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La politique iranienne de subversion a réussi son pari, celui de déstabiliser la région, installer les conflits dans la durée, réactiver les lignes de clivage et instrumentaliser la question palestinienne au service d’une stratégie de mainmise, de verrouillage et de condominiums qui se déploient sur un axe s’étendant du Yémen jusqu’au Proche-Orient. La stratégie de maillage entre les pays qui structurent cette configuration nodale s’est effectuée par le biais d’une politique interventionniste frontale, l’encadrement des mouvances politiques et religieuses du chiisme duodécimain, le prosélytisme politico-religieux, le partage des zones d’influence avec la Russie, la Turquie et le conflit ouvert avec les États-Unis et Israël.

Les souverainetés territoriales et l’ordre régional sont supplantés par des dynamiques de désintégration dont le régime iranien et ses émules se servent afin d’asseoir un nouvel ordre impérial, où les États ne sont que des relais ou des ersatz. Nous sommes devant des mutations géopolitiques, des entreprises concurrentes et des compromis intérimaires entre des rivaux (la soi-disant réconciliation entre l’Iran et l’Arabie Saoudite).

La politique de subversion, à géométrie variable, a fini par s’inscrire dans le paysage politique régional et domestique. Elle a donné libre cours à des démarches symétriques qui se sont employées à détruire les équilibres intérieurs des pays par la terreur, le contrôle des États et la restructuration des données de la géographie humaine: le remplacement démographique, le prosélytisme politique et religieux, les stratégies de prédation urbaine et foncière, la propulsion des guerres civiles et régionales, et la promotion du crime organisé et des économies souterraines. L’observation de la scène politique en Iran, au Yémen, en Iraq, en Syrie, au Liban, dans les territoires palestiniens et Gaza illustre de manière spectaculaire les mutations en cours.

Le Hezbollah au Liban, conjointement avec son corollaire irakien et leurs acolytes sont les incubateurs et les leviers des politiques de subversion au Proche-Orient. Néanmoins, la différence entre les deux tient à la divergence des contextes géopolitiques, d’acculturation et des incidences de la seconde guerre du Golfe sur la stratégie de subversion chiite pilotée par l’Iran. En Irak, les Iraniens ont réussi à établir leur hégémonie au sein de la fédération irakienne et à maintenir un état d’incertitude qui empêche la normalisation du pays et porte atteinte à sa souveraineté.

Quant au Liban, le Hezbollah a réussi la gageure d’enrayer le récit national libanais, de remettre en cause les équilibres structurels du pays et de le transformer en plateforme de subversion et de criminalité organisée, régionale et transcontinentale. Le Liban est réduit au statut de fiction juridique, et les institutions étatiques ne sont plus désormais que les relais d’une politique de domination qui avance sans vergogne. Le militantisme chiite au Liban joue un rôle essentiel dans la politique d’expansion iranienne, au point que ses échecs et ses réussites conditionnent l’avenir d’un régime iranien aux abois. Le Liban est la plaque-tournante des entreprises de subversion et de criminalité organisée, en Syrie, à Gaza, en Cisjordanie et au niveau des diasporas chiites (Afrique, Amérique latine, Amérique du Nord, Europe, Arabie).

La guerre à Gaza et au Sud-Liban a scellé la mort de l’État libanais au profit d’une stratégie de démantèlement progressive qui arrive à terme avec la confiscation des fonctions régaliennes, l’assujettissement du parlement-croupion, et la servilité du gouvernement. Nous passons de l’extraterritorialité juridique et politique du Hezbollah à l’occupation du pays par un parti politique et une communauté chiite embrigadée qui remettent en question le principe de souveraineté territoriale, les règles de la civilité démocratique, les normes de l’État de droit et de la démocratie consociative.

Lorsque Hassan Nasrallah se dit non concerné par les affaires libanaises, nommément les enjeux institutionnels, alors qu’il les contrôle effectivement, on est immédiatement renvoyé à la déliquescence d’un État décharné. L’entrée du Liban en pleine guerre avec Israël n’a rien avoir avec le choix des Libanais qui, à l’instar des Palestiniens de Gaza, subissent le diktat d’un parti totalitaire et d’une politique impériale qui avancent sur les décombres d’une région en état d’implosion. L’affrontement entre Israël et le Hezbollah est une question de temps, à moins qu’un règlement d’ensemble ne soit finalisé avec l’Iran. Cela dit, les visées hégémoniques des chiites libanais pilotés par le Hezbollah font désormais partie d’un répertoire idéologique, d’un contexte de socialisation et d’un habitus de prédation qui a du mal à se raccorder à des règles de civilité libérale et démocratique.