Une nouvelle enquête d’Amnesty International a révélé que "l’armée israélienne a utilisé le phosphore blanc sans discernement, et par conséquent de manière illégale", lors d’une attaque à Dhaïra, dans le sud du Liban, le 16 octobre. "L’attaque doit faire l’objet d’une enquête en tant que crime de guerre", indique le communiqué publié par l’organisation.

L’armée israélienne a tiré des obus d’artillerie contenant du phosphore blanc, une arme incendiaire, lors d’opérations militaires le long de la frontière sud du Liban entre le 10 et le 16 octobre 2023, selon un communiqué publié mardi par Amnesty International. L’attaque menée le 16 octobre contre le village de Dhaïra "doit faire l’objet d’une enquête en tant que crime de guerre", selon l’organisation. Il s’agissait d’une "attaque indiscriminée ayant blessé au moins neuf civils et endommagé des biens civils, et était donc illégale", selon le texte.

"Une violation horrible"

"Il est au-delà de l’horreur que l’armée israélienne ait utilisé sans discrimination du phosphore blanc, en violation du droit international humanitaire. L’utilisation illégale de phosphore blanc au Liban, dans la ville de Dhaïra, le 16 octobre, a mis en danger la vie de civils, dont les maisons et les véhicules ont pris feu et dont beaucoup ont été hospitalisés et déplacés", a déclaré Aya Majzoub, directrice régionale adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.

Mme Majzoub a souligné que, dans le contexte "d’inquiétude grandissante concernant l’intensification des hostilités dans le sud du Liban, l’armée israélienne doit immédiatement cesser l’utilisation de phosphore blanc, en particulier dans les zones peuplées, conformément à son engagement oublié de 2013 de cesser d’utiliser ces armes. Elle doit respecter son engagement et cesser de mettre davantage en danger la vie des civils au Liban".

L’utilisation du phosphore blanc

L’utilisation du phosphore blanc est limitée en vertu du droit international humanitaire. Bien qu’il puisse y avoir des utilisations légales, il ne doit jamais être tiré sur, ou à proximité immédiate, d’une zone civile peuplée ou d’infrastructures civiles, en raison du risque élevé de propagation du feu et de la fumée qu’il cause. De telles attaques, qui ne font pas de distinction entre les civils et objets civils et les combattants et objectifs militaires, sont considérées comme indiscriminées et sont donc interdites.

Le phosphore blanc est une substance incendiaire principalement utilisée pour créer un écran de fumée dense ou marquer des cibles. Lorsqu’il est exposé à l’air, il brûle à des températures extrêmement élevées et déclenche souvent des incendies dans les zones où il est déployé. Les personnes exposées au phosphore blanc peuvent souffrir de lésions respiratoires, de défaillances d’organes et d’autres atteintes horribles et handicapantes, notamment des brûlures très difficiles à traiter et qui ne peuvent pas être calmées avec de l’eau. Les brûlures touchant seulement 10% du corps sont souvent mortelles.

Les preuves

Le laboratoire de preuves de crise d’Amnesty International a vérifié des vidéos et des photos montrant l’utilisation de projectiles d’artillerie fumigène au phosphore blanc, ainsi qu’une vidéo qui affiche des panaches de fumée attestant de la présence de phosphore blanc. Ces images ont été prises le 16 octobre au village de Dhaïra au Liban-Sud, une zone civile peuplée. L’équipe a également rassemblé des preuves convaincantes indiquant l’utilisation de phosphore blanc entre le 10 et le 16 octobre dans les villes frontalières d’Al-Mari et d’Aïta el-Chaab.

Le docteur Haïtham Nisr, médecin urgentiste à l’hôpital libano-italien, a déclaré à Amnesty International que les 16 et 17 octobre, les équipes médicales ont soigné neuf personnes des villes de Dhaïra, Yarine et Marouahine qui souffraient de difficultés respiratoires et de toux. Dr Nisr a attribué ces symptômes à l’inhalation de phosphore blanc. La plupart des patients ont été autorisés à quitter l’hôpital le jour même, a-t-il déclaré.

