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Le chef du Courant patriotique libre (CPL), Gebran Bassil, demeure distant vis-à-vis de toutes les composantes politiques, y compris de son allié de l’accord de Mar Mikhaël. Après le coup porté par ses alliés les plus proches – plutôt que ses rivaux politiques – permettant de prolonger pour des raisons "sécuritaires" le mandat de son rival à la présidence de la République, le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, le député de Batroun réfléchit désormais à chaque détail de la phase actuelle et se penche, notamment, sur la nature de la convergence récente ayant donné lieu au prolongement. En effet, M. Bassil redoute la répétition du même scénario au niveau de la présidentielle, conscient qu’une telle démarche le décrédibiliserait et saperait le peu de popularité qui lui reste. En réalité, d’après les sondages, la majorité de ses partisans penchent davantage en faveur du chef de l’armée que de M. Bassil, qui a lancé une campagne d’accusation des plus virulentes contre le général Joseph Aoun. Il s’est avéré ensuite, et sans nul doute, que toutes ces accusations étaient infondées et ne constituaient que des tentatives insidieuses de ternir son image et sa réputation reluisantes.

D’après sa lecture, Gebran Bassil considère que la prorogation du mandat du général Aoun et de celui du directeur général des Forces de sécurité intérieure, le général Imad Othman, dans la foulée, par le truchement d’une entente politique regroupant le président de la Chambre, Nabih Berry, Bkerké, les Forces libanaises, le Parti socialiste progressiste et le Hezbollah, avec la participation de Dar el-Fatwa, a ouvert la voie à une alliance quadripartite incluant M. Berry lui-même, Walid Joumblatt, Samir Geagea et Dar el-Fatwa, dont l’objectif serait de parvenir à un accord autour d’un candidat présidentiel consensuel.

Ainsi, le Hezbollah se maintient en arrière-plan, bénéficiant de la protection de cette alliance, grâce à l’habilité politique de Nabih Berry qui s’efforce de répondre aux attentes de la formation pro-iranienne et de lui apporter toutes les garanties concernant ses armes. Il est tout aussi important de noter que cette prorogation a contribué à relancer les rapports entre Aïn el-Tiné et Meerab. En effet, le vice-président des Forces libanaises, Georges Adwan, se réunit loin des feux de la rampe avec M. Berry, prenant en charge la relation des deux partis, par l’intermédiaire d’Ali Hamdan, le conseiller du président de la Chambre. Dans ce contexte-là, Gebran Bassil est bien conscient du fait que Bkerké est au courant des derniers changements.

Quoi qu’il en soit, l’issue de cette initiative demeure incertaine et l’on se demande si M. Geagea et M. Berry réussiront, par le biais de l’alliance quadripartite, à faire élire un président en convergeant autour du général Joseph Aoun ou du chef du courant Marada, Sleiman Frangié.

Gebran Bassil, quant à lui, est aux aguets: si l’entente autour d’un candidat consensuel indépendant échoue et que les chances du général Aoun s’avèrent élevées, le chef du CPL interviendra immédiatement et soutiendra M. Frangié en vue d’empêcher l’élection du général Aoun et de barrer la route à un troisième candidat qui serait affilié aux Forces libanaises ou à l’opposition. Ainsi, M. Bassil aura opté pour le moindre mal, anticipant les éventuelles retombées de cette affaire sur lui.

Si ce retournement de situation devait se concrétiser – une possibilité que certains cercles informés n’écartent pas –, le Hezbollah en serait le parrain; il accueillera M. Bassil dans la banlieue sud en enfant prodigue et le réunira avec M. Frangié pour finaliser le stratagème élaboré dans ses moindres détails. En contrepartie, le CPL devra procurer à Sleiman Frangié la couverture maronite dont il aura besoin pour accéder à la présidence de la République, une initiative à laquelle Bkerké ne pourra pas s’opposer.

En outre, dans l’éventualité du succès de l’entente Bassil-Frangié parrainée par le Hezbollah et rendue possible par le "chef d’orchestre" Nabih Berry, cette dernière comportera des clauses détaillées qui engloberont la participation au pouvoir de M. Bassil et ses parts dans le gouvernement et l’administration, facilitant ainsi le partage des postes de fonctionnaires chrétiens avec M. Frangié.

De ce fait, Gebran Bassil aura consolidé sa position politique et se préparera à saisir les rênes du pouvoir après Sleiman Frangié. Cette transition se fera sous les auspices du Hezbollah et de l’alliance quadripartite, marquant ainsi le remplacement de Samir Geagea au sein de cette alliance. Il est probable que le quorum soit atteint au sein du Parlement, permettant ainsi l’élection de M. Frangié avec un minimum de 65 votes, à moins qu’un événement majeur à l’étranger tel que le dénouement de la guerre à Gaza, son lendemain – toujours incertain – et l’acceptation par Israël de la solution des deux états, n’empêche, le moment de l’élection venu, M. Bassil de remplacer les Forces libanaises au sein de l’alliance quadripartite.

Des contacts sont en cours en toute discrétion pour former l’alliance quadripartite, une initiative qui sera précédée d’une séance de conciliation et de coordination entre le chef druze Walid Joumblatt et M. Berry. De toute évidence, ce dernier tient à préserver sa relation privilégiée et son alliance avec l’ancien chef du PSP. À en croire certains observateurs, les deux décideraient de leur allié chrétien et choisiraient entre M. Geagea et M. Bassil. Le premier aurait plus de chances, étant donné qu’il bénéficie du soutien de Bkerké – de par leur alignement politique – et ses liens avec l’Arabie saoudite et d’autres pays. Partant, et toujours selon les observateurs, les chances du général Aoun d’être élu président sont élevées, et pour cause: son élection ne symboliserait pas la victoire d’un camp contre l’autre, mais elle relancera plutôt les institutions et les redynamiserait. De surcroît, le général Joseph Aoun est capable d’arrondir les angles avec le Hezbollah par l’intermédiaire de canaux de coordination et de coopération efficaces et bien établis qui favoriseront le redressement du Liban; le Hezbollah facilitera de ce fait la tâche du général Aoun dans le cadre d’une approche commune autour des grandes lignes nationales. Toute concession sera donc consentie au vu de la nécessité de trouver une solution, et rien d’autre.