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Le Dr Tony Karam est non seulement médecin, mais aussi pianiste, curateur et collectionneur d’art. Depuis quelques années, il participe activement à la promotion de l’art libanais à l’international et à sa vitalité dans la capitale. Dans ce qui suit, il nous parle de sa relation avec l’art, notamment de son dernier projet de longue haleine avec la Lebanese American University (LAU).

La musique, une histoire d’intuition

Le parcours artistique du Dr Karam trouve sa genèse dans sa toute petite enfance, lorsque ses parents lui offrent un petit clavier d’éveil et s’aperçoivent dans un premier temps qu’il l’a intuitivement rangé avec ses vêtements, faisant un distinguo éloquent avec le reste de ses jouets. En quelques jours, le petit garçon de deux ans joue déjà des mélodies que sa mère reconnaît et pense être la radio. Elle le teste, "il peut tout jouer"; c’est l’oreille absolue. Après une visite chez le médecin à la suite de cette découverte étonnante, les parents de Tony investissent dans un piano, mais la tâche de lui trouver un professeur n’est pas aisée étant donné qu’il ne sait même pas lire!  Six mois après, il est déjà sur scène pour de petits concerts, et ses quatre ans coïncident avec le déménagement de ses parents à Abu Dhabi. Dès lors, le petit Tony est repéré pour participer à une émission de télé à la période de Noël. C’est l’hiver 1975, date gravée dans la mémoire des Libanais; l’enfant joue Silent Night en direct et se fait déjà le messager d’une immense émotion.

La médecine, une histoire de passion

Quelques années plus tard, le retour au Liban durant la guerre civile est synonyme de grandes difficultés. Tony doit traverser la ligne qui sépare Beyrouth en deux pour chaque cours de piano. De nombreuses bourses lui ont été proposées à la suite de nombreux concerts au Liban et à l’international, notamment en France et en Russie, mais ces dernières ne comprenaient en aucun cas sa famille; le pianiste les a donc toutes refusées.

En grandissant, la conviction qu’il voulait être médecin l’a poussé à donner vie à ce rêve à la place d’une professionnalisation dans la musique. L’étudiant pianiste a alors réussi à conserver un équilibre entre ses deux intérêts, jusqu’à la quatrième année de médecine où le rythme est devenu insoutenable. Grâce à des résultats très satisfaisants, une bourse lui a permis de s’inscrire à l’université George Washington en 1989, où il s’est concentré sur ses études malgré de nombreux allers-retours. Il avait à cœur de devenir célèbre en tant que docteur, sa véritable carrière; il a donc mis en pause le piano durant un temps pour se consacrer – et consacrer son image – uniquement à la médecine. Il a donc pleinement quitté la scène artistique, du moins au Liban, même s’il a continué à se produire un peu à l’étranger.

La peinture, une histoire d’engagement

Parallèlement, le Dr Karam a toujours eu une passion pour la peinture, qu’il n’a toutefois, pendant longtemps, pas pu développer, pour des raisons financières. Progressivement, avec ses revenus de médecin, il a commencé une collection: "Un jour, je me suis réveillé avec 400 toiles." Durant la pandémie de Covid-19, en constatant la dépression générale chez ses patients et chez les artistes, Tony Karam a décidé de poster une des œuvres de sa collection sur Instagram pour faire sourire les gens dans cette ambiance de morosité. Au fur et à mesure, de courtes descriptions ont commencé à accompagner les toiles, et des connexions se sont créées par le biais de cette page entre des artistes, galeries et collectionneurs. Le Dr Karam, qui avait pris l’habitude de mettre des gens en contact, s’est rendu compte d’un état de fait attristant en réfléchissant au sens de la scène culturelle libanaise.

En raison du manque de musées publics de qualité, les galeries jouent un rôle central dans l’espace culturel au Liban – ce qui de prime abord n’est pas forcément négatif. Toutefois, en réalité, il n’existe in fine pas d’espace d’exposition qui échappe à la logique commerciale. De ce constat, un rêve est né: celui de créer cet espace. Néanmoins, dans un premier temps, ce rêve était difficile à incarner, à cause de la nécessité de se greffer sur une structure existante pour limiter les coûts.