Le directeur régional de la Défense civile libanaise, Ali Safieddine, a déclaré à Amnesty International que la Défense civile avait reçu des appels à l’aide de résidents signalant "des bombes qui dégagent une odeur extrêmement nauséabonde et provoquent une suffocation une fois inhalées…" La Défense civile a facilité le transfert des civils blessés à l’hôpital le 16 octobre et l’évacuation ultérieure du village de Dhaïra le 17 octobre. "Quatre membres de notre personnel ainsi que plusieurs habitants de Dhaïra ont été admis à l’hôpital pour suffocation durant ces derniers jours", a affirmé M. Safieddine.

"Nous ne pouvions même pas voir nos propres mains en raison de la dense fumée blanche qui a recouvert le village toute la nuit et qui a duré jusqu’à ce matin [17 octobre]", a-t-il poursuivi. Cette description est conforme aux effets du phosphore blanc, qui produit une épaisse fumée blanche et une odeur proche de celle de l’ail.

Selon le maire de Dhaïra, Abdallah al-Ghorayeb, le bombardement de la région, y compris avec du phosphore blanc, a commencé vers 16h, heure locale, le 16 octobre et s’est poursuivi dans la nuit. "Une odeur très désagréable et un nuage massif ont recouvert la ville, de sorte qu’on ne pouvait pas voir à plus de cinq ou six mètres devant nous. Cela a poussé les gens à fuir leurs maisons en grande panique. Lorsque certains sont revenus, deux jours plus tard, leurs maisons étaient toujours en feu. Des voitures ont également brûlé, ainsi que des terres. Aujourd’hui encore, on peut trouver des vestiges – de la taille d’un poing – qui se rallument lorsqu’ils sont exposés à l’air", a déclaré M. Ghorayeb à Amnesty International.

Le laboratoire de preuves de crise d’Amnesty International a ainsi analysé une vidéo montrant un coin de phosphore blanc en feutre, recouvert d’une croûte, qui se rallume dans le jardin d’un habitant lorsqu’il est touché par une pierre. Selon M. Ghorayeb, la vidéo a été filmée le 25 octobre, neuf jours après que Dhaïra a été bombardée avec du phosphore blanc. Le phosphore blanc peut se rallumer lorsqu’il est exposé à l’oxygène, même des semaines après son déploiement", selon le communiqué d’Amnesty International.

L’organisation a aussi vérifié dans son laboratoire des photos prises par des photographes de l’AFP le 18 octobre, près de la frontière libanaise. Ces photos montrent des obus fumigènes au phosphore blanc de 155 mm, alignés pour être utilisés à côté des obusiers M109 de l’armée israélienne. Ces obus ont une couleur vert pâle caractéristique et des bandes rouge et jaune, ainsi que des inscriptions visibles M825A1 et D528. Ces codes correspondent respectivement à la nomenclature de l’obus et au code d’identification du département de la Défense des États-Unis (DODIC) pour les munitions à base de phosphore blanc, comme cela a déjà été observé par Amnesty International près de la barrière de Gaza. Bien que ces codes et nomenclatures soient américains, Amnesty International ne peut pas confirmer où ces obus ont été fabriqués.

Droit international humanitaire

Le phosphore blanc n’est pas considéré comme une arme chimique, car il agit principalement par la chaleur et les flammes plutôt que par sa toxicité, ce qui en fait une arme incendiaire. Son utilisation est régie par le Protocole III de la Convention sur les armes classiques (CCW). Le Liban a adhéré à ce protocole en 2017, mais Israël ne l’a pas fait.

Le Protocole III interdit l’utilisation d’armes incendiaires larguées par voie aérienne dans des zones à "concentration de civils" et limite l’utilisation légale des armes incendiaires lancées depuis le sol – telles que l’artillerie documentée ici – là où il y a des concentrations de civils. Le protocole définit les armes incendiaires comme celles "principalement conçues" pour provoquer des incendies et brûler des personnes, ce qui exclut les armes incendiaires utilisées à d’autres fins, comme écrans de fumée, par exemple.