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Le Hezbollah n’a montré aucun intérêt manifeste face aux bouleversements internes du Courant patriotique libre (CPL). L’expulsion des quatre députés s’est déroulée dans un silence total du côté du Hezbollah, qui n’a pas réagi aux turbulences que traverse son partenaire de l’accord de Mar Mikhaël. Pourtant, le CPL n’a jamais cessé de suivre de près les affaires du Hezbollah, notamment en ce qui concerne ses préoccupations dans le Liban-Sud, où la situation demeure constamment tendue. Comment alors expliquer ce silence apparent du Hezbollah, au regard de l’évolution historique des relations entre les deux formations?

Pour tenter de répondre à cette question, il est essentiel de scruter de près la dynamique médiatique à Dahyé (banlieue sud de Beyrouth), fief du Hezbollah, ainsi qu’à Mirna Chalouhi, siège du CPL, afin de mieux saisir l’état actuel des relations entre ces deux alliés.

Il apparaît d’emblée que la fracture est profonde entre les deux partenaires.

D’un côté, le Hezbollah agit comme si la priorité absolue était la lutte sur le front sud, tandis que le CPL est englué dans une crise interne et se débat tel un navire en mer agitée, en proie à une tempête qui menace de le faire chavirer.

Dans le paysage médiatique, cette situation alimente les spéculations sur une éventuelle remise en cause de l’alliance entre le Hezbollah et le CPL, dix-huit ans après sa formalisation à travers l’accord historique signé entre Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, et le général Michel Aoun, fondateur du CPL.

Par ailleurs, deux développements viennent aggraver cette situation: l’évolution judiciaire concernant l’ancien gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, et l’évolution parlementaire concernant le nouveau poids du CPL au Parlement après la défection de quatre de ses députés.

S’agissant du premier point, les tensions ont aggravé les relations déjà distendues entre Dahyé et Mirna Chalouhi. En effet, alors que le CPL a exprimé un soutien marqué à l’arrestation de Salamé, la présentant comme une victoire majeure, les médias proches du Hezbollah ont réagi en dénonçant cet "enthousiasme excessif", soulignant que ce soutien ne dédouane pas le CPL, ni son président, Gebran Bassil, ni l’ancien chef de l’État Michel Aoun de leur responsabilité dans la prolongation du mandat de M. Salamé.

Selon ces médias, "ce qui s’est passé lors de la session du Conseil des ministres ayant approuvé la prorogation est connu de tous, malgré toutes les dénégations passées et futures de Michel Aoun et de Gebran Bassil". Ils précisent qu’aucun acteur n’avait contesté la décision du président de la République dans la prolongation du mandat d’un poste maronite clé, tout en ajoutant que "le CPL ne peut cacher le fait qu’il a couvert Salamé pendant des années et en a même tiré profit, avant de lancer une cabale médiatique contre lui". Et de conclure que la même dynamique se reproduit désormais avec le député Ibrahim Kanaan, que le CPL semble renier, le traitant comme s’il agissait de manière indépendante en tant que président de la commission des Finances et du Budget.

Concernant la situation parlementaire du CPL, les médias affiliés au Hezbollah affirment que le parti est en pleine désintégration, arguant le départ récent de quatre députés (Élias Bou Saab, Alain Aoun, Simon Abi Ramia et Ibrahim Kanaan), ce qui porte à six le nombre total de départs (en incluant Mohammad Yehya et Georges Boujikian).

Ainsi, le nombre de députés du CPL est passé de 21 à 15, dont cinq ont été élus avec le soutien de l’ancien allié du parti, le Hezbollah. Et d’ajouter: "Ce qui est encore plus préoccupant, c’est que le CPL a perdu sa représentation dans les circonscriptions censées refléter sa popularité et la position politique de sa base au Mont-Liban (Baabda, Metn et Jbeil)." En conséquence, "cette faiblesse apparente se reflète dans la représentation chrétienne, désormais répartie entre trois blocs chrétiens, le plus fort étant les Forces libanaises, qui conserve, avec ses alliés non partisans, 20 députés".

En réponse, le CPL a mobilisé toutes ses ressources pour éviter d’être pris à son propre piège. Ceux qui ont suivi les récentes interventions médiatiques de M. Bassil ont remarqué que ce dernier adopte une posture défensive tout en lançant des attaques, comme ce fut le cas lors de précédentes périodes marquées par de grandes tensions. M. Bassil s’est tout d’abord démarqué du Hezbollah en déclarant que "le CPL a défendu le Liban contre Israël, sans pour autant chercher à impliquer le pays dans des guerres qui ne le concernent pas". Ensuite, il a soulevé l’arrestation de Riad Salamé, affirmant que "le CPL est le seul à avoir eu le courage de s’attaquer à ce dossier".

En commentant le départ des quatre députés du CPL, M. Bassil a affirmé que ceux qui partent le font à leurs propres risques et périls. Conscient de la profondeur de la crise au sein du CPL, il a souligné que le mouvement doit retrouver son enracinement populaire de 2018, renouer avec ses bases et éviter de laisser ses partisans dans la confusion. Toutefois, dans cet effort pour sauver ce qui peut encore l’être, Bassil a critiqué les Libanais, affirmant que "les partisans de la corruption sont plus nombreux que ceux de la réforme". Il a conclu avec amertume: "Tout le monde, tant à l’intérieur qu’à l’étranger, s’est ligué pour démanteler le CPL et orienter sa politique étrangère selon des agendas complètement étrangers à ses principes et à ses objectifs."

Pour revenir à la question initiale sur l’évolution des relations historiques entre le CPL et le Hezbollah, il apparaît, sur base de ce qui précède – qui n’est qu’un aperçu d’une situation bien plus complexe – que le CPL est préoccupé par le "jour d’après", après avoir été pris de court par les récents développements au Liban.

Ainsi, l’héritier de la direction du CPL cherche désespérément une planche de salut. Comme l’a rapporté la chaîne de télévision du CPL samedi dernier, M. Bassil a tenu "une série de rencontres politiques en Europe avec plusieurs personnalités, dont certaines se sont déplacées spécialement pour le rencontrer". Parallèlement, les récentes tentatives du CPL pour se rapprocher des Forces libanaises, à la lumière du dernier discours de Samir Geagea, se sont révélées infructueuses.

D’un autre côté, le Hezbollah fait face à des défis importants, comme l’a récemment révélé Abdallah Bou Habib, le ministre sortant des Affaires étrangères, qui a déclaré qu’Israël "avait envoyé un message par des intermédiaires selon lequel il n’était pas intéressé par un cessez-le-feu au Liban, même après celui de Gaza". Par ailleurs, en Israël, le chef d’état-major de l’armée, Herzi Halevi, a annoncé que "ses forces se préparaient à prendre des actions offensives à l’intérieur du Liban".

Dans ce contexte, peut-on vraiment dire que la "valeur" de Bassil à Dahyé est en chute libre, le CPL étant désormais perçu comme une marchandise dont la date de péremption est proche?

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