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Le Sri Lanka, cette île asiatique connue pour son patrimoine et ses beaux paysages, a basculé, elle aussi, en 2019 dans sa pire crise économique depuis son indépendance en 1948. Mais quels ont été les causes, les symptômes, les effets, et les solutions de sortie?

Pas de feu sans fumée

Le premier drame commence le 21 avril 2019, un dimanche de Pâques, quand une série d’attentats terroristes perpétrés par l’État islamique frappe trois églises et trois hôtels de luxe en plein cœur de Colombo, la capitale commerciale, tuant 269 personnes. Le monde entier est pétrifié, et le secteur touristique de l’île en prend un coup douloureux. La pandémie du Covid ne fait qu’élargir la plaie financière en imposant le confinement et presque l’arrêt de la production.

En novembre 2019, Gotabaya Rajapaksa, fraîchement élu président, exhibe un programme ambitieux en décidant d’appliquer des politiques dites ESG (environnementales, sociales, et de gouvernance). Dans la pratique, il s’agit d’une augmentation des dépenses publiques (et donc de la dette), suivie par de nouvelles règlementations, plutôt fâcheuses.

Passionné d’écologie, le gouvernement de Rajapaksa décide que les agriculteurs ne seront plus autorisés à utiliser les engrais, herbicides et pesticides chimiques. Une décision subite qui porte un coup dur à trois catégories: les agriculteurs, les industriels concernés et la population qui dépend de la production agricole locale pour se nourrir.

Après une baisse d’impôts, le gouvernement se voit obligé de s’endetter lourdement auprès des pays étrangers, notamment la Chine, afin de financer des projets de valeur douteuse, à l’instar du port de Hambantota ou de l’aéroport international Rajapaksa. La dette publique dépasse alors les 100% du PIB en 2020. Deux ans plus tard, la chute est incontrôlable, avec une dette s’élevant à 86 milliards de dollars.

Un trou noir financier est ainsi créé, et la banque centrale, tentant d’amortir le choc provoqué par les autorités, doit recourir à la création monétaire massive. Des centaines de milliards de roupies sont imprimées en 2022, à la demande des autorités, afin de financer le déficit budgétaire, malgré les avertissements du FMI.

Les banques sri-lankaises détenaient la majeure partie de la dette intérieure (en monnaie locale) de l’État. Aussi, doivent-elles subir les conséquences des caprices d’un gouvernement qui veut vivre au-dessus de ses moyens. Elles sont ainsi contraintes de réduire de manière significative leurs activités d’emprunt, mais parviennent à éviter la faillite.

Le déluge financier

Le mirage écologiste a un effet pervers. Plus de 85% des agriculteurs accusent des pertes de récoltes. La production de riz  chute de 20% et les prix grimpent de 50% en seulement six mois. Le pays, jusqu’alors autosuffisant pour cette denrée vitale, doit importer du riz pour 450 millions de dollars. Les exportations de thé atteignent leur niveau le plus bas en plus de deux décennies.

Concurremment, les envois de fonds des expatriés par voie officielle, via les banques, chutent de 61% en un an. Les travailleurs à l’étranger, en crise de confiance, préfèrent transférer leurs aides familiales à travers des canaux non officiels à un taux de change parallèle plus élevé, contribuant à la dépréciation de la roupie par rapport au dollar. Par voie de conséquence, l’étau se resserre sur les banques, qui voient leurs réserves en devises étrangères s’épuiser puisqu’elles ne reçoivent plus de transferts de l’étranger. 

L’inflation de son côté atteint un niveau record de 74% en septembre 2022. Les Sri Lankais doivent faire face à des pénuries de carburant, de lait, de médicaments. La roupie est dévaluée afin d’encourager les exportations pour obtenir davantage de devises, mais en vain. Les agences de notation réagissent en abaissant la note du pays, donnant le coup de grâce à la crédibilité du gouvernement.

Entre remèdes et palliatifs

La banque centrale, acculée par ces développements provoqués par les politiques publiques des autorités, tente en vain de maintenir la roupie sri-lankaise ancrée au dollar. Mais la monnaie nationale décroche quand même, perdant 50% de sa valeur. En même temps, des contrôles stricts sur le mouvement des capitaux sont mis en place dès avril 2020.

Après avoir épuisé les réserves de devises étrangères et la moitié des réserves d’or pour soutenir la roupie et pour rembourser les obligations souveraines, la banque centrale laisse le taux de change flotter librement début mars 2022. Ce qui entraîne une dépréciation supplémentaire de 30% de la roupie. En avril 2022, le gouvernement double les taux d’intérêt afin d’inciter à l’épargne et contrecarrer l’inflation.

Mais tout cela ne suffira pas et le 12 avril 2022, le gouvernement sri-lankais fait "temporairement" défaut sur l’ensemble de sa dette extérieure d’une valeur de 51 milliards de dollars, "en prévision d’une restructuration". À la suite de longues négociations, le FMI approuve en mars 2023 une aide de 3 milliards de dollars, moyennant une politique publique d’austérité et des réformes financières strictes.

Un accord est également conclu avec la Banque d’exportation et d’importation de Chine en octobre 2023, couvrant 4,2 milliards de dollars de dette échue et impayée. Puis, en novembre, la Banque mondiale approuve un financement afin de renforcer la résilience du secteur financier. La sortie totale de la crise est prévue pour 2026.

Mais, déjà, il n’y a plus de pénuries, les touristes reviennent, les contrôles de capitaux ont été relaxés, et l’inflation a été domptée. Après des années de gabegie, les autorités ont eu la sagesse de se conformer aux recommandations du FMI, mais sans mettre en péril les banques et leurs déposants. Contrairement à d’autres pays qui se perdent encore dans des chamailleries sur qui doit porter le fardeau à la place de l’État.

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