Le Premier ministre désigné, Najib Mikati, est attendu mercredi à Baabda pour reprendre le dialogue avec le président Michel Aoun au sujet de la composition du gouvernement.

De retour à Beyrouth après des vacances passées à l’étranger, le Premier ministre désigné, Najib Mikati, entend se rendre mercredi à Baabda pour poursuivre avec le président Michel Aoun le dialogue autour de la composition du gouvernement qu’il est appelé à former.

Mardi, il a réuni tous les membres du gouvernement d’expédition des affaires courantes pour des discussions informelles qui ont porté sur des dossiers d’actualité. Bref, tout concourt pour donner le sentiment d’une nouvelle dynamique censée briser l’immobilisme dans lequel le pays est plongé depuis le début du mois de juillet, alors que les problèmes de fond restent entiers.

Pour ce qui est notamment du dossier gouvernemental, les deux conceptions du président de la République et du Premier ministre désigné de ce que devrait être la composition du dernier gouvernement du sexennat, restent incompatibles, en raison des intérêts qui se greffent sur cette échéance.

À moins que Najib Mikati ne propose demain à Michel Aoun une nouvelle mouture gouvernementale qui conviendrait à ce dernier ou que le chef de l’État n’accepte celle que le Premier ministre désigné lui avait soumise en juillet, il serait utopique de croire qu’un déblocage est possible. Surtout, si l’on tient compte de la campagne systématique menée par Gebran Bassil, le chef du Courant patriotique libre fondé par le président Aoun, contre Najib Mikati, qu’il accuse de ne pas vouloir former de gouvernement et de chercher à court-circuiter le rôle constitutionnel du chef de l’État au niveau de la formation du gouvernement.

La visite de Najib Mikati à Baabda demain mercredi devrait être ainsi située dans le cadre d’une prise de contact qui brisera le temps mort dans lequel le Liban est engagé avec l’approche de l’échéance présidentielle. D’abord, parce que toute l’attention des forces politiques est aujourd’hui portée sur le rendez-vous d’octobre. Celui-ci complique la mise en place d’un gouvernement, les acteurs locaux étant conscients qu’en cas de vacance présidentielle, c’est le Conseil des ministres qui assumerait, conformément à la Constitution, les prérogatives du président. Si l’on ajoute à cela, ensuite, les développements en cours au niveau international et leur impact sur le Liban, notamment la possibilité d’un accord américano-iranien sur le nucléaire, la perspective d’une naissance de la nouvelle équipe dans un avenir proche, s’avère ainsi des plus aléatoires.

Une dimension politique

Dans ce contexte, la réunion ministérielle du Sérail mardi revêt une dimension principalement politique, dont les motivations expliqueraient en partie l’acharnement de Gebran Bassil contre le Premier ministre désigné. Najib Mikati n’avait pas réuni l’ensemble de son équipe depuis que celle-ci a commencé d’expédier les affaires courantes après les législatives du 15 mai 2022. Il s’est contenté de réunions sur des dossiers précis avec les ministres concernés.

Celle de mardi a été ainsi interprétée dans plusieurs milieux politiques comme un message adressé par Najib Mikati à qui de droit, selon lequel le gouvernement d’expédition des affaires courantes est à même d’assumer les prérogatives du président, en cas de vacance à la tête de l’État à partir du 31 octobre prochain. La Constitution qui accorde ce droit au Conseil des ministres ne prévoit cependant pas le cas d’un vide présidentiel en présence d’un gouvernement démissionnaire, ce qui ouvre la voie à diverses interprétations, sachant qu’au nom de la continuité au niveau du pouvoir, un gouvernement même chargé d’expédition des affaires courantes, devrait pouvoir à tout le moins tenir les rênes du pays avec le Parlement, en attendant que celui-ci élise un nouveau président de la République. À plus forte raison quand le pays en question connaît une crise sans précédent, que l’effondrement dans lequel il est plongé menace du pire et que ses dirigeants brillent par leur incompétence et leur inaptitude à proposer des solutions.

