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Étendu à presque tout le territoire national, le réseau de télecom du Hezb serait quasi exclusivement dédié à sa branche armée et ne serait utilisé qu’en cas de combats ou d’une guerre de grande ampleur.

La double attaque spectaculaire aux appareils de transmission piégés, menée par Israël contre le Hezbollah, mardi 17 et mercredi 18 septembre 2024, remet en lumière le réseau de communication "privé" de la formation pro-iranienne et soulève des questions quant à son efficacité en temps de guerre.

Le Hezbollah, rappelle-t-on, avait patiemment tissé sa toile pendant des années, sur presque tout le territoire national afin de s’assurer une autonomie et une autoprotection, qui se sont avérées aléatoires.

Son réseau de communication a fini par devenir son talon d’Achille. Les événements du mardi17 et du mercredi 18 l’ont bien montré. Traqués depuis des mois par Israël qui ciblait leurs cadres en les localisant grâce à leurs téléphones portables, les combattants du Hezb avaient troqué ces appareils contre d’autres, certes beaucoup moins sophistiqués et traçables, mais piégés.

L’alerte avait été donnée en février 2024 par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, durant un de ses discours retransmis par Al-Manar, la télévision de cette formation, largement suivie par son public. S’adressant à ses combattants, après la liquidation de cadres du Hezb, il avait lancé: "Vous pensez qu’un agent-espion se trouve parmi nous? Je vais vous dire qui est cet espion. C’est ce smartphone que vous tenez dans vos mains, que vos femmes et vos enfants détiennent. Le smartphone est un appareil d’espionnage mortel, qui fournit des détails spécifiques précis" à Israël, avait-il averti. Il avait, dans le même temps, annoncé "des mesures internes" pour en neutraliser les effets, avant d’appeler ses combattants à ne pas l’utiliser. Il est même allé jusqu’à présenter l’interdiction de l’usage des smartphones comme un "devoir dicté par la loi islamique".

Mais en détruisant le système de communication mis en place par le Hezbollah, Israël contraint-il celui-ci à revenir à celui contre lequel il avait justement mis en garde, pour la communication interne, indispensable en temps de guerre? Cela n’est pas sûr, puisque d’autres options se présentent à lui et qu’en cas de guerre élargie, il semble que le réseau de télecom "privé" du Hezb soit resté intact.

"Que le Hezbollah doive se lancer dans un long processus, au cours duquel il devra mener des enquêtes internes, faire le ménage au sein de son parti (une allusion aux agents et personnes infiltrées travaillant pour le compte des Israéliens) et revoir toute sa chaîne logistique pour s’assurer des approvisionnements qu’il va recevoir, dans un futur proche ou lointain, est chose évidente", explique à Ici Beyrouth un cadre militaire européen proche du dossier, ayant servi au Liban pendant plusieurs années.

Cela signifie-t-il qu’il se tournera vers d’autres méthodes de communication? "Ce qui est certain, c’est qu’il va changer ses modes opératoires et sécuriser davantage son système de communication, en se procurant du matériel plus performant et avec de meilleures options de sécurité. Est-ce qu’il envisagera de passer aux brouilleurs? Aux chiffreurs? À une nouvelle génération de bipeurs? Privilégiera-t-il les produits chinois ou iraniens? Tant de questions auxquelles seul le Hezbollah pourrait répondre", précise-t-il.

Un réseau dédié à la branche armée du Hezbollah

Quid alors de son réseau "physique"? Son installation aurait-elle été vaine? "Ayant suivi ce dossier, je peux vous dire que le réseau est quasi exclusivement dédié à la branche armée du Hezbollah et qu’il n’est utilisé qu’en cas de combats ou d’une guerre de grande ampleur", signale le cadre militaire.

À ses yeux, si les bipeurs et les talkies-walkies ont été commandés, c’est pour "mener à bien les ‘tâches du quotidien’, ce qui était supposé assurer au Hezb plus de flexibilité et lui permettre d’éviter de dévoiler son infrastructure physique", note-t-il.

"Si le réseau est donc voué à l’usage tactique, c’est qu’il est jusqu’alors demeuré intact, ou presque", poursuit-il. Et d’ajouter que le Hezbollah se trouve néanmoins dans une situation embarrassante: "S’il utilise son réseau trop tôt, il risque de le dévoiler. Dans le cas contraire, il devra justifier son utilité, ne s’en ayant toujours pas servi."

À la question de savoir si ce réseau aurait pu être piraté par Israël, il répond qu’il est très peu probable qu’il en soit ainsi. "Si un tel fait s’avère réel, cela voudra dire que l’État hébreu a infiltré très profondément le Hezbollah, qu’il détient la cartographie complète du réseau et qu’il a accès à un certain nombre d’autocommutateurs, ce qui soulèverait bien d’autres questions".

