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Il y a loin de la coupe aux lèvres… Si ce proverbe français peut se traduire quelque part dans les faits, c’est bien dans une région comme le Moyen-Orient, et plus particulièrement au Liban. Sans chercher à remonter très loin dans l’Histoire, les développements récents dans la région illustrent parfaitement le caractère pertinent de cet adage populaire. Tel est le cas ainsi de l’important accord de Pékin annoncé le 10 mars dernier, conclu entre l’Arabie saoudite et la République islamique iranienne, sous l’égide de la Chine. L’esprit de cet accord vise, en théorie, à rétablir un climat de stabilité et de concorde au Moyen-Orient, basé surtout sur la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un autre pays.

L’objectif stratégique fixé par ce document signé solennellement à Pékin est, certes, très ambitieux. Certains diront même chimérique… Il serait peut-être hasardeux de leur donner totalement tort. Entraîner la région sur la voie sinueuse de la prospérité est, à n’en point douter, une tâche complexe et ardue. Il est, de ce fait, tout à fait concevable que les effets de l’accord de Pékin tardent à se faire ressentir. Sauf que…  

Le premier test sur ce plan devait être le Yémen. Un test qui, pour l’heure, n’a pas franchi le cap des vœux pieux. Le ministre yéménite des Affaires étrangères, Ahmed Awad ben Mobarak, s’est montré lucide à ce propos en déclarant non sans amertume, au cours d’une visite à Bagdad en début de semaine, que "jusqu’à présent, nous n’avons malheureusement perçu aucun impact direct de cet accord (de Pékin) sur la situation au Yémen".  

Le plus déplorable dans ce contexte est que les propos du ministre yéménite, manifestement teintés de frustration, paraissent refléter non pas les difficultés inhérentes à tout processus de pacification, mais plutôt une volonté occulte (pas si occulte que cela, en réalité…) de torpiller l’esprit et l’objectif de l’accord saoudo-iranien, l’une des deux parties concernées (en l’occurrence Téhéran) jouant visiblement un double jeu à ce niveau. Car celui qui désire réellement opter pour la stabilité dans cette partie du monde ne s’emploie pas à menacer la sécurité du trafic maritime dans le Golfe en s’attaquant à deux reprises en l’espace de quelques jours – bien après la signature de l’accord de Pékin – aux navires marchands empruntant cette voie hautement névralgique.

En outre, celui qui s’engage devant une puissance internationale à œuvrer pour la concorde devrait, au moins, enjoindre à ses acolytes régionaux, plus spécifiquement au Yémen, en Irak et au Liban, à titre d’exemple, de "calmer le jeu" et d’agir concrètement et médiatiquement dans le sens de la détente. Or non seulement ce n’est manifestement pas le cas, mais c’est tout le contraire qui se produit. La déclaration du ministre yéménite des A.E signifie clairement que la posture guerrière des houthis ne semble pas avoir évolué d’un iota dans le bon sens. Il en est de même pour la fraction armée pro-iranienne en Irak…

Quant à la scène libanaise, le pur "hasard" (heureux hasard!) a voulu, peu de temps après la signature de l’accord de Pékin, qu’un ressortissant saoudien soit enlevé en plein Beyrouth et conduit dans la Békaa, que des "habitants" coupent la route de l’aéroport pour protester contre l’arrestation des ravisseurs (!), que le bras armé des pasdarans au Liban organise une vaste manœuvre militaire au Sud, que l’allié fidèle de ce bras armé se livre lui aussi à une gesticulation milicienne à portée médiatique, que des dignitaires religieux chrétiens soient "incités" à effectuer une visite largement médiatisée au musée du Hezbollah, et plus récemment qu’une recrudescence de la tension soit provoquée le long de la frontière avec Israël à la suite de l’installation de deux tentes (à quelles fins?) sur la ligne bleue.

Plus significatif encore est l’habile manœuvre du parti pro-iranien visant à court-circuiter l’action salvatrice du Groupe des cinq (États-Unis, France, Arabie saoudite, Égypte, Qatar), à la suite de la récente réunion de Doha. De fait, les derniers propos du président de la commission parlementaire du Hezbollah, Mohammed Raad, ne trompent personne. Connu pour ses constantes prises de position en flèche et pour ses attaques frontales contre les adversaires de son parti, M. Raad s’est découvert subitement une vocation de conciliateur et de "modéré". Durant une rencontre partisane, il n’a pas hésité à lancer à l’adresse du camp souverainiste: "Nous ne plaçons pas la barre trop haut; nous désirons dialoguer et nous entendre avec vous pour aboutir à une solution médiane".

Comme le hasard fait bien les choses, c’est après la réactivation de la mission des Cinq, destinée à trouver une sortie de crise, que Mohammed Raad a décidé de lancer dans l’arène la carte du dialogue. Mais les expériences des différentes conférences de dialogue depuis 2006 et jusqu’à récemment ont illustré le fait que pour le Hezbollah, il s’agit de dialoguer pour dialoguer, sans aucune volonté d’aboutir à un quelconque résultat. L’art pour l’art… Pour faire passer le temps… Inviter, par voie de conséquence, la partie adverse à engager un dialogue qui – tout le monde le sait – n’aboutira nulle part, revient à entrainer les factions locales dans des discussions internes sans fin, loin des regards non-iraniens. De quoi court-circuiter et saboter l’action du Groupe des cinq.

Il faut se le dire: ce n’est sûrement pas en se livrant à de telles manœuvres dilatoires que l’on peut illustrer son adhésion réelle à l’esprit et aux principes de l’accord de Pékin…