L’aboutissement de projets collectifs

En 2021, le prestigieux Scottish Rite Théatre, dans l’État d’Illinois, lui propose de faire un concert pour le mois de décembre. Il accepte, mais à une condition: organiser en même temps une exposition d’art libanais dans le Peoria Riverfont Museum qui est à proximité. En effet, à la suite de l’explosion du port de Beyrouth, le Dr Karam a estimé que tout événement de ce genre serait futile s’il ne contribuait pas aux efforts de secours. L’idée du concert s’est donc rapidement transformée en une manifestation de solidarité des habitants de Peoria envers le Liban et s’est épanouie pour inclure plus de 20 artistes qui, en souvenir de l’explosion du 4 août, ont exposé plus de 100 œuvres d’art en soutien aux patients défavorisés des centres médicaux de la LAU et en soutien aux étudiants de l’École de médecine Gilbert et Rose-Marie Chagoury.

Sa collaboration avec la LAU a été le moyen de réaliser son ambition de créer un "espace d’exposition", l’université mettant à sa disposition la galerie Sheikh Zayed. Le projet a commencé avec un petit groupe d’artistes amis, et à présent le local accueille plus d’une dizaine d’expositions. Le Dr Karam devait récupérer les œuvres d’art auprès de collectionneurs privés, gagner leur confiance et, en quelque sorte, agir en leur nom. Au fil des années, il a noué de bonnes relations avec ces différents acteurs, que ce soit du côté des artistes ou des collectionneurs, en tant que médecin mais aussi en tant que collectionneur d’art et personne de confiance.

Des expositions se tiennent dans les locaux de la LAU depuis octobre 2022. L’attention du docteur et de son équipe se concentre actuellement sur un programme de résidence d’artiste. En effet, dans le cadre du cycle d’expositions organisé cette année à la galerie Sheikh Zayed de la LAU par la doyenne de la faculté d’arts et de sciences, le Dr Cathia Jenainati, Tony Karam, curateur du projet, a souhaité couronner ce travail en mettant en place cette résidence artistique internationale, en cette période en pleine effervescence. L’objectif est de favoriser les contacts et les échanges entre les artistes libanais et étrangers, dans une perspective interactionniste, encourageant la cocréation binationale et l’expression de "ce que ça fait d’être au Liban". Cette initiative vise également à rétablir les liens artistiques avec l’étranger et mettre en exergue la résilience de l’art au Liban.

La résidence a pris place à Byblos durant dix jours de travail et d’échange, du 1er au 9 juillet à l’hôtel Ahiram. De ces travaux naîtra une exposition commune d’artistes – à raison de deux toiles par artiste – dans le bâtiment des beaux-arts de la LAU, sur le campus de Beyrouth, le 10 juillet, de 16h à 20h. Ainsi, l’événement qui marque la fin des dix jours de ce programme se conclura par un concert de musique classique offert par le Dr Karam à 18h, dans l’amphithéâtre Gulbenkian du bâtiment Safadi.

Cette journée est donc la célébration de la totalité de ce cycle créatif et événementiel. Sur le long terme, d’autres projets sont déjà prévus pour poursuivre cette belle initiative culturelle et artistique. "Nous avons créé un mouvement qui n’a jamais été fait ici, le concept est différent, ce n’est pas commercial, c’est du ‘come and enjoy‘." Avec la régularité des expositions, une forme de microcommunauté a commencé à émerger, heureuse d’échanger, de participer à ce rendez-vous culturel et surtout d’attendre le prochain événement du genre.

Comme pour l’intégralité de ses concerts, le Dr Karam offre tous les bénéfices au LAU Medical Center et à la LAU School of Medecine. Il n’a jamais voulu que l’argent soit une driving force, une motivation pour faire du piano; il en est de même pour son activité de curateur. Pour le Dr Karam, on revient à l’essence, au but premier de l’exposition, en se détachant de l’aspect pécuniaire et de la notion de profit. Il a l’impression d’avoir un impact, de faire une différence, et cela lui procure une joie intérieure, parachevée par la joie qu’il lit sur les visages de ceux qui touchent de près ou de loin à ses projets. "Pour moi, l’art fait partie de la vie, c’est une sorte de mission", conclut-il.

Léa Samara

Cet article a été originalement publié sur le site de l’Agenda culturel.

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