Tony Ghanime, propriétaire du restaurant Abou Robert sur le port de Tyr, nous a quitté le 7 février dernier. Cet amoureux de la mer et de sa ville natale, ancien pécheur, féru de fruits de mer et d’histoire phénicienne, tenait depuis une trentaine d’années le plus charmant, quoique modeste, des restaurants de cette ville ancestrale. Manger chez Abou Robert était aussi incontournable que la visite de la plage au sable d’or, ou l’hippodrome romain. Libanais ou étrangers se ruaient chez lui à chaque visite, s’en était presque devenu un rituel.

Juché au premier étage, à l’extrémité sud du port, composé de trois tables, surplombant le port des pécheurs, on était toujours accueilli avec le grand sourire qui se dessinait sur la mine bronzée d’Abou Robert. Il était de coutume d’appeler afin de réserver non seulement la table, mais le(s) poisson(s), prise du jour. Il ne servait que du poisson frais. Selon la saison, on pouvait y savourer des coquilles Saint Jacques ou des oursins, mais aussi et presque toujours, des sardines, du Sultan Brahim et du mulet, son poisson préféré. Chez Abou Robert, c’est lui qui fait la commande pour vous.

-Je veux un kilo de Sultan Brahim.

-Un demi kilo vous suffira, vous n’êtes que trois, et prenez de la tabouleh aujourd’hui plutôt que le fatouch, j’ai une botte de persil fraiche qui ne pourrait que vous plaire.

Tenir ce restaurant, vivre au bord de la mer, et respirer l’air iodé à longueur de journée, c’était sa passion. Après avoir été pêcheur quelque temps, il vendit sa chaloupe et acquerra ce restaurant en 1989 sur le port qui jouxte le vieux Tyr, " la hara " comme on l’appelle communément, dont il est le fils.

Attablés sur les chaises bleu turquoise, entourés d’un bougainvillier rebelle serpentant la balustrade avec ses fleurs d’un fuchsia éclatant, on pouvait savourer de copieux repas tout en admirant les filets de pêche séchant au soleil, la vue sur la promenade du port. Et Monsieur Tony, à chaque fois, nous racontait les histoires du passé glorieux de cette ville antique. Il parlait du siège de Tyr par l’armée d’Alexandre le Grand comme s’il l’avait vécu. Les habitants de Tyr ne se laissaient pas avoir, la veille de la grande bataille, racontait-il avec emphase, les femmes se sont données la mort pour que les hommes se battent sans retenue et que l’honneur de la ville soit sauvé. Ce sont les soldats d’Alexandre qui ont rattaché l’ile au continent, déclarait-il, c’était leur seul moyen d’y accéder.

Il aimait l’Histoire, il aimait la mer.

Aujourd’hui, c’est son fils Dany qui a pris la relève, donc si l’envie vous prends de visiter Tyr, surtout arrêtez-vous au restaurant Abou Robert, vous ne serez pas déçu.