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La couverture de l’actualité quotidienne telle que rapportée par les médias libanais ainsi que les échanges qui pullulent sur les réseaux sociaux sont focalisés, à l’évidence, depuis plus d’un mois sur la guerre de Gaza et sur ses retombées militaro-sécuritaires au Liban-Sud, le long de la frontière avec Israël. Une situation explosive règne dans cette zone depuis le 7 octobre, avec son cortège de victimes, de destructions et de dégâts économiques. Mais il ne s’agit là que de la partie visible de l’iceberg, car les développements sur le terrain détournent l’attention d’un très grave problème qui ne manquera pas de se poser lourdement au Liban à plus ou moins brève échéance…

Ces cinq dernières semaines, il s’est créé ainsi progressivement au Sud, notamment dans les régions proches de la "ligne bleue" (tracée par la Finul entre le Liban et Israël), un fait accompli particulièrement préoccupant qui risque, s’il se maintient et se consolide, d’engouffrer le pays, plus précisément la zone méridionale, dans un nouveau cycle infernal de violence, d’instabilité chronique et de spoliation flagrante de la souveraineté nationale. De quoi replonger la population libanaise dans le cauchemar des années 1970, aux pires moments des débordements des organisations palestiniennes armées et de la phase du Fatehland, conséquence du tristement célèbre Accord du Caire de 1969, qui avait pris le pays en otage – déjà – et qui avait amené l’Organisation de libération de la Palestine (l’OLP) à se comporter comme un État dans l’État, avec toutes les conséquences déstabilisatrices que cela avait entraînées.  

Le nouveau fait accompli qui se profile aujourd’hui, insidieusement, à l’horizon est fondé sur le prétexte de mener contre l’armée israélienne une guerre d’usure pour alléger la forte pression subie par le Hamas à Gaza. Mais nul n’est dupe. Il ne s’agit là que d’un écran de fumée qui permet au Hezbollah de modifier en profondeur les règles du jeu au Liban-Sud et d’atteindre un objectif qu’il cherche à réaliser depuis plus d’un an: rogner les ailes à la Finul et restreindre sa liberté de mouvement, et parallèlement, marginaliser le rôle de l’armée libanaise dans la zone de déploiement des Casques bleus.

Le parti pro-iranien a été jusqu’à mener campagne assidument au cours des derniers mois afin que la résolution du Conseil de Sécurité de l’Onu portant sur la reconduction du mandat de la Finul soit amendée de manière à court-circuiter la mission de la force onusienne. En vain… La guerre de Gaza a donc offert au Hezbollah, sous le couvert du soutien au Hamas, l’occasion inespérée de réaliser son "rêve": torpiller purement et simplement la résolution 1701 afin d’accroître sa marge de manœuvre le long de la frontière avec l’État hébreu.

Pour compléter le tableau et se doter d’instruments de manipulation, la formation chiite – ou plutôt le pouvoir iranien, puisque c’est lui qui décide – a favorisé l’émergence au Liban-Sud des organisations palestiniennes fondamentalistes, en l’occurrence le Hamas et le Jihad islamique, qui agissent désormais sur le terrain en toute liberté et s’emploient à lancer, quand bon leur semble, des roquettes en direction du nord d’Israël.

La sérieuse menace, existentielle, qui plane de ce fait sur le Liban se résume en un panorama cauchemardesque et potentiellement explosif: les miliciens du Hezbollah se répandent ouvertement au Sud et se rendent maitres du terrain; la résolution 1701 est plus que jamais bafouée; les Casques Bleus sont marginalisés; le rôle de l’armée libanaise est court-circuité; le retour à la présence armée palestinienne échappe à tout contrôle en dehors des camps; des Katioucha sont lancées contre Israël, suivies d’une riposte israélienne contre les villages libanais, comme à l’époque du Fatehland etc. Certes, ce scénario-catastrophe n’en est qu’à ses premiers balbutiements et il ne s’est pas encore solidement ancré dans la réalité. Mais d’ores et déjà, il n’est pas difficile de prévoir que cette présence milicienne sera difficile à résorber une fois la bataille terminée. Le Hezbollah a pris le Sud en otage et ne lâchera sans doute pas sa proie facilement. En bon pyromane-pompier, il pourrait en outre "offrir ses services" pour mettre au pas les groupuscules palestiniens armés répandus entre les villages, mais il (plus précisément l’Iran) ne manquera pas de monnayer très cher son apport sur ce plan.   

La grande question reste de savoir à quel niveau se situent les lignes rouges dans les accrochages actuels au Sud, quelle sera l’attitude d’Israël dans un tel contexte, et dans quel sens évoluera la situation sur le terrain (ou dans les airs!) si aucune entente ne se dégage entre les États-Unis et la République islamique iranienne. Autant d’inconnues qui pèsent très lourd sur la population libanaise… Et qui rendent impératives aussi bien l’élection d’un président de la République que la consolidation de l’armée libanaise, notamment au niveau de son commandement. Mais encore faut-il qu’un réel sursaut national se manifeste chez ceux qui se livrent à de la gesticulation politicienne pour satisfaire leur égo personnel ou faire prévaloir leurs petits calculs partisans et réducteurs.