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Les voies de la diplomatie sont – du moins pour le moment – bloquées. Les objectifs de la guerre ont évolué, notamment depuis l’annonce faite par le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, le 17 septembre dernier, concernant l’élargissement du conflit, afin de permettre aux 68.000 habitants du nord d’Israël de retourner chez eux en toute sécurité. Pour ce faire, le front libanais devait être inclus dans cette guerre aux multiples facettes. Alors que les moyens envisagés pour "assurer le retour en toute sécurité des résidents évacués du nord du pays" n’étaient pas alors bien clairs, la stratégie militaire de l’État hébreu semble aujourd’hui se concrétiser daavantage. Le Liban connaîtra-t-il le même sort que celui de la bande de Gaza?

Dans le contexte actuel, une chose est sûre: nous sommes entrés dans une nouvelle phase de la guerre. C’est d’ailleurs ce qu’ont explicitement affirmé tant le Hezbollah que les Israéliens. Au lendemain des explosions, par une attaque à distance, d’appareils de communication appartenant à des membres du Hezbollah les 17 et 18 septembre derniers, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a déclaré: "Nous entrons dans une nouvelle phase de la guerre. Il avait alors précisé que "le centre de gravité se déplace vers le nord". Même son de cloche du côté de la formation pro-iranienne. Le 22 septembre, soit quatre jours après les déflagrations simultanées ayant fait des dizaines de morts et des milliers de blessés, le secrétaire général adjoint du Hezbollah, Naïm Qassem, se prononçait sur la situation lors des funérailles d’Ibrahim Akil, chef de la force Al-Radwane du Hezbollah, tué le 20 septembre dans une frappe israélienne sur la banlieue sud de Beyrouth. Annonçant une nouvelle phase dans la bataille contre Israël, le numéro deux du mouvement chiite signalait qu’il s’agissait d’une étape dédiée à un "règlement de compte ouvert". S’ils s’inscrivent dans la même lignée, ces propos divergent selon les objectifs de chacun des protagonistes, mais aussi selon les stratégies adoptées.

Israël: tactique, objectifs déclarés et desseins masqués  

Si la libération des otages à Gaza, le retrait du Hezbollah et de ses armements au-delà du fleuve Litani, à 30 kilomètres au nord de la frontière, et le retour de leurs citoyens en Galilée, en passant par l’"anéantissement" tant du Hamas que du Hezbollah, constituent les buts déclarés de l’État hébreu, "il n’en demeure pas moins que l’Iran reste l’objectif final", précise Jean Sébastien Guillaume, expert et consultant en intelligence économique et stratégique et fondateur du cabinet Celtic Intelligence.

Concernant les propos tenus le 20 septembre à Washington, lors du Conseil israélien américain (IAC – une organisation américaine de soutien à Israël), le discours général est, selon M. Guillaume, clair: "Israël doit viser Téhéran et non Beyrouth". Il explique à cet égard que "le Hezbollah n’est que l’entrée de l’axe pour les Israéliens. Le plat de résistance, c’est l’Iran, mais sans conflit armé frontal, avec un soutien aux populations et un renversement de régime sur les quatre ans qui viennent". Il suffit pour cela de se concentrer sur le discours prononcé, ce jour-là, par le prince héritier Reza Pahlavi, fils du dernier empereur d’Iran. "Nous devons mettre fin à ce régime", a-t-il dit à propos de la République islamique de Téhéran, fortement acclamé par les décideurs du pays réunis par l’IAC. "La solution viendra du peuple iranien, et non pas par une guerre ou une intervention étrangère", a-t-il poursuivi avant d’indiquer: "Nous devons être capables d’organiser des campagnes, nous devons être capables d’organiser des grèves en Iran, ce qui est le moyen le plus rapide de paralyser ce régime". Et M. Pahlavi d’insister: "L’œil de la pieuvre est à Téhéran, il n’est pas à Beyrouth, il n’est pas ailleurs".

