Écoutez l’article

Dix jours après le début de la guerre entre Israël et le Hamas, la diplomatie occidentale avance toujours à tâtons pour éviter une amplification incontrôlée du conflit armé qui menace de s’installer dans la durée et de s’étendre au Liban, au cas où le Hezbollah déciderait de faire monter davantage la pression militaire sur Israël.

Jusque-là, Israël, qui bombarde sans répit Gaza depuis le début du conflit, le 7 octobre, a été plus ou moins réceptif aux sollicitations de cette diplomatie, menée notamment par les États-Unis, la France et l’Allemagne. Il a certes retardé l’offensive terrestre qu’il s’apprêtait à lancer contre Gaza et accepté de lever partiellement le blocus qu’il impose à l’enclave. Mais qu’on ne s’y méprenne pas. Tout semble indiquer pour l’heure que cette "pause" sert essentiellement un but stratégique: celui d’assurer toutes les chances de réussite à une opération dont l’objectif n’est pas moins que d’anéantir le commandement politique et militaire du Hamas, comme l’affirment les responsables israéliens.

Le cas échéant, on se retrouvera devant une équation à plusieurs inconnues, complexe et difficile à gérer. L’Occident, qui a affiché un soutien sans équivoque à Tel Aviv depuis que le Hamas a lancé son opération militaire sans précédent, "Déluge d’Al-Aqsa", contre Israël, semble soutenir l’objectif déclaré de l’État hébreu d’en finir avec le Hamas. La tournée arabe du secrétaire d’État américain, Anthony Blinken, s’inscrit dans ce sens. Le responsable américain, qui était de nouveau à Tel Aviv lundi, a voulu mobiliser les pays arabes, notamment ceux qui ont normalisé leurs relations avec Israël, contre ce mouvement pro-iranien qui contrôle Gaza.

La visite de la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, arrivée lundi en début d’après-midi à Beyrouth après s’être rendue à Tel Aviv puis au Caire, n’est pas loin de cet objectif. A Tel Aviv, Mme Colonna a évoqué le Hamas en des termes très durs, soutenant le droit d’Israël de se défendre "face aux monstruosités" de ce groupe. L’objectif principal de sa mission reste cependant d’"éviter un embrasement au Moyen-Orient".

Or une question s’impose: quelle est la stratégie arrêtée par l’Occident pour neutraliser le facteur iranien et empêcher Téhéran d’entrer en scène, si jamais une opération d’envergure est menée par les Israéliens contre le Hamas? Pour l’heure, personne n’est en mesure de répondre à cette question ou de prévoir l’évolution de la situation à Gaza, sinon par des analyses qui disent la chose et son contraire.

L’Iran maintient le flou sur ses intentions

Ces incertitudes s’expliquent par le fait que l’Iran, soupçonné d’être le commanditaire et l’instigateur de l’attaque du Hamas, maintient lui-même le flou sur ses intentions. Son ministre des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, qui a précédé ses deux homologues américain et français dans la région, dans le cadre d’une tournée dans les pays qui gravitent dans l’orbite iranienne, a soufflé le chaud et le froid dans ses déclarations.

M. Abdollahian a évoqué tour à tour la solution politique et l’option militaire, dans ce qui semble être un appel de phare de l’Iran à ses interlocuteurs occidentaux pour des négociations qui lui permettraient évidemment d’asseoir son pouvoir dans et à travers les pays qu’il contrôle, c’est-à-dire l’Irak, la Syrie et le Liban, au moment où de plus en plus de pays arabes normalisent leurs relations avec Israël.

"Il existe encore une opportunité d’éviter une crise généralisée dans la région", a prévenu Amir-Abdollahian, au cours de la conférence de presse qu’il a tenue lors de sa visite Beyrouth, quelques jours après le début de la guerre de Gaza. Il a ajouté tout de suite: "Dans quelques heures, ce sera trop tard".

À partir de dimanche, le Hezbollah intensifiait ses attaques à l’artillerie lourde contre Israël.

D’où la deuxième question qui se pose: à supposer que l’Occident penche pour l’option du règlement politique, afin d’éviter un conflit généralisé à l’issue incertaine, Israël qui, avec le "Déluge d’al-Aqsa", a encaissé le coup le plus dur depuis 1973, acceptera-t-il de revenir au statu quo ante?

Pas plus tard que lundi, le président israélien, Isaac Herzog, affirmait qu’"Israël a l’interdiction de sortir de cette guerre sans opérer de profonds changements aux niveaux politique, militaire et social". C’est dire à quel point la riposte israélienne à l’attaque du Hamas représente une affaire existentielle pour Tel Aviv, qui chercherait, dans le même temps, à réparer la faille des renseignements israéliens, qui n’ont pas pu prévenir l’attaque du Hamas.

Une mission compliquée

Autant de facteurs qui compliquent la mission d’une diplomatie occidentale, engagée dans une lutte acharnée contre le terrorisme que soutient l’Iran, au nom de causes "justes", et soucieuse dans le même temps d’éviter un embrasement généralisé dans la région.

Il est de notoriété publique que les conflits, une fois qu’ils surviennent, suivent leur propre dynamique, le plus souvent incontrôlable, jusqu’à ce que les contours d’un règlement se dessinent.

Le détonateur d’un conflit généralisé viendrait du Liban, de ce front sud (ou nord pour Israël) dont l’ouverture est redoutée, si jamais l’Iran considère que le moment est venu pour lui d’accentuer la pression sur l’État hébreu et d’élargir le conflit, à des fins stratégiques qui lui sont propres.

La dynamique diplomatique occidentale est ainsi menée simultanément sur deux fronts: sud, pour limiter autant que faire se peut les dégâts en cas d’offensive israélienne à Gaza; et nord, pour éviter qu’un Liban, qui n’a ni les moyens de sa politique ni la possibilité de faire face à la machine de guerre israélienne, soit entraîné par le Hezbollah pro-iranien dans une guerre qui n’est pas la sienne.

Les États-Unis, la France, l’Allemagne, l’Italie, les Nations unies, pour ne citer que ces pays, n’ont pas arrêté depuis le 7 octobre de mettre en garde Beyrouth contre tout embrasement du front sud.

Face à la faiblesse de la réponse du Liban officiel, dont le pouvoir de décision est hypothéqué par le Hezbollah, c’est la diplomatie de ces pays qui fait aujourd’hui écho au slogan "Not my war" (Ce n’est pas ma guerre) que des centaines de Libanais postent sur leurs réseaux sociaux pour marquer leur refus d’être entraînés dans une guerre dans le seul intérêt de l’Iran.