Dans sa situation actuelle, le Liban ne peut répondre par la positive à l’initiative portée par le chef de la diplomatie koweïtienne, cheikh Ahmad Nasser al-Mohammad al-Sabah. Cette initiative, que le ministre lui-même a qualifiée de “message du Koweït, du Golfe, du monde arabe et de la communauté internationale”, repose sur l’idée de rendre son “éclat” au pays du Cèdre, ce que le “mandat fort”, qui est en réalité celui du Hezbollah, refuse catégoriquement.

La différence est en effet monumentale entre vouloir restaurer le Liban, d’une part, et le transformer en une simple masse gravitant dans l’orbite iranienne, de l’autre.

Partant, le ministre libanais des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, n’a pu apporter à la réunion ministérielle arabe qui s’est tenue au Koweït qu’une réponse gouvernementale d’un genre risible et larmoyant, basée sur les slogans de “refus” et “résistance”, moumanaa wa mouqawama. Il est, après tout, " en charge” de la diplomatie d’un pays qui s’est lui-même anéanti.

Le Liban vit actuellement dans un monde de slogans qui n’ont absolument plus rien à voir avec la réalité et les développements de la région. Plus personne sur le territoire libanais ne sait rien de ce qui se passe dans la région, ni au Yémen ni ailleurs, même dans des contrées proches comme la Syrie. En un mot, il y a un " mandat fort " qui s’oppose à tout ce qui pourrait aider à recouvrer le Liban… s’il est encore possible d’en recouvrer quoi que ce soit.

Ces slogans, qui commandent la réponse libanaise à l’initiative koweïtienne, signifient, entre autres, que le Liban est gouverné par le Hezbollah, qui n’est rien d’autre qu’une brigade des Gardiens de la révolution iranienne. Le reste n’est que détails et perte de temps et confirme que le Liban tel que nous l’avons connu a pratiquement disparu. Le Liban est fini, et plus personne n’est capable d’aider à son rétablissement. Viendrait-il à trouver ce Bon Samaritain qu’il en refuserait d’ailleurs la main tendue.

Tout ce qu’il est possible de dire, c’est que le Liban est un pays impuissant, impossible à réconcilier avec la logique. La logique étant représentée ici par l’initiative du ministre koweïtien qui a confirmé, à travers son mémorandum, que certains pensent encore au Liban et aux Libanais. Certains songent encore à faire du Liban un État normal, sans plus. Un État normal qui se respecte, avant tout. Un État qui ne se moque pas de lui-même et de ses citoyens, en jetant çà et là de la poudre aux yeux de tous.

Le mémorandum du ministre koweïtien comporte toutes les conditions que le Liban est censé remplir pour recouvrer une partie de sa santé. À commencer par le fait qu’il n’y ait pas de mini-État qui contrôle l’État, ni d’armée parallèle à l’armée libanaise. Est-ce trop que de demander au Liban d’avoir du respect pour lui-même et d’appliquer les décisions arabes et internationales, notamment les résolutions 1559, 1680 et 1701 du Conseil de sécurité ? Mettre en œuvre ces résolutions et s’abstenir de pratiquer la contrebande de la drogue à destination du Golfe, est le moins que l’on puisse exiger du Liban. Cependant, au lieu d’opérer un retour au rationalisme, le “mandat fort” a décidé de jouer au serpent qui se mord la queue, de pratiquer la politique de l’autruche et de se transformer en source de préjudice à chacun des pays du Conseil de coopération des États arabes du Golfe…

Il n’y a aucune raison d’être optimiste pour le Liban. L’incapacité à répondre au mémorandum du “Koweït, du Golfe, du monde arabe et de la communauté internationale” n’est qu’une consécration de cette incapacité, voire de cette impuissance, qui révèle que le pays est bel et bien ailleurs. Le Liban, dont l’identité a changé, est désormais dans l’axe iranien. Mieux encore, il n’a plus rien à voir avec la logique, ou avec ce qui se produit comme événements dans la région. Le Liban s’est isolé des Arabes et ne saisit plus ce qui se déroule au Moyen-Orient, dans le Golfe et dans le monde.

Que peut-on attendre d’un pays qui s’est replié sur lui-même et au sein duquel le président de la République n’a d’autre souci que l’avenir de son gendre, Gebran Bassil ? Comment le Liban peut-il se réconcilier avec la logique, alors que le chef de l’État et d’autres sont convaincus qu’il n’y a aucun moyen de mettre en œuvre la résolution 1559, compte tenu de la dimension régionale de cette résolution, d’autant que le Hezbollah est impliqué ailleurs dans la région, de la Syrie… au Yémen ?

Ce à quoi nous assistons à ce stade, c’est l’abolition, l’anéantissement du Liban par lui-même. La visite du chef de la diplomatie koweïtienne a révélé cette dynamique d’auto-désintégration, dans la mesure où elle a montré l’absence d’autorité de référence politique dans le pays et sa transformation en une simple carte de négociations aux mains de Téhéran. Ni plus, ni moins.

Lire aussi : Hariri ou le malaise dans le sunnisme levantin