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Lorsqu’on a vécu dans un pays qui a navigué pendant un centenaire entre des incertitudes en état de mutation continue, on finit par s’inventer des subterfuges, hypostasier des conditions de vie dramatique, se réfugier dans le déni des réalités et les souhaits autoréalisateurs, ou par désespérer, plier bagage et rejoindre les millions de Libanais qui ne pouvaient plus s’accommoder d’une vie intérimaire dans un pays où l’on ne peut jurer de rien. Les crises emboîtées de légitimité nationale, les politiques de subversion, les guerres culturelles, les ambiguïtés statutaires de l’État libanais, la souveraineté controversée, les dérives oligarchiques d’un État prédateur, la fraude financière monumentale, l’interventionnisme institutionnalisé servant de modulateur aux enjeux de la politique intérieure et l’éclatement de l’ordre régional sont, sommairement, récapitulés par la notion d’instabilité endémique. On a le sentiment que la normalisation de la vie politique dans ce pays lui est interdite au croisement d’un entrelacs de conflits en état d’engendrement continu.

Le blocage de la vie politique est normalisé moyennant des faux fuyants idéologiques et des stratégies de défaisance qui instrumentalisent les institutions de l’État au bénéfice des politiques de puissance régionale – iranienne en l’occurrence – et de leurs subsidiaires locaux. Nous voilà confrontés une fois de plus à des dilemmes stratégiques qui remettent en cause, non seulement la souveraineté nationale, mais la légitimité d’un pays qui n’arrive pas à se positionner comme tel. Son droit à l’autodétermination est hypothéqué au profit des politiques alternées de tutelle, de leurs mandataires domestiques qui ont réussi à convertir les institutions étatiques en simple relais. La grammaire institutionnelle est transmuée en leviers pseudo-constitutionnels dont on se sert en vue de légitimer des politiques de mainmise, de cautionner la patrimonialisation des biens publics, d’ériger des digues immunitaires: les enjeux destructeurs de la dette odieuse, de l’explosion du port de Beyrouth, du blocage institutionnel, du déclenchement discrétionnaire des conflits, de l’instrumentalisation de la politique étrangère et de l’usurpation de la titulature étatique.

La décision unilatérale du Hezbollah d’entrer en guerre avec Israël, succédant à celle d’intervenir en Syrie ont fini par anéantir la fiction juridique de l’État libanais et induire la désintégration progressive de la souveraineté nationale libanaise, le scellement des extraterritorialités politiques et sécuritaires qui servent désormais de plates-formes à des entreprises de subversion à géométrie variable. L’extraterritorialité des camps palestiniens, la sanctuarisation de la présence syrienne, les guerres civiles inter-palestiniennes, la politisation et la militarisation visible et souterraine des réfugiés syriens, l’implantation du Hamas et du jihad islamique relayée par les terroristes de Daech et d’Al-Qaïda sous la façade des groupes de résistance à Israël (avant-gardes d’Al-Aqsa, avant-gardes de Syrie), reconduisent des scénarios galvaudés dont on a souffert tout au long de six longues décennies.

La destruction intentionnelle de la souveraineté libanaise fonctionne à un double niveau, celui du chaos régional et ses incidences directes, et de l’éradication insidieuse des socles historiques et anthropologiques d’un pays voué à des entreprises de subversion allant dans tous les sens. La diversion anti-israélienne n’étant que le détour d’une politique de prédation qui avance de manière systématique. Le remorquage de l’État s’étant effectué au moyen d’alliances électorales d’opportunité (élection de Michel Aoun, cooptation des premiers ministres sunnites,… ), de la terreur (assassinats politiques de l’opposition du 14 Mars, explosion du port de Beyrouth, mise en orbite des pouvoirs législatif et judiciaire,  infiltration de l’armée et des appareils sécuritaires,…), du contrôle des fonctions régaliennes de l’État, de la corruption systémique, de la prédominance de l’économie souterraine du crime organisé (contrebande en tous genres, blanchiment d’argent, trafic d’armes, activités économiques illégales….) et la mise au point de scénarios mutants de condominiums alternés.

Il y a aussi l’interprétation arbitraire des résolutions internationales, doublée de leur usage de manière discrétionnaire, les rapports cauteleux avec la force onusienne (Finul), la neutralisation de l’armée libanaise, la réhabilitation de l’extraterritorialité du Liban-Sud, la mobilisation des camps palestiniens, la manipulation de la présence syrienne, s’effectuant au point d’intersection entre la politique de subversion iranienne, les stratégies de réinsertion des terrorismes islamistes et le partage des zones d’influence (Iran, Turquie,…). La guerre de Gaza et ses aléas ne sont que des vecteurs d’instrumentalisation dont se servent des acteurs mutants pilotés par la politique de puissance iranienne. La mobilisation des diplomaties occidentales, en vue de préempter des dynamiques conflictuelles en expansion n’a aucune chance de réussite en l’absence d’un schéma de stabilisation d’ensemble dans une région où l’enchevêtrement des conflits de l’intérieur et de l’extérieur fournit la clef d’explication à l’éclatement de l’ordre régional. Les liens transversaux entre la guerre de Gaza et les fronts libanais et syrien sont organiques et il est fort douteux qu’Israël puisse, dorénavant, s’accommoder des faux semblants étatiques d’un Liban transformé en pandémonium – véritable royaume des enfers.

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