Dans ce contexte, il serait intéressant d’opérer un retour sur le réseau de communication "privé" à cause duquel le Hezbollah a failli déclencher une guerre civile.

C’était en 2008, lorsque le gouvernement libanais avait tenté de le démanteler. Au mois de mai, le directeur de la sécurité de l’aéroport de Beyrouth, proche de la formation pro-iranienne avait été limogé, sous l’impulsion du gouvernement de Fouad Siniora, qui avait ordonné simultanément le démantèlement du réseau de télécommunication.

En réaction, le Hezbollah avait pratiquement pris d’assaut Beyrouth, occupant les postes et les bureaux du Courant du futur à Beyrouth, où des affrontements armés limités s’étaient produits avant que les combattants du Hezb prennent le contrôle de la capitale.

Un maillage qui s’étend jusqu’en Syrie

Tout cela donc pour protéger une structure qui a coûté des millions de dollars et qui s’étend de Beyrouth à la vallée de la Békaa, jusqu’à la frontière israélo-libanaise, mais aussi jusqu’en Syrie avec des connexions au sud de Damas.

Celle-ci se superposerait, plus ou moins, au réseau de tunnels du parti, dont le maillage couvrirait une large zone du Liban-Sud, une partie de la Bekaa, avec des ramifications qui iraient jusque dans le sud syrien et la frontière israélienne.

Alors que les tunnels constitueraient une sorte de plan de défense pour le Hezbollah, en cas d’invasion israélienne, le réseau de télécom répondrait, lui, à deux principaux objectifs qu’Israël a vite fait de court-circuiter: assurer la sécurité du parti au niveau de l’échange d’informations et empêcher Tel-Aviv d’espionner les communications internes. "De ce que j’en connais, le réseau téléphonique du Hezb s’étend au moins dans tout le Liban-Sud et a certainement des ramifications dans tout le Liban et au moins en Syrie", souligne le responsable militaire interrogé par IB.

"Depuis le conflit de 2006, la majeure partie (voire la totalité maintenant) de ces infrastructures est enterrée (pour ce qui peut l’être). Elles sont reliées entre elles, en fibre optique, afin d’éviter autant que possible les interceptions par écoutes physiques et par ondes", confie-t-il.

Et d’ajouter: "La partie GSM a dû se développer également depuis, mais l’exploitation doit se faire via des sociétés télécoms et non en propre pour des questions juridiques et de discrétion."

Soutien iranien

C’est depuis les années 90 que le Hezbollah s’est employé à installer son propre réseau, en utilisant d’abord l’infrastructure de communication libanaise à des fins qui le desservent, avant de s’accorder une certaine autonomie et de construire la sienne.

Assisté par les Iraniens, notamment à travers Iran Telecom, comme l’ont affirmé certaines personnes interrogées par IB, le Hezbollah a intégré, petit à petit, le réseau de communication mondial.

En 2007, Iran Telecom serait intervenue, par le biais de trois sociétés: deux libanaises, Spectrum Investment, une entreprise de télécommunications et Jihad al-Bina, une société de construction relevant du Hezbollah, et une iranienne, MTN Irancell, qui a installé au Liban des réseaux téléphoniques privés, munis de cellules cryptées à haute fréquence.

D’après un expert européen qui a étudié le dossier de près, c’est le matériel de MTN Irancell qui est installé au sud, notamment la fibre optique.

Spectrum Investment et Jihad al-Bina figurent sur la liste des compagnies sanctionnées par l’OFAC (Office of Foreign Assets Control – Bureau de contrôle des actifs étrangers aux États-Unis). La première est accusée de financer des réseaux de télécommunication du Hezbollah, reliant le parti pro-iranien au marché mondial des télécommunications et d’être impliquée, de manière générale, dans des activités qui soutiennent le Hezbollah, tant sur le plan financier que sur le plan des renseignements et des opérations.

Quant à Jihad al-Bina, elle aurait, selon des informations recueillies par IB, permis la construction et le financement des infrastructures des tunnels mais aussi du réseau de télécommunication du Hezb.

Selon un communiqué publié en 2007 par le Département du Trésor américain, cette société aurait "utilisé des moyens trompeurs pour obtenir, auprès d’organisations internationales de développement, des financements pour des projets et des services de construction au Liban".

Basée dans la Békaa, Jihad al-Bina est directement financée par l’Iran et dirigée par des membres du Hezbollah, sous la supervision du conseil de la Choura, à la tête duquel siège le secrétaire général de cette formation, Hassan Nasrallah.

