Les assassinats ciblant les défenseurs des droits de l’homme sont un phénomène mondial qui menace de plus en plus les sociétés. Les modèles libanais et colombiens en sont les ultimes exemples. Le problème des atteintes volontaires à la vie, menées par des acteurs non étatiques et des groupes armés dans ces pays, a ainsi été soulevé lors d’une conférence organisée par le Center on Conflict, Development and Peacebuilding de l’IHEID (The Graduate Institute – Geneva).

Ces meurtres sont devenus un moyen d’intimidation que brandissent les auteurs de tels actes pour éliminer toute personne ou entité qui s’oppose à leur idéologie et à leurs intérêts économiques et/ou politiques. Plus encore, l’impunité des crimes commis contre les opposants pacifistes apparaît comme liée à leur condition politique. Comment définir ces acteurs non étatiques, lorsque l’on sait qu’aucune norme internationale ne fixe leur statut? Comment sanctionner leurs actions sur le plan international, d’un point de vue légal et politique? Quel rôle les autorités étatiques jouent-elles dans la prévention de tels meurtres? Autant de questions qui ont été débattues lors de la conférence organisée en partenariat avec la mission permanente de la République fédérale d’Allemagne auprès de l’Office des Nations unies et des autres organisations internationales à Genève, la Fondation Lokman Slim, la maison d’édition Dar al-Jadeed et l’ONG Umam pour la documentation et la recherche.

Au Liban, les acteurs non étatiques et, plus particulièrement, les milices armées "se sont intégrés dans l’État et ont eu recours à ses structures pour étendre leur corruption et leur criminalité", comme l’indique Nadim Shehadi, ancien directeur exécutif de l’Université libano-américaine à New York et chercheur à l’Institut Chatham House. Au vu des multiples assassinats et tentatives d’assassinats qui ont eu lieu dans le pays du Cèdre, depuis fin 2004 notamment, "l’on ne peut se permettre de justifier l’émergence des acteurs non étatiques par l’échec de l’État à assurer une qualité de vie saine à sa population", avance M. Shehadi.

Ayant réussi à se frayer un chemin pour parvenir au pouvoir, ces groupes armés échappent désormais à tout contrôle et dictent leurs propres lois. Cependant, au lendemain de l’assassinat, le 4 février 2021, de Lokman Slim, chercheur et éditeur libanais, leader d’opinion indépendant, fervent militant pour l’Etat de droit et illustre opposant chiite à la mainmise du Hezbollah, la population libanaise a eu une nouvelle prise de conscience. Lokman Slim a été victime de menaces proférées contre lui par des sympathisants du parti armé pro-iranien auquel il s’opposait, et à qui la plupart des observateurs imputent d’ailleurs la responsabilité de ce crime. Lorsque la nouvelle de son assassinat a été annoncée, la rue s’est mobilisée et des incitations à prendre une position claire contre les auteurs présumés du crime se sont multipliées. "Les défenseurs des droits de l’homme brandissaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire Zero Fear" ou Zéro peur, rappelle M. Shehadi.

Rôle du gouvernement

Cela ne suffit pourtant pas à limiter, voire à mettre fin à de tels actes. "Le gouvernement joue, dans cette perspective, un rôle crucial dans la prévention des crimes, la défense des protecteurs des droits de l’homme et l’investigation", s’entendent à dire Shoshana Levy, juriste spécialisée en justice pénale internationale et justice transitionnelle, et Morris Tidball-Binz, rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. Selon eux, le fait de déployer l’armée sur l’ensemble d’un territoire "dans une tentative de limiter cette dynamique ne résout pas le problème". Il faut "renforcer le système judiciaire, améliorer la protection de la population et garantir un accès adéquat aux opportunités économiques et éducatives et aux services publics", martèle de son côté Juan Pappier, chercheur senior au sein de Human Rights Watch (HRW) et auteur du rapport Left Undefended (Resté sans défense).

Malheureusement, la culture de l’impunité, qui explique en grande partie la multiplication des assassinats, règne dans des pays tels que le Liban et la Colombie. "La contribution essentielle des défenseurs des droits de l’homme à l’édification de sociétés justes, fondées sur l’État de droit devrait être saluée", affirme Erica Harper, responsable de la recherche et des études politiques à l’Académie de Genève.

Qu’un État ratifie la Charte des droits de l’homme n’est plus suffisant. Ces droits se doivent d’être protégés, contre le pouvoir sans limites des nations rongées par la corruption. Telle est la mission dans laquelle se lancent ces défenseurs souvent assassinés, enlevés ou portés disparus. Ces agressions violentes constituent une réponse délibérée et soigneusement organisée par les acteurs non étatiques et obéissent à des intérêts politiques ou militaires concrets, comme l’ont relevé en substance les intervenants.

Mais les risques énormes auxquels sont exposés les défenseurs des droits de l’homme font heureusement aujourd’hui l’objet d’une prise de conscience accrue de la part des sociétés. La question reste de savoir comment investir cette prise de conscience dans la lutte contre l’impunité.