit exprimé sur l’islam en poésie, lui qui était fasciné par l’écriture en vers du Coran.