Un impact sur le réseau officiel

Ayant apparemment connu un développement considérable pour y intégrer toutes les dernières technologies, le réseau de télécommunication installé serait tel qu’un arrêt de l’ensemble du réseau du Hezbollah détruirait celui de l’État libanais. Car le réseau de l’État constituerait, en quelque sorte, le "nœud central" auquel seraient connectées la plupart des branches de la structure hezbollahie, d’après les explications de ce même expert.

Son démantèlement reste apparemment complexe, non seulement à cause de son intégration aux infrastructures nationales, mais pour deux autres raisons: la difficulté de localiser et de neutraliser ses composantes diversifiées et parce que la suppression des réseaux fixes et sans fil rencontrent des défis technologiques et opérationnels. S’y ajoute la capacité du Hezbollah à remplacer ou rétablir rapidement les composants affectés.

Que comprend le réseau?

Hautement sophistiqué, le réseau de télécommunication du Hezb est donc doté d’une architecture distribuée en fibres optiques. Il soutiendrait le VoIP (une technologie qui permet de passer des appels sur Internet haut débit, au lieu des lignes traditionnelles) et s’interfacerait avec la technologie mondiale, facilitant des cyber-attaques anonymes et le financement via des VPN. Il engloberait, par ailleurs, un système autonome (AS), un protocole Internet (IP), une plage d’adresses IP, un satellite ainsi que d’autres installations que nous élaborerons un peu plus loin.

"Nous avons les AS et leurs architectures, les IP et plages IP, le nom du satellite utilisé… bref, toute l’architecture technique des télécommunications du Hezbollah et, par conséquent, tous ses protocoles de communication", a-t-on confié à IB de sources militaires et sécuritaires européennes. La répartition  du réseau serait, selon ces sources, essentiellement composé de:

Lignes terrestres – au cas où les réseaux terrestres et mobiles s’écrouleraient, le Hezbollah s’appuie sur des téléphones satellites, bien que ces dispositifs présentent des limitations en termes de couverture et de coût.

Câbles en cuivre – le réseau filaire (en cuivre et "à l’ancienne") serait enfoui dans les tunnels du Hezb au Liban-Sud. Ces tunnels iraient jusqu’en Syrie et dans les fermes de Chebaa. Bien qu’ils soient vulnérables, les câbles en cuivre sont utilisés – et jusqu’en 2015 – en conjonction avec l’infrastructure existante pour renforcer le réseau de communication du Hezbollah.

Fibres optiques – elle transmettent des données via des impulsions lumineuses, offrent une sécurité accrue, mais ne sont pas totalement à l’abri des tentatives d’interception.

Réseaux de téléphonie mobile et satellite – le Hezbollah utilise ces réseaux pour une variété d’opérations, bien que ces dispositifs soient sujets aux brouillages et aux interceptions, comme le rappelait le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, en janvier 2024.

Internet – bien que fonctionnant relativement mal au Liban, Internet joue un rôle central dans la stratégie de communication du Hezbollah, permettant des échanges sécurisés via des comptes de messagerie et des serveurs détournés. Le groupe utilise également des applications de messagerie instantanée chiffrée, des VPN (Virtual Private Network), avec des fournisseurs d’accès et des opérateurs connus au Liban, au Proche-Orient mais aussi en Afrique.

Autonomous System (AS) – un système autonome représente un ensemble de réseaux IP sous une seule politique de routage externe, géré par une ou plusieurs organisations. Chaque AS est identifié par un numéro AS (ASN) unique. Les AS communiquent entre eux via le protocole BGP (Border Gateway Protocol) pour échanger des informations de routage.

Internet Protocol (IP) – le protocole Internet est une méthode ou un protocole de communication utilisé pour acheminer des paquets de données d’une source à une destination sur des réseaux interconnectés. Les adresses IP servent d’identifiant unique pour chaque appareil connecté au réseau.

Plages IP – une plage d’adresses IP fait référence à une séquence continue d’adresses IP qui sont allouées ou réservées pour une utilisation spécifique. Les plages d’adresses peuvent être attribuées à des entreprises, des fournisseurs de service Internet ou réservées à des usages spéciaux, comme les adresses IP privées.

Satellite – il s’agit du satellite Khayyam, lancé par les Iraniens le 9 août 2022, à partir du TTMTR (Tyuratam Missile and Space Complex). Son code international est le 2022-096A. Son identifiant NORAD (un identifiant à 5 chiffres assigné par les autorités militaires américaines à tout objet placé en orbite autour de la Terre) est le suivant: 53370. Ce satellite artificiel, en orbite autour de la Terre, est utilisé pour des communications, y compris la transmission de données Internet, télévision, radio et d’autres formes de communications électroniques. Les satellites jouent un rôle clé dans l’infrastructure globale de communication du Hezbollah, permettant des liaisons longue distance et la couverture des zones éloignées ou difficiles d’accès.