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Dix milliards de dollars. Voici le chiffre hallucinant des pertes du Liban avancé par le ministre sortant de l’Économie, Amine Salam, en conséquence du conflit Israël-Hezbollah. Au-delà des pertes humaines et matérielles, il existe une dimension économique qui ne peut plus être ignorée. Pour un pays déjà au fond du gouffre, il s’agit d’une guerre de trop.

Il est vrai que les conflits ont un grand impact humanitaire, mais ils ont aussi un coût économique très lourd qui qui ne peut être ignoré. Une guerre anéantit en moyenne 15% du PIB d’un pays impliqué. Dans ce contexte, au-delà de ses conséquences humanitaires, la guerre ralentit la croissance économique et intensifie l’inflation. Dans l’ensemble, les risques sur le plan économique se voient décuplés. De plus, les citoyens ont tendance à dépenser moins d’argent pour leur consommation quotidienne et à épargner davantage. Ils n’achètent pas non plus de biens durables. Par conséquent, toute la roue économique est perturbée.

Selon l’économiste Fouad Zmokhol, il n’existe pas de chiffres exacts. Il précise que le chiffre de 10 milliards avancé par le ministre sortant de l’Économie, Amine Salam, est tout à fait plausible. "La destruction et le manque à gagner de l’économie du sud, surtout dans les secteurs de l’agriculture et de l’élevage, sont dramatiques et vont perdurer dans les années à venir à cause des bombardements au phosphore, sans compter les pertes en termes d’investissement et de croissance", précise-t-il.     

L’agriculture au sud anéantie

Les incendies ont repris dans le sud du Liban, depuis mercredi dernier et sept villages ont de nouveau été attaqués au phosphore, selon des sources au ministère de l’Agriculture. "Depuis le début de la guerre, 55 villages ont été bombardés 737 fois au phosphore. 6.000 donums ont pris feu, dont 2.200 ont complètement brûlé. Il s’agit de forêts, d’oliveraies, de chênes et d’arbres fruitiers", précisent les sources susmentionnées. Plus de 60.000 oliviers et entre 4.000 et 5.000 arbres de diverses espèces (chênes et pins) ont été détruits. 55% des bois ont été brûlés, 35% des arbres fruitiers et 10% des herbes (persil, menthe, coriandre) ont été endommagés. Les cultivateurs de tabac ne pourront pas non plus planter cette année puisqu’ils ne peuvent pas parvenir à leur terrain (la production incarne environ 2 millions de kilos, ce qui représente 55% de la production globale du pays et engendre plus de 10 millions de dollars de revenus). Pour ce qui est des fruits et agrumes, sur une superficie cultivée de 7.500 hectares, le sud génère à lui seul 72% des revenus de ce secteur (16,25 millions de dollars sur 22,5 millions de dollars au total). Le sud produit 22% des fruits et agrumes du Liban et 38% des olives du pays, et fournit 5.000 des 25.000 tonnes d’huile d’olive produites chaque année au Liban. Ainsi, les pertes subies lors des bombardements peuvent affecter jusqu’à un cinquième des bénéfices de la production libanaise d’olives, qui s’élèvent à près de 23 millions de dollars.

Toutes ces cultures génèrent des revenus vitaux pour les résidents du sud, en particulier dans les villages frontaliers.

Interrogé par Ici Beyrouth, un expert agricole explique qu’il est possible de replanter les terres, mais qu’il faut d’abord nettoyer et vérifier si le sol et l’eau sont contaminés, ce qui est très probable avec l’utilisation du phosphore blanc. De plus, de gros investissements financiers et techniques sont nécessaires pour rétablir la pleine productivité.

Le ministère n’a pas encore effectué les analyses requises; il est donc encore impossible de déterminer quand les cultivateurs pourront reprendre la culture de leurs terres.   

À noter que 65% de la population du sud travaille dans le secteur agricole, étant donné que cette région bénéficie de conditions agro-climatiques favorables. C’est une zone hautement productive pour une grande variété de produits et représente environ 80% du PIB du Liban-Sud.

Le ministre sortant de l’Agriculture, Abbas Hajj Hassan, a estimé les pertes du seul secteur agricole à "plusieurs milliards de dollars", en insistant toutefois sur le fait qu’il s’agit d’une estimation, la guerre n’ayant toujours pas pris fin.

Un coup dur pour les hôtels

C’est également un coup dur pour l’industrie du tourisme, qui représente 20% du produit intérieur brut (PIB) du pays. Si les expatriés libanais reviennent au pays, malgré les tensions à la frontière, les touristes étrangers, eux, ne sont plus au rendez-vous. Par conséquent, "l’industrie hôtelière est touchée de plein fouet, la majorité des expatriés libanais ayant des résidences au Liban", indique le président de la Fédération des syndicats touristiques et du syndicat des hôteliers, Pierre Achkar. Il a également mentionné que les petits hôtels de montagne, qui ne sont pas de grands établissements, ont fermé leurs portes, mais ils ne le déclarent pas formellement. Ils ouvrent de manière aléatoire, pendant trois à quatre jours, lorsqu’ils ont des clients.

Il a souligné que le véritable défi de survie pour les hôtels réside dans les coûts exorbitants de l’électricité et de l’eau, exprimant son désespoir quant à une éventuelle aide de l’État. M. Achkar a affirmé que malgré tout, le tableau n’est pas complètement sombre, vu que certaines enseignes comme le Four Seasons ou Le Gray rouvrent leurs portes. Il est toutefois convaincu que l’espoir véritable ne sera au rendez-vous que lorsque la guerre sera terminée.