À qui appartient un trésor sous-marin?
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À l’heure où les technologies de prospection sous-marine ouvrent de nouveaux horizons à la recherche archéologique, la question du statut juridique des vestiges engloutis dans les eaux libanaises prend une acuité croissante. À qui appartient une épave antique découverte au large de Byblos? Quel régime s’applique à un trésor repéré dans la zone économique exclusive (ZEE) du Liban? Et que dit le droit libanais face à un cadre international complexe et souvent flou?

Sur le droit de la mer 

Depuis la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), dite Convention de Montego Bay (1982), le monde s’est doté d’un corpus juridique régissant l’usage des espaces maritimes. Le Liban, qui a ratifié cette convention en 1995, y trouve les fondements de la souveraineté qu’il exerce sur ses eaux.

Selon la CNUDM, la mer est divisée en plusieurs zones juridiquement distinctes:

  • Les eaux territoriales, s’étendant jusqu’à 12 milles marins des côtes, où l’État exerce une souveraineté quasi totale, équivalente à celle de son territoire terrestre.
  • La zone contiguë (12 à 24 milles), où l’État peut prévenir certaines infractions à ses lois douanières ou fiscales.
  • La zone économique exclusive, pouvant s’étendre jusqu’à 200 milles, où l’État a des droits souverains en matière d’exploration et d’exploitation des ressources naturelles, mais non de pleine souveraineté.
  • Le plateau continental, qui peut dépasser la ZEE si les conditions géologiques le justifient.

Le Liban ne dispose pas encore d’une loi spécifique sur le patrimoine submergé, bien que des projets de réforme du Code des antiquités soient à l’étude. En l’absence de dispositions claires, c’est la Direction générale des antiquités (DGA), relevant du ministère de la Culture, qui opère sur la base de décrets, de circulaires et d’autorisations exceptionnelles, souvent dans un vide juridique que les pillards n’hésitent pas à exploiter.

Le patrimoine submergé: entre souveraineté et coopération internationale

La Convention de l’Unesco de 2001 sur la protection du patrimoine culturel subaquatique, ratifiée par le Liban en 2006, complète le dispositif et offre un cadre d’interprétation intéressant. Selon cette convention, les biens culturels immergés depuis plus de cent ans (qu’il s’agisse d’épaves, d’amphores ou de cités englouties) doivent être protégés contre le pillage, le commerce illicite et l’exploitation commerciale.

Dans les eaux territoriales, le droit libanais s’applique pleinement. Le Code des antiquités (loi n°166/1933 et ses amendements) stipule que «tous les objets antiques mobiliers ou immobiliers découverts au Liban appartiennent à l’État». Il n’existe pas de distinction spécifique entre découvertes terrestres ou sous-marines: toute épave ou tout artefact datant d’une période antique relèverait donc, en principe, de la compétence de la DGA, placée sous l’autorité du ministère de la Culture. Un trésor découvert à 6 milles nautiques de Tyr par un pêcheur ou un plongeur appartient ainsi à l’État, qui peut décider de sa préservation, de son exposition ou de son étude scientifique.

Dans la ZEE, la situation est plus complexe. La CNUDM donne au Liban des droits souverains sur les ressources naturelles, mais ne mentionne pas explicitement le patrimoine culturel. Le Liban ne peut donc pas exercer une pleine souveraineté sur une épave trouvée à 70 milles au large de Tripoli, sauf si celle-ci repose sur le plateau continental dont le Liban peut revendiquer l’extension (comme cela a été fait en lien avec la délimitation maritime avec Israël ou Chypre). Toutefois, le droit international invite les États à coopérer pour préserver ce type de patrimoine, surtout lorsqu’il est d’origine nationale ou situé à proximité.

Scénarios juridiques possibles

Dans le cas où la découverte se fait en mer territoriale (0–12 milles), l’épave appartient à l’État libanais, via la DGA. Toute fouille nécessite une autorisation préalable, et les objets ne peuvent être aliénés. Toute récupération privée est interdite et passible de sanctions.

Dans le cas où la découverte se fait en zone contiguë (12–24 milles), les droits de l’État y sont limités, mais en cas de menace au patrimoine, le Liban peut justifier une action préventive ou coercitive, surtout si le bien est de nature archéologique.

Dans le cas où la découverte se fait dans la ZEE (jusqu’à 200 milles), les objets ne sont pas automatiquement soumis à la souveraineté libanaise, mais si le bien culturel est d’origine libanaise (épave phénicienne, par exemple), le Liban peut en revendiquer la propriété symbolique et demander la coopération des États concernés en vertu de la Convention de l’Unesco ou d’accords bilatéraux.

Dans le cas où la découverte se fait dans les eaux internationales, hors ZEE, aucun État ne peut en revendiquer la propriété exclusive. Toutefois, un État peut intervenir si l’objet est lié à son histoire, ou si le navire d’origine est reconnu comme navire d’État (ex: navire militaire). Ces principes sont encore débattus dans le droit international coutumier.

Protéger le patrimoine subaquatique implique plus que de simples dispositions juridiques: il faut une stratégie nationale intégrée, combinant droit de la mer, archéologie, environnement marin et sécurité maritime. Cela passe par la formation de plongeurs-archéologues, la coopération avec les forces navales, l’établissement de cartes sous-marines patrimoniales et surtout la sensibilisation du public et des pêcheurs. Le Liban saura-t-il se doter d’un tel bouclier?

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