Mais, avant d’arriver à l’étape finale qu’est l’Iran, Israël devra d’abord passer par le Liban, où il met en place plusieurs actions visant à affaiblir le Hezbollah. "Sa stratégie consiste, pour ce faire, à poursuivre les frappes militaires intensives pour aboutir au désarmement total du Hezbollah au sud du Litani, avec l’établissement d’un mécanisme de surveillance crédible, autre que la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), et pour affaiblir non seulement les capacités militaires, opérationnelles et logistiques du Hezbollah, mais aussi son pouvoir civil et politique". Cela implique des attaques contre "les infrastructures militaires du Hezbollah, y compris les bases utilisées pour les tirs de roquettes, les tunnels de la formation et ses positions stratégiques en profondeur au Liban, c’est-à-dire la banlieue sud de Beyrouth, une partie du Chouf, la Békaa et le Liban-Sud", comme l’indique M. Guillaume. L’objectif ici est, selon l’expert, "de détruire la capacité de tir du Hezbollah, notamment son arsenal de missiles et de roquettes", ce qui implique "des attaques intensives contre des infrastructures militaires et civiles, ces dernières étant utilisées à des fins militaires précises". Israël se réserve, en outre, la possibilité d’une invasion terrestre si les frappes ne suffisent pas à garantir la sécurité du nord du pays, ce qui, d’après le fondateur de Celtic Intelligence, est envisageable dans un futur proche, en fonction de l’évolution de la conjoncture.

Par ailleurs, les Israéliens envisagent l’élimination des hauts dirigeants du Hezbollah, "notamment les membres du Conseil du Jihad, une nécessité pour les Israéliens qui cherchent aussi à affaiblir la direction stratégique et opérationnelle de la formation pro-iranienne", signale M. Guillaume. On rappelle, dans ce contexte, que trois membres du plus haut corps militaire du Hezbollah, soit le Conseil du Jihad, ont été la cible de l’État hébreu. Il s’agit de Fouad Chokr, haut commandant militaire du Hezbollah, qui a également dirigé les forces du groupe dans le sud du Liban, tué en juillet par une frappe dans la banlieue sud de Beyrouth; de Ibrahim Akil, chef de l’unité d’élite du parti, Al-Radwane, lui aussi éliminé le 20 septembre dernier dans la même région; et de Ali Karaki, la cible la plus récente parmi les membres du Conseil du jihad, qui a, lui, échappé à l’attaque perpétrée contre lui, le 23 septembre, dans la banlieue sud de Beyrouth. Le dirigeant du front sud au sein du Hezbollah serait, selon un communiqué issu le soir-même par le Hezbollah, "sain et sauf".

Mardi, le chef de l’unité de contrôle des missiles du Hezbollah, Ibrahim Kobeissy, a été tué dans un raid israélien sur le quartier de Ghobeiry, dans la banlieue sud de Beyrouth.

Aujourd’hui, les cibles premières des Israéliens seraient donc, toujours selon M. Guilaume: le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, le chef de la force Al-Qods, unité d’élite du Corps des gardiens de la révolution islamique, Esmail Qaani, le chef de l’Unité 910 du Hezbollah, unité des opérations étrangères de la formation, responsable des attaques à l’étranger, Talal Hamia, le chef de l’unité de sécurité, Khodr Youssef Nader, et le chef du Conseil exécutif du Hezbollah, Hachem Safieddine.

Quid du Hezbollah?

Si Israël semble avoir mis en place les moyens de sa stratégie, le Hezbollah, lui, semble aussi déterminé à poursuivre les combats, "tant qu’un cessez-le-feu n’a pas été décrété à Gaza", comme l’a répété à plusieurs reprises le secrétaire général de la formation, Hassan Nasrallah, depuis le début de la guerre, le 7 octobre 2023. Répondant encore à un seuil qu’il s’est lui-même fixé, le Hezbollah s’efforcerait de maintenir un certain équilibre pour éviter un embrasement total au Liban. "L’Iran ne donne pas d’ordres, il fournit les armes, assure la formation des combattants, apporte son soutien au Hezbollah et agit de concert avec lui, sans être vraisemblablement décisionnaire dans la chaîne opérationnelle de commandement", souligne M. Guillaume.

Mais lorsqu’on sait que plusieurs de ses combattants et hauts cadres ont été éliminés, que son système de communication a été quasi entièrement infiltré, que ses dépôts d’armes et bases militaires sont en train d’être massivement détruits (50% de ses capacités ont été ciblées selon une estimation, lundi, de l’armée israélienne), on se demande si le Hezbollah pourra d’une part maintenir son front de soutien à Gaza et, d’autre part, accomplir les objectifs qu’il s’est fixés, comme annoncé par M. Nasrallah dans son discours le 19 septembre dernier: "punir Israël" et "empêcher les habitants du nord d’Israël de rentrer chez eux avant l’arrêt des combats dans la bande de Gaza".

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