L’Ukraine a décrit jeudi une offensive militaire russe d' "intensité maximale " et une situation extrêmement difficile dans l’Est de son territoire, demandant plus d’armes lourdes et dénonçant par avance toute concession " pacifiste " à la Russie, qui a rejeté avec dédain un plan de paix italien. Le président Volodymyr Zelensky a pour sa part accusé Moscou de pratiquer un " génocide " au Donbass.

" L’actuelle offensive des occupants dans le Donbass pourrait rendre la région inhabitée ", a affirmé M. Zelensky dans son adresse télévisée dans la nuit de jeudi à vendredi, accusant les forces russes de chercher à " réduire en cendres " plusieurs villes de la région.

Les forces russes pratiquent la " déportation " et " les tueries de masse de civils " dans le Donbass, a poursuivi M. Zelensky, selon qui " tout ceci (…) est une politique évidente de génocide menée par la Russie ".

Les accusations de M. Zelensky font écho à celles de Moscou, qui a justifié son invasion par un prétendu " génocide " pratiqué par les Ukrainiens contre la population russophone dans le Donbass.

En avril, le Parlement ukrainien avait déjà adopté une résolution qualifiant de " génocide " les agissements de l’armée russe, et avait exhorté tous les pays étrangers et organisations internationales à faire de même. Le président américain Joe Biden a lui-même employé cette expression, tandis que son homologue français Emmanuel Macron s’y refuse.

Les façades des bâtiments criblées de balles et autres shrapnells dans le centre de Kharkiv. (AFP)
Protéger le monde du " Ruscisme "

" C’est dur, mais nous tenons le coup. Nous combattons pour chaque centimètre de la ligne de front, pour chaque village. Les armes occidentales nous aident à rejeter l’ennemi hors de notre terre ", a écrit sur Telegram le commandant en chef des forces armées ukrainiennes Valeriï Zaloujny.

" Nous avons grand besoin d’armes qui permettront de frapper l’ennemi à grande distance ", a-t-il ajouté, soulignant que " tout délai (dans ces livraisons d’armes lourdes) se paie par la vie de gens qui protègent le monde du Ruscisme ", la contraction de " Russie " et " fascisme " employée en Ukraine pour désigner le régime instauré à Moscou par Vladimir Poutine.

La ville de Severodonetsk

Car sur le terrain, l’armée russe, qui après avoir échoué à prendre Kiev et Kharkiv a concentré ses effort sur la conquête complète du Donbass, le bassin industriel de l’Est déjà partiellement contrôlé par des séparatistes prorusses depuis 2014, continue de progresser lentement.

Appuyée par un déluge de bombes, elle menace directement Severodonetsk, une ville de 100.000 habitants avant la guerre, qui pourrait connaître le même sort que Marioupol, la ville portuaire du sud-est en grande partie détruite après des semaines de siège.

Des secouristes assistent un homme âgé dans l’abri de sa maison au Donbass

" La mission est extrêmement difficile dans la région de Lougansk après trois mois d’attaques et de bombardements permanents. Et maintenant toutes les forces des Russes sont concentrées ici et nous devons contenir cette horde ", a dit le gouverneur de cette région du Donbass, Serguiï Gaïdaï, sur Telegram.  " Il est clair que petit à petit nos gars reculent vers des positions mieux fortifiées ", a-t-il ajouté.

" Le tiroir honteux de Munich "

" Les combats ont atteint leur intensité maximale et une étape longue et extrêmement difficile nous attend ", a résumé à Kiev jeudi la vice-ministre de la Défense Ganna Malyar au cours d’un point de presse.

Elle s’est élevée contre ceux qui " ressortent encore une fois, du tiroir honteux de Munich, l’idée traîtresse d’apaiser l’agresseur ". En référence à l’accord de Munich, ultime traité de paix avec Hitler avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.

La vice-ministre ukrainienne de la Défense Ganna Malyar

" Nous rejetons ce pacifisme faible. L’Ukraine se battra pour la libération complète de ses territoires dans leurs frontières internationalement reconnus. Et Poutine peut sauver la face en se retirant de nos territoires ", a-t-elle ajouté, dans une allusion apparente aux appels, notamment de Paris, à ne pas " humilier " la Russie.

Pour sa part Serguiï Gaïdaï, gouverneur de la région de Lougansk, a publié sur Telegram : " Des combats extrêmement durs font rage aux abords de Severodonetsk, ils (les Russes) sont en train de détruire complètement la ville ".

 

Des secouristes disposant les premiers soins à des blessés par une explosion à Kharkiv
Neuf morts à Kharkiv

Plus au nord, les forces russes ont bombardé de nouveau jeudi Kharkiv, deuxième ville du pays, qui avait entamé un retour à une vie normale mi-mai et où la circulation du métro avait repris. Neuf personnes sont mortes lors de ces bombardements.

