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Est-ce que les diplomates libanais vont faire la grève? Cela fait depuis le mois d’août que nos représentants à l’étranger n’ont pas reçu de rémunération, et la situation ne semble pas s’améliorer, malgré les promesses du ministre sortant des Finances. Dans ce triste scénario où les forces politiques se renvoient la balle par diplomates interposés, la question de qui défendra les intérêts du Liban, surtout en cas de détérioration de la situation sécuritaire, demeure en suspens.

Les salaires des ambassadeurs n’ont pas été payés depuis le mois d’août et certains diplomates menacent de passer à l’étape suivante et de faire la grève.

La saga a commencé au mois de juillet, lorsque le ministre sortant des Affaires étrangères (AE), Abdallah Bou Habib, a initié des permutations diplomatiques au niveau des diplomates de troisième catégorie, créant ainsi un précédent en retirant ces diplomates de leurs postes à l’étranger au bout de quatre ans seulement, alors que leur mandat est censé en durer sept.

Cette période est d’habitude fixée pour permettre à ces diplomates, souvent jeunes et au début de leur carrière, de mener une vie "normale" (scolariser les enfants, se procurer un logement, etc.). Il s’agit d’une tradition plutôt que d’une loi, mais jusqu’à présent, elle a été respectée par souci de stabilité.

Cette permutation était supposée répondre aux besoins des diplomates en poste au palais Bustros, qui voulaient être mutés à l’étranger parce que la valeur des salaires y est plus élevée, dans un contexte de crise économique au Liban.

Théoriquement, les raisons pratiques et logistiques sont à l’ordre du jour, mais au Liban, la réalité du "partage du gâteau" est présente dans tous les actes officiels.

Selon un diplomate contacté par Ici Beyrouth, qui souhaite garder l’anonymat, le ministre sortant des AE a convoqué 30 des 40 diplomates concernés. Il a laissé une majorité sunnite à l’étranger, pour ne pas irriter le Premier ministre. De plus, il a affecté certains diplomates de confession chiite en Europe sans obtenir l’accord du président de la Chambre.

Normalement, en présence d’un chef d’État en fonction, les permutations de troisième catégorie relèvent du ressort du ministre de tutelle. Mais en période de vide à la magistrature suprême et d’un gouvernement d’expédition des affaires courantes, une approbation exceptionnelle est accordée. D’ailleurs, le Conseil de la fonction publique avait rejeté la décision de M. Bou Habib, sauf que l’avis de cet organe n’est pas contraignant.

Ces permutations ont conduit à une dispute de prérogatives entre le ministre Bou Habib et le président de la Chambre, Nabih Berry. Initialement, M. Berry avait conclu un accord avec M. Bou Habib concernant les permutations et lui avait donné son feu vert, mais il semblerait que le résultat final n’ait pas été conforme aux attentes du chef du mouvement Amal.

Depuis lors, un bras de fer a éclaté, et ce sont les diplomates qui en paient le prix en étant privés de leur rémunération depuis le mois d’août. Selon une source diplomatique interrogée par Ici Beyrouth, le refus de M. Bou Habib d’adhérer au "deal" conclu avec M. Berry a provoqué la colère de ce dernier. C’est pour cette raison que le ministre sortant des Finances, Youssef Khalil, proche de M. Berry, refuse de signer le décret permettant le déblocage des salaires des diplomates.

Contacté par Ici Beyrouth, M. Khalil a confirmé que les salaires n’ont pas été payés depuis quatre mois et que les négociations pour les paiements se font généralement entre la BDL, le ministère des Finances et le ministère des AE. Il a toutefois fait part d’un déblocage prochain des salaires des diplomates.

Toujours selon la même source diplomatique citée plus haut, lors du mandat de Riad Salamé, les requêtes administratives étaient "honorées", mais l’actuel gouverneur par intérim, Wassim Mansouri, n’accepte pas de le faire, refusant que la BDL "finance l’État". Il voudrait que les paiements aux diplomates se fassent par l’intermédiaire du ministère des Finances.

De plus, les diplomates ont observé une réduction de 25% de leur salaire depuis plus d’un an, avec des paiements irréguliers. Selon le diplomate interrogé, même les employés des chancelleries ne perçoivent plus leurs salaires. Les diplomates sont dans l’obligation de payer personnellement les heures supplémentaires des employés de l’ambassade, comme les chauffeurs. Souvent, ils piochent dans leurs réserves personnelles pour payer la papeterie par exemple.

Face à tout cet imbroglio et cette incertitude, un groupe de diplomates est actuellement en discussion en vue de créer un mouvement de blocage des missions. Cependant, ce mouvement de "grève" ne semble pas être suivi par tous les ambassadeurs, comme l’a indiqué un autre diplomate dans une entrevue avec Ici Beyrouth, sous couvert d’anonymat. Toutefois, même si ce mouvement n’aboutit pas ou n’est pas suivi par tout le corps diplomatique, le simple fait qu’il soit envisagé témoigne du profond mécontentement et du ras-le-bol ressenti par le corps diplomatique, soulignant ainsi la détérioration de l’État.

Au lieu d’œuvrer diplomatiquement pour le Liban, les membres des chancelleries libanaises de l’étranger sont occupés par les frais et les dépenses.

Face au risque imminent d’une guerre entre Israël et le Hezbollah qui pourrait engloutir le Liban, qui négociera au nom du Liban si les ambassades sont fermées et les diplomates en fronde?

Pour rappel, le Liban compte 80 missions diplomatiques à l’étranger, réparties entre 65 ambassades et 15 consulats généraux. Le salaire annuel total des diplomates (à l’étranger) s’élève à environ 30 millions de dollars, avec des traitements mensuels variant entre 10.000 et 15.000 dollars. Le coût total des chancelleries est de 60 millions de dollars. Avant la crise économique et financière, ce chiffre s’élevait à 120 millions de dollars. Les recettes consulaires sont estimées à environ 20 millions de dollars par an. La représentation libanaise à New York serait celle qui coûte le plus cher.