Dans les jours ayant suivi l’attaque de drone à la frontière syro-jordanienne, deux acteurs de premier plan faisant partie de l’axe iranien ont annoncé la suspension de leurs attaques contre les positions américaines en Irak et en Syrie. Entre craintes de représailles et volonté de négocier en position de force, retour sur un développement inattendu.

Mardi 30 janvier, les Kataëb Hezbollah, influent groupe armé pro-Iran en Irak, ont annoncé la "suspension" leurs opérations militaires contre les troupes américaines. "Nous annonçons la suspension de nos opérations militaires et sécuritaires contre les forces d’occupation, afin d’éviter tout embarras au gouvernement irakien", a publié le groupe sur son site Internet, dans un communiqué qui porte la signature de son secrétaire général, Abou Hussein al-Hamidawi.

Le lendemain, le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) lui a emboîté le pas. Selon des informations rapportées par l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH), l’armée idéologique de Téhéran aurait donné pour instructions aux groupes sous son contrôle en Syrie de "cesser leurs activités militaires contre les bases américaines en Syrie".

Simultanément, l’ONG syrienne basée à Londres a rapporté que "l’état d’alerte maximale est maintenu" depuis deux jours "dans tous les sites des milices iraniennes dans le désert syrien et à Deir ez-Zor". L’état d’alerte s’est aussi étendu aux alliés irakiens de l’Iran, Al-Hachd al-chaabi.

L’Amérique prépare sa riposte

Loin d’être anodin, le timing de ces déclarations s’inscrit évidemment dans le sillage de l’attaque de drone ayant coûté la vie à trois soldats américains à la frontière syro-jordanienne dans la nuit de samedi à dimanche 28 janvier. Le président américain, Joe Biden, avait par la suite promis des représailles "conséquentes", accusant l’Iran d’avoir fourni l’armement nécessaire à cette frappe.

Depuis, les officiels américains multiplient les déclarations menaçantes. La plupart des experts, à l’image du général libanais à la retraite Khalil Hélou, s’accordent ainsi sur le fait que la riposte américaine n’est qu’une affaire de temps.

La principale inconnue reste son ampleur: s’agira-t-il de frappes limitées visant uniquement les groupes pro-iraniens, ou bien d’une action élargie, comprenant même – scénario redouté – des frappes contre des infrastructures en Iran?

Fait intéressant, plusieurs responsables militaires américains ont déclaré, sous couvert de l’anonymat, que le succès de la frappe de drone du week-end pourrait relever davantage de la chance que d’une opération mûrement réfléchie. En effet, l’appareil sans pilote iranien aurait pénétré le périmètre de sécurité de la base "Tower 22" au même moment qu’un autre drone, cette fois-ci américain.

Victoire ou crainte iranienne?

La confusion résultant de ce timing aurait donc permis à l’engin iranien d’atteindre son objectif. Cela soulève une question sous-jacente: est-ce que l’appareil iranien suivait délibérément son homologue américain, ou s’agit-il simplement d’une coïncidence fortuite?

Photo satellite diffusée le 29 janvier 2024 par Planet Labs PBC montrant une vue de la base Tower 22, près de la frontière jordanienne avec l’Irak et la Syrie. (Planet Labs, AFP)

Dans le cas de la première hypothèse, l’attaque constituerait une démonstration de force du camp iranien. En effet, cela mettrait en exergue sa capacité à exploiter des renseignements sur le terrain – ici à travers la surveillance des allées et venues d’appareils américains – pour mener une opération ciblée, en trompant l’adversaire.

Dans ce scénario, la suspension des opérations pourrait être assimilée à une ouverture aux négociations, après un tour de force.

En revanche, dans le cas de la seconde hypothèse, le résultat de la frappe ne correspondrait pas à l’objectif initial recherché par l’attaquant, d’autant plus que les bases américaines dans la région sont particulièrement bien défendues, notamment contre les drones.

D’une forme de " harcèlement léger ", l’action iranienne se serait transformée en dérapage. Dans ce cas de figure, la décision du CGRI semble être principalement motivée par la crainte des répercussions de la réponse américaine et constitue une tentative de "ménager" cette dernière.

Une volonté de désescalade à tempérer

Peut-on pour autant considérer ces derniers développements comme les signes d’un apaisement que l’on n’attendait plus? Rien n’est moins sûr. Réagissant à l’annonce des Kataëb Hezbollah lors d’un point presse à Washington, le porte-parole du Pentagone, Pat Ryder, a estimé que "les actions parlent plus fort que les mots".

"Nous avions appelé les groupes parrainés par l’Iran à cesser leurs attaques. Ils ne l’ont pas fait. Nous répondrons donc au moment que nous choisirons, et comme nous le voulons", a-t-il martelé.

L’Administration du président Joe Biden répondra de manière ferme, comme le fait remarquer le général Khalil Hélou, notamment en raison du calendrier électoral américain.

Le chef du Corps des gardiens de la révolution islamique d’Iran (IRGC), Hossein Salami, prononce un discours à Téhéran, le 28 décembre 2023. (Atta KENARE, AFP)

Côté iranien, Hossein Salami, le commandant en chef du CGRI, a déclaré que Téhéran ne craignait pas une confrontation militaire directe avec Washington. "Ces jours-ci, nous entendons des menaces de la part de responsables américains, à qui nous disons […]: Nous ne laissons aucune menace sans réponse et nous ne cherchons pas la guerre, mais nous n’avons pas peur de la guerre", a-t-il affirmé, selon les médias d’État.

En définitive, la seule déclaration allant dans le sens d’une désescalade concrète reste celle des Kataëb Hezbollah. Dans la foulée de leur annonce, le média Al-Hadath rapportait que ceux-ci précisaient qu’ils ne riposteraient à aucune frappe américaine éventuelle qui pourrait les viser. Du moins jusqu’à nouvel ordre du parrain iranien.