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Les grèves des fonctionnaires s’enchaînent depuis plus de deux ans, nuisant à l’économie libanaise et affectant les recettes de l’État. Évidemment, les fonctionnaires qui exigent des augmentations salariales ont droit à l’amélioration de leur pouvoir d’achat, mais ils sont également responsables de la fermeture des administrations publiques, puisque c’est à travers elles que l’État récolte des recettes pour financer leurs rétributions. Un cercle vicieux!

L’administration publique libanaise est en grève depuis le 30 janvier, et ce, en principe, jusqu’au 9 février – les 10 et 11 tombant le week-end. Les fonctionnaires dénoncent un gouvernement "qui ne respecte ni ses promesses ni ses engagements", alors que le budget pour l’exercice 2024, voté par le Parlement, ne prévoit pas d’augmentations salariales pour les fonctionnaires, mais des "bonus" qui seront ponctionnés des réserves du Trésor.

Il est vrai que le gouvernement avait promis aux fonctionnaires de multiplier par sept les salaires de base. Mais, dans le budget pour l’exercice 2024, le gouvernement a stipulé qu’il a réussi à trouver un financement pour tripler les salaires de base, mais qu’il n’a pas assez de fonds pour une multiplication par 4.

Pour l’économiste en chef de la Byblos Bank, Nassib Ghobril, ces grèves continues nuisent à l’économie. "Nous savons que le gouvernement n’a pas assez de fonds pour couvrir toutes les revendications des fonctionnaires. Mais cette paralysie continue des départements du secteur public nuit au secteur privé et conduit à l’incertitude, au mauvais fonctionnement des entreprises et des usines et sape la confiance dans le pays", affirme-t-il.

De moins en moins de recettes publiques

Les recettes de l’État sont en chute libre. En 2018, elles représentaient 21% du PIB soit 11 milliards de dollars. En 2023, elles sont estimées à 8,6% du PIB ou 1,85 milliard de dollars. En 2018, les recettes fiscales étaient équivalentes à 15,4% du PIB, soit 8,2 milliards de dollars. En 2023, elles sont évaluées à 6,5% du PIB ce qui équivaut à 1,4 milliard de dollars. Commentant ces chiffres, M. Ghobril indique que "ce déclin des recettes de l’État et des recettes fiscales, en particulier de 2018 à 2023 est certainement attribué à la crise économique et à la prédominance de l’économie du cash. Cependant, la grève des fonctionnaires qui dure depuis deux ans a sûrement contribué à cette baisse".  Les recettes fiscales sont passées de 9,2 milliards de dollars en 2018 à 1,4 milliard de dollars en 2023. Pour l’économiste, environ 30% de cette différence (7,8 milliards de dollars) incombe à cette grève qui dure depuis deux ans.

Suppression des emplois fantômes

M. Ghobril soulève également que l’État peut facilement économiser en supprimant les milliers d’emplois fantômes dans l’administration publique. "Il ne s’agit pas du surplus d’employés, mais d’emplois fantômes. Les représentants du secteur public clament publiquement qu’il faut éliminer ces postes." Et de poursuivre: "Depuis 2017, la commission parlementaire de l’Économie et du Commerce, ainsi que le ministère des Finances, crient haut et fort qu’il y a au moins 90 institutions publiques, autorités indépendantes et fonds qui doivent être fermés ou fusionnés avec d’autres départements. Le gouvernement peut donc commencer par ces mesures pour épargner et ces économies pourront financer les augmentations salariales des employés productifs et qui existent effectivement. Ce n’est certainement pas assez, mais c’est un début et cela donnera un signal très positif au secteur privé concernant la mise en œuvre de la restructuration du secteur public."

D’autres sources de financement

Le projet de budget envoyé par le gouvernement imposait de nouvelles redevances et taxes, à tort et à travers, pour financer l’augmentation des salaires des fonctionnaires. Or, s’insurge M. Ghobril, "il faut que l’État s’attelle à d’autres sources de financement qui ont été ignorées par les gouvernements successifs".

Ainsi, des opportunités telles que la lutte contre l’évasion fiscale et douanière, la contrebande ou les empiètements sur le domaine maritime public, ont été délaissées.

Néanmoins, le plus facile et le plus logique, reste, pour M. Ghobril, d’ouvrir les administrations publiques de façon continue cinq jours sur sept pour que les contribuables puissent effectuer leurs formalités et générer des recettes à l’État qui permettront de majorer rapidement les salaires.

Le gouvernement ne peut pas continuer à se plaindre d’un manque de fonds et les fonctionnaires à exiger des augmentations salariales sans que les départements de l’administration publique ne fonctionnent.

"C’est un cercle vicieux qu’il faut briser et il existe plusieurs moyens de le faire", conclut M. Ghobril.