L’éditorial – Une légalité contre la légalité

Au lendemain de l’attaque milicienne lancée par le Hezbollah le 7 mai 2008 contre les quartiers de Beyrouth-Ouest tenus, à l’époque, par le Courant du futur et contre certaines régions de la Montagne, dont notamment la localité-symbole de Moukhtara, le chef du parti pro-iranien Hassan Nasrallah avait tenté de justifier l’agression en lançant le slogan «les armes pour défendre… les armes». En clair, il s’octroyait le droit d’utiliser son arsenal milicien sur le plan interne afin de consolider sa position et bétonner son projet politique ; ou plutôt le projet politique des mollahs de Téhéran.
«Les armes pour défendre les armes»… Une logique implacable qui dénote une conception bien particulière de l’action politique et de la nature des rapports avec les partenaires sur la scène locale. On retrouve une approche quelque peu similaire, mais transposée au comportement à l’égard de la légalité, à l’époque de l’occupation syrienne. Le régime Assad tenait constamment à s’assurer une couverture légale, officielle, à ses faits et méfaits dont l’aboutissement était, comble du cynisme, le laminage de la légalité libanaise. D’où ce souci constant qu’avait le pouvoir baasiste d’obtenir la signature d’accords bilatéraux, de documents officiels, de traités même, afin que son sabotage de l’autorité légale au Liban se fasse … dans la légalité!
Dans le contexte présent, le Hezbollah reprend à son propre compte une telle logique.  Celle-ci est apparue tout récemment à l’occasion des suites données subitement, il y a quelques jours, à l’affaire de l’incident de Kahalé, le 9 août dernier. Des députés proches de la formation pro-iranienne ont en effet effectué une démarche auprès du commissaire du gouvernement près le tribunal militaire afin que l’armée restitue au Hezbollah les armes et munitions qui avaient été saisies par la troupe. Prétexte invoqué: la teneur des déclarations ministérielles qui font mention de l’attachement au triptyque «armée, peuple, résistance» implique quel les munitions saisies s’inscrivent dans le cadre de la «résistance» et doivent donc revenir au Hezbollah!

L’objectif réel de l’obstination du «parti de Dieu» à rester attaché au slogan «armée, peuple, résistance» – repris par le ministre iranien des Affaires étrangères lors de sa dernière visite à Beyrouth – apparaît ainsi au grand jour: assurer une couverture légale à une situation de fait accompli qui sape les fondements de la légalité… Cette logique, soit dit en passant, a été appliquée en Irak par la partie pro-iranienne qui a tenu à légaliser formellement la milice alliée à Téhéran, la «mobilisation populaire», laquelle constitue de ce fait un pouvoir légal paramilitaire qui fait concurrence, voire qui s’oppose, aux forces légales… À l’image d’ailleurs, toutes proportions étant gardées, des pasdaran en Iran qui représentent une légalité parallèle s’opposant aux forces régulières.
Une telle approche paraétatique affichée par le Hezbollah met en évidence aujourd’hui une grave réalité évoquée à demi-mots par les chefs de file de la mouvance souverainiste: la crise de la présidentielle dépasse largement le problème de l’identité des candidats et se pose en termes d’adhésion ou non à la prééminence d’un État central fort, réellement souverain et maître de ses décisions. En clair, la ligne de conduite ainsi que la doctrine du Hezbollah, telle qu’établie lors de sa formation au milieu des années 80, prouvent jour après jour que pour ce parti la présidentielle n’est qu’un moyen de consolider son emprise sur les structures étatiques pour assurer une couverture «légale» à son entreprise de déconstruction de la légalité en place, et dans la foulée de l’ensemble du système politico-culturel et des secteurs vitaux du pays.
Contrôler la légalité en place pour la déconstruire et la substituer, dans une étape ultérieure, par une autre, totalement étrangère aux réalités et à la spécificité du Liban: tel semble être l’objectif recherché par le Hezbollah. Et tel est, plus que jamais, l’enjeu véritable de la présidentielle: sauvegarder tout ce qui a constitué la raison d’être et les particularités – l’identité – du pays du Cèdre à travers l’Histoire…