Selon la présidence ukrainienne, au cours des dernières 24 heures au moins trois personnes ont été tuées à Lyssytchansk dans la région de Lougansk, et quatre civils ont péri dans la région de Donetsk.

La présidence avait également indiqué que dans la zone de Kharkiv, deux personnes étaient mortes dans un bombardement à Balakliya, et que deux morts avaient également été recensés dans le sud du pays, dans la région de Mykolaïv.

Par ailleurs, un tribunal militaire russe de la région de Kabardino-Balkarie a confirmé le licenciement de 115 militaires ayant contesté leur renvoi de l’armée pour avoir refusé de combattre en Ukraine.

Lavrov " n’a pas vu " le plan italien

Le chef de la diplomatie russe a jugé dans un entretien publié jeudi que le plan de paix en Ukraine proposé par l’Italie n’était pas " sérieux ". Sergueï Lavrov a aussi affirmé qu’il n’en connaissait le contenu que par la presse, le texte n’ayant pas été communiqué à Moscou. Son adjoint, Andreï Roudenko, avait dit lundi l’avoir reçu et qu’il était à l’étude.

" Il y est question que la Crimée (péninsule ukrainienne annexée par la Russie) et le Donbass (région séparatiste reconnue par Moscou) appartiennent à l’Ukraine avec une large autonomie ", a dit M. Lavrov dans un entretien au média russe d’Etat RT.

Le premier étage d’un missile balistique russe à Lyssytchansk, au Donbass

" Des politiques sérieux qui veulent des résultats ne peuvent pas proposer des choses comme ça, ceux qui le font sont ceux qui veulent faire leur autopromotion devant leur électorat ", a-t-il ajouté, dans une pique adressée de toute apparence au ministre italien des Affaires étrangères Luigi Di Maio.

Ce dernier avait annoncé il y a une semaine que son pays avait proposé à l’ONU la constitution d’un " groupe international de facilitation " pour tenter de parvenir " pas à pas " à un cessez-le-feu en Ukraine.

Les détails de ce plan n’ont pas été publiés, mais selon le quotidien italien La Repubblica le document remis à l’ONU prévoit quatre étapes:

– un cessez-le-feu en Ukraine et la démilitarisation du front sous supervision de l’ONU.

– des négociations sur le statut de l’Ukraine, qui entrerait dans l’UE, mais pas dans l’Otan.

– un accord bilatéral entre l’Ukraine et la Russie sur la Crimée et le Donbass qui seraient autonomes, mais sous souveraineté ukrainienne.

– la conclusion d’un accord multilatéral de paix et de sécurité en Europe.

Exportations du blé ukrainien

Face aux inquiétudes quant à l’incapacité actuelle de l’Ukraine à exporter ses céréales en raison du blocage de ses ports, il a fait état de discussions de Kiev avec les Nations unies sur la possibilité d’un passage sécurisé à partir du port d’Odessa.

Le Kremlin a balayé jeudi les accusations occidentales. " Nous rejetons catégoriquement ces accusations et accusons à l’inverse les pays occidentaux d’avoir pris une série de mesures illégales qui ont mené à ce blocus ", a déclaré le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov.

Lors d’un appel téléphonique avec le Premier ministre italien Mario Draghi, le président Vladimir Poutine s’est dit prêt à aider à " surmonter la crise alimentaire " provoquée par le blocage de céréales ukrainiennes et russes en raison du conflit en cours, à condition que cela soit précédé d’une levée des sanctions contre Moscou.

Afin de tenter de contourner ce blocus, l’Allemagne a mis sur pied un " pont ferroviaire " avec l’Ukraine pour aider Kiev à exporter ses céréales, a indiqué le prochain chef des forces américaines en Europe, le général Chris Cavoli.

Les façades des bâtiments criblées de balles et autres shrapnells dans le centre de Kharkiv.
Programme de " dé-ukrainisation " pour les écoliers

Sur le front méridional, Moscou s’affaire à consolider son emprise sur les territoires conquis depuis trois mois. La Russie a ainsi annoncé qu’elle allait permettre aux habitants des régions de Zaporijjia et de Kherson de demander un passeport russe via " une procédure simplifiée ". L’Ukraine a aussitôt dénoncé un octroi " forcé " de la nationalité russe démontrant la volonté de Moscou de mener une annexion pure et simple de ces territoires.

Jeudi, à Marioupol, un responsable de la mairie a annoncé que les enfants allaient, en lieu et place des vacances d’été, suivre un programme de " dé-ukrainisation " et de préparation au programme russe, avec notamment des cours de langue, de littérature et d’histoire.

