![La défense commune européenne au défi face à Trump 2.0](/images/bibli/1920/1280/2/1website-ali-a.-hamade.jpg)
Avec le début d’un second mandat de Donald Trump à la Maison Blanche, les Européens se trouvent à un carrefour décisif face à une nouvelle configuration géopolitique. Si le premier mandat du président américain avait déjà mis à l’épreuve l’Alliance atlantique en mettant en doute les engagements sécuritaires des États-Unis vis-à-vis de l’Europe, la perspective d’un retour de cet occupant à la Maison Blanche suscite aujourd’hui un sentiment d'inquiétude et de méfiance accrue parmi les nations européennes. Dès lors, la politique étrangère américaine semble s’orienter davantage vers une logique isolationniste et mercantiliste. La question cruciale demeure alors: les Européens, face à une nouvelle ère de turbulences sous l'égide de Trump 2.0, seront-ils capables de surmonter leurs divisions internes et d’affronter de manière unifiée les défis que cette nouvelle administration pourrait leur imposer? Dans cette réflexion, l’enjeu réside dans la capacité de l’Europe à structurer une défense commune tout en conciliant les impératifs de souveraineté et les réalités stratégiques imposées par le retour de l’isolement américain.
Les Européens semblent plus méfiants cette fois que lors du premier mandat de Trump en 2016. À cette époque, la réaction des Européens avait été partiellement alimentée par le Brexit; en ces temps de turbulences, l’Europe se retrouvait soudainement confrontée à un président américain qui remettait en cause les garanties sécuritaires de l’Alliance atlantique, tandis que les Britanniques prenaient la décision de quitter l’Union européenne. Ce contexte, perçu comme une désolidarisation anglo-saxonne, avait impulsé plusieurs initiatives visant à renforcer l’industrie de défense européenne, dans le but de rendre le continent plus autonome face à ses défis sécuritaires. Cependant, sur le plan opérationnel, peu de progrès concrets avaient été réalisés.
La différence majeure aujourd’hui réside dans le retour de la guerre sur le sol européen, avec l’agression russe en Ukraine qui a reconfirmé la dépendance à la protection américaine. En effet, la guerre en Ukraine a démontré la difficulté des Européens à se prendre en charge seuls, tout en soulignant la nécessité géostratégique pour l’Europe de retrouver sa souveraineté sur les armes qu’elle utilise, compte tenu des restrictions opérationnelles imposées par l’influence atlantiste américaine. Néanmoins, certains Européens, tels qu’Andrius Kubilius, commissaire européen à la Défense et à l’Espace depuis décembre 2024, continuent de défendre une approche de continuité en matière de financement d’entreprises de défense américaines opérant sur le sol, quitte à compromettre la souveraineté de l’Europe sur les armes financées. Alors que l’enjeu majeur reste le développement d’une industrie de défense européenne, Donald Trump pousse les Européens à acquérir davantage d’armements américains, tout en exigeant qu’ils consacrent 5% de leur PIB à la défense.
Il semble évident que la question des investissements à court terme et à long terme divise les pays de l’UE: certains jugent nécessaire d’acquérir rapidement des armements, même non souverains, afin de dissuader toute menace russe, la base industrielle et technologique européenne étant, selon eux, incapable de fournir une telle capacité seule. Un autre point de vue, défendu notamment par Paris, est que continuer d’acheter des armements américains freine considérablement le développement de l’industrie militaire européenne. À ce jour, et après le dernier Conseil de défense européen à Bruxelles, la tendance semble pencher davantage en faveur d’achats massifs d’armements américains, au détriment de la souveraineté européenne sur leur utilisation.
