Depuis le début de la pandémie, c’est le boom des profits pour CMA CGM: l’armateur marseillais a redressé la barre depuis 2020, après plusieurs années difficiles. Il profite désormais de ses poches bien pleines pour multiplier les acquisitions, en particulier son entrée au capital d’Air France-KLM.

Un logisticien aux poches pleines, un groupe aérien à la recherche d’argent frais: CMA CGM et Air France-KLM ont annoncé mercredi l’entrée de l’entreprise marseillaise au capital de l’ensemble franco-néerlandais, assortie d’une coopération dans le fret.

Ce " partenariat stratégique " verra les deux entreprises exploiter en commun leurs capacités de fret aérien, un secteur rentable comme jamais en raison du bouleversement des chaînes logistiques depuis le début de la pandémie de Covid-19 voici plus de deux ans.

Le troisième armateur mondial était pourtant dans le rouge il n’y a pas si longtemps et son endettement inquiétait les analystes. Mais il a largement profité de la reprise de l’économie à partir de l’été 2020: avec les tensions sur les chaînes d’approvisionnement, les tarifs du fret ont explosé, faisant grimper la rentabilité du groupe.

 

La crise sanitaire a eu des effets diamétralement opposés sur les fortunes de CMA CGM et d’Air France-KLM: l’armateur a dégagé en 2021, un bénéfice net colossal de 17,9 milliards de dollars (17 milliards d’euros) tandis que le groupe aérien, torpillé par les fermetures de frontières, a subi des pertes cumulées de 11 milliards d’euros en deux ans.

Encore très endetté (7,7 milliards d’euros fin mars) malgré des aides publiques et une première recapitalisation en avril 2021, Air France-KLM avait indiqué, lors de ses résultats annuels voici trois mois, être prêt à lancer une seconde opération pouvant atteindre, elle aussi, jusqu’à 4 milliards d’euros.

Aucun détail supplémentaire n’a été fourni mercredi sur l’échéance de cette nouvelle recapitalisation, ni sur le montant de l’investissement prévu à cette occasion par CMA CGM, qui pourrait à terme contrôler jusqu’à 9% des parts du groupe aérien.

Un logisticien " de bout en bout "

Profitant de cette embellie, les acquisitions et investissements en tout genre s’enchaînent. Mais pas question de parler de " frénésie " pour le groupe: il s’agit selon lui " d’une vraie stratégie ", impulsée par le PDG Rodolphe Saadé en 2018. Objectif: faire de CMA CGM un logisticien " de bout en bout ", plutôt qu’un simple transporteur maritime.

Fort de son trésor de guerre, CMA CGM a multiplié les annonces d’acquisitions ces derniers mois dans la logistique au-delà du transport maritime, son cœur de métier initial. L’armateur a commencé par racheter en mai 2019 le suisse Ceva Logistics: une manière de mettre un pied dans la logistique et notamment le transport par camions.

 

En avril, le groupe a fait un nouveau pas dans le transport terrestre en achetant le transporteur français d’automobiles Gefco, profitant de l’éviction de son actionnaire russe dans le contexte de la guerre en Ukraine. Le groupe marseillais compte intégrer " à terme " Gefco à Ceva pour " créer le leader mondial de la logistique pour le secteur automobile ".

Il s’est aussi lancé dans le fret aérien, en lançant en février 2021 une nouvelle division spécialisée, baptisée Air Cargo. En montant au capital d’Air France-KLM, l’armateur va pouvoir augmenter la taille de sa flotte et profiter des soutes des avions long-courriers des compagnies du groupe.

Le terminal à conteneurs de Beyrouth

CMA CGM continue par ailleurs d’investir dans les ports. Une manière de " gérer la congestion " actuelle des bateaux, soutient le groupe.

Il a ainsi acquis en novembre le troisième terminal des ports de Los Angeles, Fenix Marine Services et lancé en février un plan d’investissement de 33 millions de dollars dans la réhabilitation du terminal à conteneurs de Beyrouth, deux ans après les explosions qui avaient détruit le port libanais.

Plus étonnant, l’armateur a apporté 25 millions d’euros d’argent frais à Brittany Ferries, contribuant ainsi au sauvetage de la compagnie bretonne, plutôt axée sur le trafic touristique. En échange, il a obtenu un partenariat commercial pour utiliser des espaces de fret sur ses navires.

 

Jusqu’à la livraison des colis

CMA CGM s’est aussi lancé dans la livraison de colis aux particuliers en achetant en décembre 2021 le groupe américain Ingram Micro CLS, spécialiste de la logistique contractuelle dans l’e-commerce, pour 3 milliards de dollars environ.

Il a ensuite signé en janvier une promesse d’acquisition de 51% du capital de Colis Privé, dont la valeur était estimée quelques mois plus tôt autour de 550 millions d’euros. La gestion de la logistique " de bout en bout " était " une demande très forte de nos clients ", assure le groupe à l’AFP.

Il se met ainsi en concurrence avec certains de ses clients historiques de la partie transport maritime, comme Kühne+Nagel ou Amazon.

Et maintenant, les médias ?

CMA CGM ne se contente toutefois pas d’investissements dans les transports, puisqu’il s’est engagé à racheter 89% du capital du groupe de presse régionale La Provence après la mort de Bernard Tapie.

L’offre de 81 millions d’euros a été validée par le conseil d’administration de La Provence, malgré l’opposition de l’homme d’affaires Xavier Niel, qui avait déposé une offre à 20 millions d’euros.

Le journal marseillais fait face comme beaucoup de médias à des pertes de lecteurs depuis quelques années. Il a réduit ses tirages d’environ 25% depuis 2017, selon les chiffres de l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias.

AFP