Iran-Israël: duel à fleurets mouchetés

Quelle sorte de partition l’Iran et Israël sont-ils en train de jouer? Avec pour souffleur les États-Unis d’Amérique!
Avant de répondre à cette interrogation, quelques précisions sur cet art martial suranné qu’est l’escrime. On s’y bat à fleurets mouchetés, d’après la belle expression qui nous vient de l’Ancien Régime, quand on est à l’entraînement. Le fleuret, une arme d’estoc, est alors muni à son extrémité d’une protection, la mouche, pour ne pas blesser le challenger. L’idée est de se ménager entre adversaires, entre gens de bonne compagnie. Quant au souffleur, rôle si bien rempli par Washington, c’est, au théâtre, la personne chargée de souffler le texte aux acteurs au cas où leur mémoire serait défaillante!
«Dardale», s’exclame Ben-Gvir, le persifleur
Essayons de saisir la complexité de la question en gardant à l’esprit ces quelques explications et attachons-nous à l’examen de ce combat qui s’est engagé en champ clos, depuis le début de ce mois d’avril, entre la République islamique et l’État hébreu. Ce combat parallèle, mais quelque peu indépendant, du conflit qui fait rage à Gaza, s’est illustré en trois épisodes: la frappe du consulat iranien à Damas (1ᵉʳ avril), la riposte iranienne (13-14 avril) et le raid israélien sur Ispahan du 19 du même mois.
Le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, a vite fait de minimiser l’impact de ce dernier raid sur le territoire de la République islamique, le comparant à un «jeu d’enfant». Et, comme par hasard, mais de l’autre côté de la barrière, Itamar Ben-Gvir n’a pas manqué de lui donner raison. Affublé du titre pompeux de ministre de la Sécurité nationale de l’État hébreu, ce dernier ne fait même pas partie du cabinet de guerre, même s’il pratique la surenchère verbale à tout venant. Ben-Gvir est passé outre aux instructions de Netanyahou qui avait interdit aux membres de son gouvernement de s’attribuer la responsabilité de la frappe du 19 avril sur l’ancienne capitale de l’empire perse. Or, pour marquer son désaccord avec le Premier ministre, le trublion nationaliste a traité avec condescendance, et même mépris, ledit raid, en le qualifiant de «dardale», ce qui veut dire «faible» ou «dérisoire» dans le jargon des footballeurs israéliens. Mais, au fait, l’opération relevait du message à faire parvenir: Elle était plus symbolique qu’autre chose. En effet, les images satellites ont montré que le système de défense aérienne sur la base iranienne avait été touché; ainsi, on n’a qu’à déplorer le dommage subi par le radar de fabrication russe qui devait «suivre les cibles entrantes». Sans plus!
Réponse du berger à la bergère
Les spécialistes de la diplomatie guerrière ont pu résumer la situation de la sorte:
1- L'attaque iranienne du 13-14 avril a été repoussée; Israël sort renforcé de l’épreuve, ses alliés occidentaux étant intervenus, comme promis, pour lui apporter soutien.
2- Le raid sur Ispahan a apporté la preuve à la République islamique qu’Israël est en mesure d’esquiver son système de défense anti-aérien et de frapper la cible de son choix.
Le message est donc double(1): la suprématie technologique de l’État hébreu est réaffirmée aussi bien au niveau du bouclier que de l’épée. D’une part, Israël a fait la preuve de sa capacité à se tirer d’affaire même sous une pluie de drones et de missiles. Et, d’autre part, il a démontré qu’il lui est loisible de frapper les installations afférentes au programme nucléaire iranien.

Mais également une étonnante chorégraphie
Revenons au raid du 19 avril: au sein du cabinet de guerre, c’est l’opinion de Netanyahou qui a prévalu, une opinion largement imposée par les États-Unis qui ne veulent pas de réactions militaires en chaîne dans la région. Pour cette grande puissance, il était indispensable de sauver la face des ayatollahs aux yeux de leur propre peuple. Par ailleurs, il fallait à tout prix éviter l’escalade, alors que les belligérants étaient bien partis pour changer les règles d’engagement. La politique de l’endiguement (containment) est quand même plus rassurante pour le concert des nations.
L’État hébreu a accepté de désamorcer la crise. On lui a fait valoir que les États-Unis, voire des pays comme la France et la Jordanie, sont intervenus pour assurer sa défense au moment même où 300 missiles et drones l’avaient pris pour cible. Aussi s’explique-t-on pourquoi le raid sur Ispahan fut si «dérisoire»: il ne devait pas servir de prétexte à des représailles de la part du régime du Guide suprême, Ali Khamenei. Le rétablissement du statu quo devait arranger en premier lieu Washington, mais aussi Téhéran. Car, en dépit des rodomontades, l’Iran, qui est vulnérable, n’a pour intérêt fondamental que sa propre survie et sa «self-preservation». Et c’est pour cette raison qu’il veut se distancier du Hamas et qu’il continue de clamer qu’il n’avait pas été mis au courant du soulèvement du 7 octobre (2).
Il faut croire que la brèche a été colmatée pour le moment et que les choses ne risquent pas de s’envenimer sur ce front. Ni les ayatollahs au pouvoir ni les pasdarans ne sont suicidaires, à moins d’être coincés et d’avoir à livrer une dernière bataille. Ils savent pertinemment qu’un conflit ouvert avec Israël condamnerait leur régime et que le rapport de force à ce stade n’est pas en leur faveur (3). Ils peuvent faire beaucoup de tort à l’État Hébreu en cas d’ouverture des hostilités, mais leur pays ne s’en relèverait pas. Les faits sont têtus: les vaisseaux de la US Navy qui patrouillent dans le Golfe persique sont munis d’armes nucléaires et la plus grande base militaire américaine du Moyen-Orient se trouve au Qatar, géographiquement parlant en face d’eux.
L’Iran va probablement chercher à se dégager du bourbier moyen-oriental arabe après le raid sur Ispahan. Il le fera subrepticement, sous couvert de mille prétextes. Il lâchera ses supplétifs libanais, lentement mais sûrement: c’est le prix à payer pour avoir la paix chez soi, dans le plateau iranien et ses plaines steppiques. En revanche, le Hezbollah va être donné en pâture à Israël: il va se retrouver seul face à la machine de guerre ennemie, une machine implacable qui décapite quotidiennement ses cadres.
Le front du sud ne va pas connaître d’accalmie, les déplacés ne vont pas retourner paisiblement dans leurs foyers et la liste des martyrs «by proxy» va s’allonger. La logique de l’empire des Perses l’exige. Mais songez, par ailleurs, que ce sera au Liban d'avoir l'honneur de mordre la poussière. Comme aux Libanais de verser leur sang pour la plus grande gloire de Darius I et Cyrus le Grand.
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1-Amos Harel, «Despite Israel’s limited response, the status quo with Iran has been breached», Haaretz, 21 avril 2024.
2-Lina Khatib, «Iran seems like it’s in escalation mode – but all-out war with Israel is the last thing it wants», The Guardian, 22 avril 2024.
3-Mayeul Aldebert, «F-14 hors d’âge, nouveaux missiles balistiques, drones tueurs: que pèse militairement l’Iran face à Israël?», Le Figaro, 20 avril 2024.
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