Depuis l’époque soviétique, l’industrie automobile russe se résume à quelques entreprises d’Etat aujourd’hui en grande partie privatisées. Presque la totalité de ces sociétés porte un nom se terminant par les lettres " AZ " pour " Avtomobil’nyy zavod " ou " usine d’automobiles ". Ainsi fleurissent les marques Gaz, Vaz, Uaz, Luaz, Maz, Kraz etc.

A Tolgiatti, ville nommée d’après le communiste italien Palmiro Togliatti, le géant automobile Fiat a livré dans les années 60 une usine " clé en main " pour y fabriquer un modèle populaire en vogue à l’époque: la Fiat 124. Jusque très récemment, l’usine de Togliatti poursuivait la production… du même modèle, devenu le symbole de la voiture soviétique bon marché, rudimentaire et facile à entretenir.

 

 

La Fiat soviétique était commercialisée sous la marque " Zhiguli ", du nom d’une chaîne de montagnes aux environs de l’actuelle ville de Samara, non loin de Togliatti. L’usine, elle, s’appelle de nos jours AvtoVaz, " Usine d’automobile de la Volga ", où le plus grand fleuve d’Europe forme une boucle presque parfaite.

Pour l’exportation, source inespérée de devises, aussi bien pour les Soviétiques que pour l’actuelle Russie, l’on a choisi la marque plus vendable de " Lada " avec pour symbole un drakkar des Vikings, fondateurs des premières principautés russes.

De nos jours, Togliatti, ville " mono-industrielle ", ne fait qu’un avec la gigantesque usine de voitures Avtovaz, et premier constructeur de Russie. Mais, à cause des sanctions internationales, cette cité et ses ouvriers risquent d’être entraînés dans un gouffre.

Le bon vieux Karl Marx, héros favori des prolétaires désunis par la mondialisation, trône toujours sur une place de la ville-usine. (AFP)

 

" C’est une ville-usine. Tout le monde ici bosse soit pour l’usine, soit pour la police ", ricane Alexandre Kalinine, 45 ans (à droite sur la photo), conducteur de monte-charge depuis quinze ans, chez Avtovaz, géant de l’automobile que l’alliance Renault-Nissan contrôle à 68%, au côté de l’État russe. La construction de l’usine a commencé en 1966 avec le concours de Fiat.

Cette cité a connu la gloire à l’époque soviétique, le chaos des années 1990, puis une renaissance dans les années 2010 avec Renault, dont Togliatti est la première usine.

 

 

Avec l’offensive russe en Ukraine et les sanctions économiques internationales qui ont suivi, Togliatti et ses ouvriers se préparent à de nouvelles heures sombres. Du fait des sanctions, composants et pièces détachées n’arrivent plus. Les ouvriers sont au chômage technique, payés aux deux tiers. Irina touche donc 13.000 de ses 20.000 roubles mensuels, soit moins de 140 euros.

Un véritable effondrement

" La hausse des prix est énorme et les gens sont nerveux ", souffle-t-elle, l’inflation étant repartie au galop. En 2018, l’avenir semblait pourtant radieux. Renault emmenait la presse, dont l’AFP, visiter son nouveau joyau industriel sur la Volga, rénové à grands frais.

Le groupe français avait fait entrer l’obsolète usine soviétique dans la modernité grâce à des milliards d’euros d’investissements. Mais en passant aussi par les coupes d’effectifs, le personnel – qui était de 120.000 personnes à l’époque soviétique – étant divisé par deux en dix ans, passant de 70.000 à 40.000 personnes (pour une ville de moins de 700.000 habitants).

 

 

Un rêve à l’arrêt, comme les chaînes de montage, dans la foulée de l’assaut sur l’Ukraine. Les employés sont contraints de prendre en avril leurs trois semaines de congés d’été, pendant que Renault réfléchit à une sortie d’Avtovaz. La ville et son employeur sont donc aux abois, personne chez le géant industriel russe ne souhaitant pas s’exprimer.

Les portes de l’usine sont restées fermées pour l’AFP, comme celles du musée des Lada et de nombreux sous-traitants. Si pour l’heure, il n’y a pas eu de licenciements, beaucoup d’employés sont déjà obligés de prendre un deuxième emploi.

Se tourner vers le local et la Chine 

L’effondrement d’Avtovaz serait aussi celui d’un pan entier de l’histoire industrielle russe. " Depuis l’enfance, toute ma vie est liée à l’usine. Mon oncle est venu y travailler dans les années 70, puis mon père, puis ma mère et moi les avons rejoints (…). Tous nos proches à Togliatti travaillaient à l’usine et moi-même j’y ai travaillé. Je n’avais pas d’autre choix, tout est lié à l’entreprise ", raconte Sergueï Diogrik (Photo).

 

 

À 43 ans, il s’occupe du club Lada History, réunissant des amateurs du monde entier de la voiture soviétique. Un temps mécanicien, il se consacre désormais à la restauration de Lada d’époque. " C’était une production puissante. Le record au début des années 80 a été de 720.000 voitures par an ", affirme-t-il, contre près de 300.000 voitures produites en 2021 à Togliatti, selon le cabinet Inovev. " C’était à la mode de venir ici. Maintenant, la mode pour les jeunes, c’est de partir à Moscou ou ailleurs ", regrette Sergueï.

Le chercheur Iakovlev prévoit qu’Avtovaz " se concentrera sur des modèles dont la production est entièrement locale ", prévoit-il, et ils " contacteront les Chinois ". Mais Avtovaz et sa ville usine pourraient avoir besoin de deux-trois ans pour se réinventer une fois de plus.

Avec AFP