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Le dossier du rapatriement des prisonniers syriens détenus dans les geôles libanaises a été confié au directeur par intérim de la Sûreté générale, le général Élias Baissari. Un dossier épineux, en raison des complications, aussi bien politiques que juridiques, qui lui sont inhérentes.

La décision prise mardi, lors d’une réunion ministérielle à caractère judiciaire au Sérail, implique ainsi plusieurs interrogations. Quelles seront les modalités de rapatriement, compte tenu des différentes "catégories" de prisonniers syriens? L’État syrien peut-il refuser une telle démarche? Qu’en est-il de ceux qui encourent un risque "vital" en rentrant dans leur pays?

Selon le ministre sortant de la Justice, le nombre de prisonniers syriens au Liban est de 2.500. Il faut cependant établir une distinction entre ceux qui sont en situation irrégulière et ceux qui ont commis des crimes et des délits. Dans un entretien accordé à Ici Beyrouth au terme de la réunion, M. Khoury a précisé que "le cas de tous les détenus Syriens, toutes catégories confondues, fera l’objet de pourparlers avec la Syrie, pour lesquels le général Baissari a été mandaté".

"Au regard du droit pénal, les Syriens en situation irrégulière ont bel et bien commis une infraction. Ils sont toutefois soumis à des dispositions spécifiques, puisqu’ils ne sont pas "arrêtés" au vrai sens du terme, devant être automatiquement expulsés par une décision de la Sûreté générale", explique un juriste interrogé par Ici Beyrouth (IB). La loi de 1962 le prévoit d’ailleurs. Selon le texte, la présence illégale d’un étranger est considérée, conformément au Code pénal libanais, comme un crime passible d’emprisonnement et tout étranger qui y réside de manière illégale doit être rapatrié, par une décision purement administrative de la Sûreté générale. En d’autres termes, ni le corps judiciaire ni le corps politique n’ont à être entendus dans cette affaire.

Il n’en demeure pas moins que "pour des raisons d’ordre administratif et logistique, les personnes arrêtées sont privées de leur liberté le temps d’être reconduites à la frontière et livrées aux autorités syriennes, dans des commissariats ou des prisons ", indique l’avocat susmentionné.

Pour ce qui est de la seconde catégorie (soit les auteurs de crimes et de délits), ceux-là doivent normalement avoir purgé leur peine au Liban, avant d’être rapatriés. Or, "en vertu d’un accord de coopération judiciaire conclu en 1950 entre Beyrouth et Damas, le rapatriement est possible à condition de rendre exécutoire le jugement libanais s’il a été prononcé ou d’assurer les conditions nécessaires pour que la personne en question continue de purger sa peine en Syrie", indique-t-on de même source. À la question de savoir si le droit des victimes serait garanti, un autre juriste répond par l’affirmative, indiquant que "la justice syrienne se chargerait d’assurer le dédommagement des victimes" pour ce qui est des crimes de droit commun.

Tout cela reste bien entendu très théorique, d’autant que le concept de justice n’est pas le même au Liban et en Syrie.

Quid de ceux dont le retour n’est pas sûr? Ces derniers bénéficient de la protection d’une coutume internationale, celle selon laquelle le pays où ils ont commis le crime doit s’abstenir de les rapatrier. Il faudra donc attendre que le détenu syrien purge sa peine au Liban, avant de le relocaliser dans un autre pays, en application du memorandum d’entente du 30 octobre 2003, signé entre l’État libanais et le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

Ce texte dispose que "tout demandeur d’asile soit relocalisé dans un État tiers autre que le Liban dans un délai de six mois, renouvelable, exceptionnellement, une seule fois".

Politique de retour 

La réunion ministérielle est intervenue au lendemain de la visite à Beyrouth d’Olivér Várhelyi, commissaire chargé de la politique de voisinage et de l’élargissement. Ses déclarations à l’issue des entretiens qu’il a eus avec le président de la Chambre, Nabih Berry, le Premier ministre sortant, Najib Mikati, le ministre sortant des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, et le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, montrent qu’il y a un "fléchissement de la communauté européenne concernant le dossier des déplacés syriens". "Il semble que l’affaire prend aujourd’hui un autre tournant et n’est plus liée uniquement au volet politique ", confie-t-on de source politique à IB. "L’élément chypriote a favorisé l’accélération de cette nouvelle prise de position, Nicosie étant très ferme par rapport au flux de déplacés syriens sur son territoire" à partir des côtes libanaises, selon la même source, pour qui "les Européens craignent aussi pour leur sécurité". "Le Liban est devenu une poudrière qui risque d’exploser à tout moment, ce qui se répercutera inéluctablement sur la situation sécuritaire et démographique des pays européens", indique-t-on de même source.

Dans son discours, lundi, M. Várhelyi a affirmé que "le Conseil européen a indiqué très clairement qu’en étroite collaboration avec le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’organisation internationale pour les migrations (OIM), les conditions d’un retour sûr, volontaire et digne des déplacés syriens devront être mises en place en étroite collaboration avec les autorités libanaises afin qu’ils puissent commencer à rentrer en Syrie depuis le Liban ".

Or, cette politique de retour doit être, selon la source susmentionnée, "accompagnée d’une politique de financement, côté syrien". Difficile, lorsque l’on sait l’incapacité ou l’absence de volonté du gouvernement de Damas pour ce faire. "D’où la nécessité d’une intervention européenne à ce niveau", poursuit-on de même source.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le président chypriote, Nikos Christodoulides, ainsi que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, sont attendus à Beyrouth, le 2 mai prochain.

Ils devraient annoncer une initiative visant à débloquer une enveloppe financière plus importante de la part de l’UE pour faire face à la crise des réfugiés au Liban. "Une intervention financière européenne demeure hypothétique à l’heure où la Syrie se trouve sous la coupe des sanctions", commente-t-on cependant de même source.

Le retour des déplacés et migrants syriens, mais aussi le rapatriement des détenus dépendra, somme toute, de plusieurs facteurs: la volonté politique des différentes parties prenantes, y compris la Syrie (qui peut toujours refuser, sous quelque prétexte que ce soit, de recevoir ses ressortissants); l’état d’avancement du lobbying libano-chypriote, la (nouvelle) position de la communauté internationale et enfin les résultats de la conférence de Bruxelles sur le soutien international aux réfugiés syriens et à leurs communautés d’accueil.