L’OMS, Marin, Scholz et Truss

A Genève, les pays membres de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) ont adopté une résolution présentée par l’Ukraine qui condamne " avec la plus grande fermeté " l’agression militaire russe, et en particulier les attaques contre les services de santé.

A Kiev, où elle était jeudi en visite, la Première ministre finlandaise Sanna Marin, dont le pays vient de soumettre sa demande d’adhésion à l’Otan, a assuré que la confiance dans la Russie " était perdue pour des générations ".

La Première ministre finlandaise Sanna Marin a été reçue jeudi par le président Zelensky

L’Occident doit s’assurer que le président russe Vladimir Poutine perde la guerre en Ukraine et continuer à soutenir Kiev sans faiblir, a déclaré de son côté jeudi la cheffe de la diplomatie britannique. " Il ne faut offrir aucun compromis ou apaisement à Poutine ", a déclaré Liz Truss.

" Il faut plonger loin dans nos ressources sans relâchement ", a-t-elle poursuivi lors d’une conférence de presse. Il s’agit de " continuer à fournir à l’Ukraine les armes dont elle a besoin pour gagner et reprendre son intégrité territoriale et sa souveraineté ".

Dans un discours à Davos, le chancelier allemand Olaf Scholz s’est dit " convaincu " jeudi que la Russie ne gagnerait pas la guerre en Ukraine, affirmant aussi que le président Vladimir Poutine ne serait pas autorisé à " dicter " la paix. " Poutine ne doit pas gagner sa guerre. Et j’en suis convaincu: il ne la gagnera pas ", a affirmé le chancelier.

Le président russe, qui a lancé l’invasion de l’Ukraine il y a plus de trois mois, " a déjà manqué ses objectifs stratégiques ", a-t-il estimé, jugeant qu’une " invasion de l’ensemble de l’Ukraine " paraissait " aujourd’hui plus éloignée qu’au début de l’offensive ".

De droite à gauche, les lauréates bélarusses du Prix Charlemagne: Svetlana Tikhanovskaya, Tatiana Khomich, qui représente sa sœur Maria Kolesnikova emprisonnée au Bélarus, et Veronika Tsepkalo.
Le prix Charlemagne à trois opposantes bélarusses

Sur un autre plan, la cheffe de la diplomatie allemande Annalena Baerbock a déclaré jeudi que Berlin ne connaîtra " pas de repos " tant qu’Alexandre Loukachenko continuera sa répression contre la population au Bélarus, lors de la remise du prix Charlemagne à trois opposantes au régime.

Svetlana Tikhanovskaïa, Veronika Tsepkalo et Maria Kolesnikova, devenues les visages de la contestation du régime d’Alexandre Loukachenko, sont les lauréates de ce prix prestigieux qui récompense un engagement particulièrement marquant en faveur de l’entente en Europe.

Mme Kolesnikova, qui purge une peine de prison dans son pays, était représentée par sa soeur.

" Nous sommes à vos côtés. Nous vous entendons. Nous ne vous avons pas oubliés ", a affirmé la cheffe de la diplomatie, reconnaissant aussi les erreurs faites dans le passé par l’Allemagne dans ses relations avec le régime.

Au balcon de l’hôtel de ville d’Aix-la-Chapelle

" L’idée que la coopération est possible jusqu’à un certain point avec des dictateurs comme Loukachenko nous a sans doute conduit à agir de façon trop hésitante contre le régime bélarusse ", a-t-elle dit.

Elle faisait référence à la ligne allemande de ces dernières années, selon laquelle le commerce avec des pays autocratiques, comme la Russie, la Chine ou le Bélarus, était censé induire des changements de ces pays vers la démocratie. Cela s’est avéré " être une illusion ", a-t-elle admis.

Mme Baerbock a aussi demandé à la soeur de Mme Kolesnikova de lui assurer que " ses espoirs n’étaient pas vains ".

Maria Kolesnikova, ancienne flûtiste et chef d’orchestre professionnelle âgée de 40 ans, avait refusé d’être expulsée de son pays. Elle a été condamnée à onze ans de prison à l’issue d’un procès à huis clos.

La plus connue du trio est Svetlana Tikhanovskaïa, qui, à l’instar d’observateurs occidentaux, affirme avoir remporté l’élection présidentielle de 2020 contre M. Loukachenko.

Elle vit désormais en exil, de même que Veronika Tsepkalo, qui réside en Pologne avec son mari Valery, un ancien diplomate, dont la candidature à la présidentielle avait été rejetée.

Le prix Charlemagne a été créé en 1949 à Aix-la-Chapelle, ancienne capitale de l’empire carolingien, pour promouvoir la construction européenne, après les destructions de la Seconde Guerre mondiale.

 

Avec AFP