L’île de Chypre a la particularité d’accueillir sur son sein deux bases militaires sous souveraineté britannique, Akrotiri et Dhekelia. Ces dernières ont été placées sur le devant de la scène, à l’heure où le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah menace directement Nicosie.

S’il est un point du dernier discours du secrétaire général du Hezbollah qui a marqué les esprits, c’est bien les menaces adressées par ce dernier à la République de Chypre. Pour rappel, celui-ci affirmait que "nous nous considérerons en état de guerre avec Chypre si l’île ouvre ses aéroports et ses bases (militaires) à Israël pour cibler le Liban".

Si l’implication du membre de l’Union européenne situé le plus à l’est peut prêter à sourire, il est fort possible que le chef de la formation pro-iranienne ait surtout dans le collimateur deux installations britanniques présentes sur l’île.

Connues sous le nom de zones de souveraineté d’Akrotiri et Dhekelia, ces dernières représentent un vestige significatif de l’empire britannique en Méditerranée orientale. Situées stratégiquement, ces bases servent des objectifs militaires et politiques essentiels pour le Royaume-Uni et ses alliés.

Zones de souveraineté

Akrotiri et Dhekelia couvrent environ 254 kilomètres carrés, soit environ 3 % de la superficie totale de l’île. Ces fameuses zones de souveraineté britanniques furent établies en 1960, avec l’accession de Chypre à l’indépendance.

En vertu des accords de Zurich et de Londres, qui menèrent à la création de l’État chypriote, les Britanniques conservèrent ces territoires pour des raisons d’ordre géopolitique. En effet, ces bases offrent une position clé en Méditerranée orientale, permettant un contrôle crucial des voies maritimes et aériennes.

En outre, elles sont situées non loin des zones de conflit du Moyen-Orient, offrant ainsi une plate-forme idéale pour des opérations britanniques dans la région. La base d’Akrotiri, située au sud de l’île, est particulièrement importante. En effet, elle possède une longue piste d’atterrissage et des infrastructures en capacité d’accueillir jusqu’aux plus gros avions cargos. Dhekelia, quant à elle, est principalement une base terrestre, servant de centre de logistique et de renseignement.

Base aérienne et station d’écoute

Akrotiri et Dhekelia remplissent ainsi trois fonctions principales pour le gouvernement britannique. La première, militaire, est principalement incarnée par Akrotiri. Celle-ci est utilisée par la Royal Air Force (RAF), la branche aérienne des forces britanniques, pour des missions de reconnaissance, de surveillance et de frappe. Le Royaume-Uni et ses alliés, notamment américains, utilisent ainsi cette base pour leurs opérations au Moyen-Orient.

Des chasseurs F-35B britanniques sur la base de la Royal Air Forces sur la base d’Akrotiri, près de la ville côtière de Limassol, sur l’île méditerranéenne de Chypre, le 21 mai 2019. (Petros Karadjias / POOL / AFP)

La seconde fonction est incarnée par la station Ayios Nikolaos, située dans la zone de Dhekelia. Il s’agit d’une station de collecte de renseignements électromagnétiques (télécommunications, signaux radars, etc.), intégrée au réseau ECHELON, une alliance entre les services de renseignements britanniques, américains, canadiens, australiens et néo-zélandais. Elle offre une surveillance couvrant une vaste zone, incluant l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et le sud de l’Europe.

Enfin, la dernière fonction est humanitaire. La proximité de ces bases avec plusieurs zones de conflit en fait des points de transit essentiels pour les missions d’aide internationale. Akrotiri a notamment joué un rôle important lors du génocide des Yazidis par le groupe jihadiste État Islamique en 2014, lorsque des avions de la RAF ont réalisé des largages d’aide humanitaire au-dessus du mont Sinjar. Plus récemment, la base aérienne fut utilisée pour larguer de l’aide à la population de Gaza, assiégée par l’armée israélienne.

Relations avec Nicosie

Ces bases britanniques sont une source de tensions récurrentes entre le Royaume-Uni et Chypre. Nicosie considère ces territoires comme des vestiges de la période coloniale.

En 2005, une résolution votée par le Parlement chypriote ne reconnaissait qu’une souveraineté partielle de Londres sur ces territoires, considérant qu’elle se limitait uniquement au domaine militaire, et non administratif et financier. Le gouvernement britannique a affirmé en retour ne pas reconnaître les revendications chypriotes.

Toutefois, les accords bilatéraux régissent leur utilisation et garantissent des avantages économiques et sécuritaires pour Chypre. Les bases emploient de nombreux Chypriotes, tout en permettant l’injection de fonds substantiels dans l’économie locale.

Chypre, Akrotiri et le Proche-Orient

Chypre et Israël entretiennent une coopération renforcée au niveau militaire. Depuis 2014, les deux pays mènent régulièrement des exercices militaires conjoints, le dernier épisode de ce genre datant de mai 2023.

Mais si Nicosie a toujours autorisé Israël à utiliser son espace aérien pour des exercices, ce n’est pas le cas lors des périodes de conflit. Une constance par ailleurs rappelée jeudi par le président chypriote, Nikos Christodoulides, qui, en réponse au discours de Hassan Nasrallah, a affirmé que "la République de Chypre ne participe en aucune façon aux hostilités".

Dans les faits, le rôle qu’a joué Nicosie dans la guerre Israël-Hamas a, jusqu’à présent, surtout été d’ordre humanitaire. Chypre a notamment contribué à mettre en place un corridor d’acheminement de l’aide humanitaire par voie maritime vers Gaza depuis le mois de mars.

Une position qui ne s’applique pas aux bases britanniques installées sur l’île. Londres a notamment utilisé Akrotiri pour lancer des frappes contre les Houthis.

Mais cette base britannique aurait surtout été utilisée pour faire transiter des armes vers Israël depuis le Royaume-Uni et les États-Unis, selon des informations publiées par le média britannique Declassified UK en novembre 2023.

Des manifestants pacifistes crient des slogans devant les portes de la base de la Royal Air Force d’Akrotiri, un territoire britannique d’outre-mer situé près de la ville côtière chypriote de Limassol, alors qu’ils se rassemblent contre son utilisation présumée pour approvisionner la guerre d’Israël à Gaza, une affirmation démentie par la Grande-Bretagne, le 14 janvier 2024. (Iakovos Hatzistavrou / AFP)

Si Londres affirme régulièrement informer Nicosie des activités menées sur la base, l’armée britannique a déclaré, lors d’une audition devant le Parlement n’avoir aucune "obligation formelle" à ce propos.

Akrotiri relevant de la souveraineté du Royaume-Uni, le gouvernement chypriote n’a aucun moyen légal de contraindre son homologue britannique dans la poursuite de ses opérations. Une situation qui démontre une nouvelle fois l’inanité des menaces de Hassan Nasrallah.