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Il s’agit là, à n’en point douter, d’un tournant significatif dans l’escalade qui se poursuit crescendo sur plusieurs "fronts" du Moyen-Orient, dans le sillage de la guerre de Gaza. Depuis l’attaque meurtrière du 7 octobre dernier, des foyers de tension surgissent progressivement, tour à tour, en différents emplacements de l’échiquier régional, avec à chaque fois un cran supplémentaire dans le degré d’escalade. Ce fut d’abord l’ouverture du front du Liban-Sud par le Hezbollah, puis la série d’attaques (étalées dans le temps) contre des positions militaires américaines en Syrie et en Irak – au total près de 150 frappes en un peu plus de trois mois –, ensuite les opérations à répétition menées par les Houthis  pro-iraniens pour entraver le trafic maritime international en mer Rouge, et tout récemment l’entrée en jeu, ouvertement, des Gardiens de la Révolution islamique iranienne avec le tir de missiles balistiques contre Erbil, dans le Kurdistan autonome en Irak.

L’attaque de dimanche contre une base américaine dans une zone frontalière à cheval entre la Jordanie, la Syrie et l’Irak, est incontestablement le développement le plus grave dans cette escalade graduelle, savamment calculée et orchestrée par l’Iran. Il serait difficile pour Washington dans de telles circonstances de ne pas réagir promptement face au lourd bilan faisant état de trois tués et une trentaine de blessés, atteints dans leur lieu de logement, ce qui indique que l’attaque était bien ciblée et que l’intention des agresseurs était bel et bien de faire le plus grand nombre de victimes.

Déjà enlisée sur le plan interne par l’aggravation du problème de l’immigration clandestine qui risque de peser sur le cours de la bataille présidentielle US, l’administration Biden ne peut pas, de plus, à quelques mois du scrutin de novembre, montrer des signes de faiblesse devant les attaques répétées des alliés de Téhéran contre ses forces militaires stationnées au Moyen-Orient. De fait, dès dimanche soir, plusieurs sénateurs et membres de la Chambre des Représentants sont montés au créneau pour souligner sans détour que l’agression contre la base militaire à la frontière jordano-syrienne ainsi que la série d’attaques précédentes sont le résultat, précisément, de la "mollesse" et de la trop grande complaisance de l’équipe Biden à l’égard du régime iranien. Et plusieurs voix se sont élevées au sein du Congrès pour réclamer que les représailles soient dirigées contre des positions stratégiques à l’intérieur même de l’Iran.

C’est dans un tel climat que le chef de la Maison-Blanche n’a pas tardé dans la soirée de dimanche à accuser explicitement et publiquement l’Iran d’avoir orchestré l’attaque, affirmant que les États-Unis riposteront incontestablement. Le Pentagone aurait d’ores et déjà présenté au président une liste de cibles possibles.

La question qui se pose à l’ombre de ces développements qui s’accélèrent est de savoir quel est le véritable objectif recherché par Téhéran en commanditant, par le biais de ses divers suppôts régionaux, cette escalade progressive à laquelle nous assistons depuis plusieurs semaines. Le but serait-il de pousser les forces américaines à se retirer de la région? Force est de relever à ce propos que l’attaque de dimanche est intervenue alors que des informations puisées de diverses sources faisaient état ces derniers jours d’un prochain retrait de l’armée US de Syrie et d’Irak. Les attaques viseraient-elles à accélérer un tel retrait, s’il se confirme réellement?

L’agression de dimanche aurait-elle plutôt pour but, dans un autre registre, de saboter toute possibilité de solution politique, ou même de simple trêve prolongée, au niveau du conflit armé à Gaza? En clair, y aurait-il une volonté de torpiller les efforts intensifs déployés ces derniers jours à Paris par de hauts responsables américains, israéliens, égyptiens et qataris afin d’aboutir à un gel des combats à Gaza? D’importants progrès auraient été enregistrés au cours de ces pourparlers, ce qui a poussé le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou à qualifier dimanche soir ces discussions de "positives" et "constructives", même si certains obstacles persistent.

Une troisième hypothèse souvent avancée pour expliquer cette escalade graduelle orchestrée par Téhéran est la volonté du régime des mollahs iraniens de renforcer sa position de négociateur et d’amener manu militari les États-Unis à prendre langue avec lui afin que soit reconnue officiellement la place qu’il désire se tailler sur l’échiquier régional.   

Quel que soit l’objectif réel recherché par les mollahs iraniens dans le contexte présent, l’attaque de dimanche et ses conséquences immédiates en termes de riposte US pourraient bien constituer un point d’inflexion dans la crise née de l’attaque du 7 octobre.  Mais reste à formuler, malgré tout, le vœu pieux que la nouvelle orientation qui serait prise, le cas échéant, par les événements puisse paver la voie à un processus de solution globale dans le prolongement de celui d’Oslo… Afin de pouvoir enfin sortir du sordide cercle vicieux des guerres stériles et sans horizon.

 

 

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