Mais là n’est pas l’avis du bloc parlementaire du parti fondé par le président Aoun, qui a exprimé sans détour son opposition mardi à ce que le gouvernement d’expédition des affaires courantes assume les prérogatives présidentielles. " Toute tentative qui va dans ce sens est rejetée. Elle ouvre la voie à un chaos constitutionnel, voire pire, et crée un précédent qui pourrait entraîner d’autres ", a mis en garde le bloc parlementaire du CPL qui a tenu sa réunion hebdomadaire sous la présidence de Gebran Bassil. Selon lui, il est impératif que le Premier ministre désigné forme un nouveau gouvernement " en prenant en considération le partenariat constitutionnel avec le chef de l’État dans le processus de formation, sans que quiconque n’entraîne le pays vers des aventures qui pourraient porter un coup à la Constitution et au Pacte national ". Une allusion à Najib Mikati, qui a sonné comme un avertissement à la veille de la visite de ce dernier à Baabda et comme une critique indirecte à la réunion du Sérail qui n’était visiblement pas à son goût. Le bloc du CPL a d’ailleurs dénoncé des " jurisprudences toutes faites permettant au gouvernement démissionnaire d’assumer les fonctions du chef de l’État au cas où la présidentielle n’aurait pas lieu dans les délais constitutionnels ".

Trois dossiers, mais pas de décisions

À l’agenda de la réunion du Sérail, trois dossiers principaux auxquels aucune décision n’a été prise, ont confié des sources proches du gouvernement à Ici Beyrouth : la mission du médiateur américain, Amos Hochstein, autour des négociations indirectes avec Israël sur la délimitation des frontières maritimes, la hausse de la tarification d’EDL et le taux du dollar douanier. Les ministres se sont concertés au sujet des trois. Ils ont pris connaissance de l’évolution des contacts menés par Amos Hochstein avec les autorités israéliennes. Les pronostics semblent positifs, " contrairement à ce que rapportent les médias ".

Pour ce qui est du relèvement du tarif du kilowatt/h, l’opportunité d’une telle mesure a été longuement débattue, mais il a été convenu qu’elle ne peut être applicable que lorsque la distribution du courant électrique se sera sensiblement améliorée, alors que le ministre sortant de l’Énergie, Walid Fayad, la considérait indispensable pour une amélioration de la distribution.

Idem pour le dollar douanier. Diverses idées ont été proposées, mais aucune n’a été retenue, " contrairement à ce que les médias ont rapporté au sujet du dollar douanier fixé à 20.000 livres ", selon les mêmes sources.

Au cours de cette réunion – marquée par ailleurs par une violente dispute entre les deux ministres sortants des Affaires sociales, Hector Hajjar, et des Affaires des réfugiés, Issam Charefeddine, sur le point de savoir qui des deux est en charge du plan de retour des réfugiés syriens chez eux – Najib Mikati a informé ses collègues qu’il a pris contact avec le chef de l’État pour lui faire part de son retour à Beyrouth. Il leur a précisé que ce dernier s’est montré excessivement cordial et qu’il a pris rendez-vous pour mercredi à Baabda, afin de remettre sur le tapis le dossier du gouvernement.

Les relations entre les deux hommes s’étaient progressivement détériorés depuis que la liste des noms des ministres proposés par M. Mikati et contestés par le chef de l’État, avait fuité. Le Premier ministre désigné avait accusé les services de la présidence de la République d’avoir dévoilé les noms. Un véritable bras-de-fer s’est engagé ensuite entre Baabda et le Sérail, nourri par le président du CPL qui tirait sur le Premier ministre désigné. Le 5 juillet, M. Mikati avait demandé à voir le chef de l’État pour poursuivre avec lui l’examen de la composition du nouveau gouvernement, mais la présidence de la République n’a donné aucune suite à sa requête.

La première combinaison ministérielle rejetée par Michel Aoun correspondait à un remaniement de l’équipe actuelle. Najib Mikati avait proposé le maintien de la majorité des ministres à leurs postes, à l’exception toutefois de ceux de l’Énergie et des Finances. À la tête de l’Énergie, il a voulu remplacer Walid Fayad par Walid Sinno, un spécialiste du dossier, proche de lui, alors qu’aux Finances, il a proposé l’ancien député Yassine Jaber, proche du président de la Chambre Nabih Berry à la place de Youssef Khalil. Le CPL continue cependant de s’accrocher à l’Énergie qu’il a géré pendant plus de dix ans, avec les résultats lamentables qu’on connaît, alors que Najib Mikati veut essentiellement réformer ce secteur dans le cadre du plan prévu pour une sortie de crise au Liban. Le parti aouniste a vu dans la proposition du Premier ministre désigné une atteinte qui l’a fait monter au créneau, d’autant qu’il est plus que jamais déterminé à obtenir la formation d’un gouvernement dans lequel il sera prédominant avec ses alliés. Le CPL souhaite garder des portefeuilles clés, surtout si la nouvelle équipe doit assumer les prérogatives présidentielles en cas de vacance à la tête de l’État.

Le bloc parlementaire du CPL refuse que le gouvernement d’expédition des affaires courantes assume les prérogatives du président ©ANI