Néanmoins, le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche n’est pas seulement une menace stratégique, mais semble aussi se rapprocher d’ “une guerre idéologique”, selon des chercheurs du Chatham House de Londres. Pour eux, Trump verrait que l’Europe représente un modèle politique qu’il cherche à déconstruire: une intégration régionale fondée sur le multilatéralisme et la solidarité. En opposant son modèle d’une “Amérique forte” à celui d’une “Europe affaiblie”, il met en lumière les fragilités des institutions européennes et leur dépendance vis-à-vis de Washington. Les institutions européennes, comme l’Union européenne ou l’OTAN, symboliseraient une vision “postmoderne” qu’il rejette: un monde fondé sur des règles, des valeurs partagées et une coopération étatique. Trump verrait alors dans l’Europe un rival économique et politique plutôt qu’un allié stratégique. Cependant, cette ”guerre idéologique” pourrait et devrait devenir le catalyseur d’une prise de conscience européenne. En réaffirmant leur souveraineté, les Européens pourraient transformer les critiques de Trump en une opportunité de construire un modèle de défense autonome, résilient et durable.
Un point essentiel dont doivent se souvenir les pays européens: une défense commune européenne ne peut pas se construire en seulement quatre ans, soit la durée du mandat de Trump. Ce projet nécessite une vision à long terme, fondée sur une convergence des intérêts stratégiques des États membres et sur une révision en profondeur des priorités de l’Union européenne. La tentation réactionnaire en fonction des politiques américaines serait une erreur stratégique pour l’Europe. Si l’attitude de Donald Trump envers l’OTAN et ses alliés européens constitue un déclencheur, l’Europe doit s’engager dans une réflexion indépendante de l’occupant de la Maison-Blanche. Une défense commune européenne ne doit pas être simplement une réponse aux politiques américaines, mais un projet autonome, crédible et adapté aux réalités géopolitiques du XXIe siècle. Bien que les intérêts stratégiques des États européens puissent diverger, leur défense commune doit être perçue comme un intérêt convergent. Face à un monde en mutation où les menaces deviennent de plus en plus globales, une approche collective est indispensable.
Dès lors, la construction d’une défense commune doit commencer par le développement massif d’une industrie de défense européenne. Celui-ci se ferait par des investissements dans la recherche et le développement, la création d’un marché commun pour les technologies de défense et une réduction de la dépendance européenne aux industries américaines. Une base industrielle forte servirait non seulement à renforcer la souveraineté technologique de l’Europe, mais également à poser les bases d’une force militaire commune crédible. Si les initiatives actuelles, comme la Coopération structurée permanente (CSP) et le Fonds européen de défense, sont des premiers pas importants, elles restent insuffisantes. L’Europe doit aller plus loin en développant une capacité militaire commune, capable de répondre de manière autonome aux crises, qu’elles soient internes ou externes.
L'idée d'une défense commune européenne n’est pas nouvelle. Elle trouve ses racines dans la vision du général de Gaulle qui, dès les années 1960, prônait une Europe capable de se défendre de manière autonome, sans dépendre des États-Unis, comme en témoigne son retrait du commandement intégré de l'OTAN. Pour de Gaulle, l'Europe devait préserver son indépendance politique et stratégique, un principe toujours d'actualité face à un monde multipolaire et à un risque croissant de désengagement américain. Aujourd'hui, la guerre en Ukraine souligne l'importance d'une défense européenne indépendante, en particulier si les priorités des États-Unis venaient à diverger de celles de l'Europe. La vision du général demeure pertinente: l'Europe doit renforcer sa souveraineté en matière de défense, développer une coopération étroite entre ses nations tout en préservant leur indépendance, afin de bâtir une défense commune crédible face aux menaces futures.
En conclusion, bien que l'idée d'une défense commune européenne soit plus que jamais pertinente, elle est encore loin d'être acquise tant les divisions au sein de l'Union européenne persistent. Les divergences stratégiques et les intérêts nationaux de certains États entravent la création d'une défense véritablement unifiée. Cependant, même si cette ambition ne peut pas se réaliser dans un court délai, une solution à long terme est impérative. Construire une défense européenne crédible et durable, fondée sur la coopération renforcée, est un défi complexe mais nécessaire pour garantir l'autonomie stratégique et la sécurité future du continent.
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