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En novembre 1995, les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne et de dix pays du sud de la Méditerranée, réunis à Barcelone, donnaient le coup d’envoi d’un vaste et ambitieux projet géostratégique, ayant une dimension socio-économique vitale: le partenariat euro-méditerranéen. Objectif: créer une zone de stabilité, de prospérité, de coopération et de paix englobant l’ensemble géographique formé par l’UE et dix pays méditerranéens (Liban, Israël, Syrie, Jordanie, Palestine, Égypte, Maroc, Algérie, Tunisie et Turquie). Ce qui sera désigné sous le nom de "Processus de Barcelone" visait donc au départ à stimuler la prospérité et le développement – et donc la stabilité – dans les pays du sud de la Méditerranée dans un but bien précis: éviter l’émergence dans cette région du Sud de foyers de tension chroniques, susceptibles d’avoir, par ricochet, des retombées fâcheuses sur l’UE, notamment par le biais d’une vague d’immigration clandestine.

À en juger par "l’état du monde" tel qu’il se présente aujourd’hui dans cette zone euro-méditerranéenne, et même bien au-delà (à l’instar des États-Unis), nous sommes encore très loin de la vision définie à Barcelone. Des divergences sont rapidement apparues entre les pays de l’UE au sujet de la priorité géostratégique qui devrait être fixée au partenariat. Les pays du sud de l’UE, notamment la France, l’Italie et l’Espagne, désiraient que les projets d’investissements et les efforts de développement soient surtout axés, en priorité, sur les pays méditerranéens, alors que les pays européens du Nord, plus particulièrement l’Allemagne, prônaient plutôt une politique de développement orientée essentiellement vers l’Europe de l’Est, surtout les pays ayant fait leur entrée nouvellement, à l’époque, dans l’UE. Ce différend a quelque peu inhibé une évolution rapide du partenariat de Barcelone. Mais il ne s’agissait là que d’un effet secondaire, les véritables entraves au processus étant apparues au niveau de l’instabilité chronique dans plusieurs pays du sud de la Méditerranée, parallèlement à la politique léthargique pratiquée à cet égard par certains États occidentaux.

Plusieurs voix se sont élevées à maintes reprises pour mettre en garde contre les graves retombées sur l’UE du maintien de foyers de tensions au Moyen-Orient. Nombre d’analystes et d’experts dénonçaient souvent une certaine complaisance occidentale à l’égard de régimes dictatoriaux connus pour être des "exportateurs" de terrorisme et surtout les bailleurs de fonds alimentant généreusement les caisses d’organisations extrémistes, généralement intégristes, dont la fonction est d’entretenir l’instabilité non seulement dans les pays de la région, mais également au cœur même de l’Occident. La population iranienne s’est soulevée audacieusement à plusieurs reprises contre le pouvoir autocratique et sanguinaire des mollahs de Téhéran. Face à cette fronde populaire, certains hauts responsables américains n’ont-ils pas pris soin de souligner à chaque fois que l’objectif de Washington sur ce plan était d’aboutir non pas à un changement de régime à Téhéran, mais uniquement à un "changement de comportement" ("change of behavior")? Le résultat visible – et prévisible – a été que ce régime s’est, bien au contraire, de plus en plus radicalisé, induisant un extrémisme et des tentatives de déstabilisation aux quatre coins du monde, en tenant peu compte de la complaisance occidentale à son égard.

Plus près de nous, nul n’ignore que le régime Assad, passé maître dans la répression sauvage et le recours aux armes chimiques contre son propre peuple, a été sauvé in extremis par l’administration Obama d’une frappe d’envergure, qui aurait pu lui être fatale, en septembre 2013 – après la tragédie de la Ghouta, dans la banlieue de Damas. Et ce serait sans doute une lapalissade de souligner que ce même régime se maintient toujours au pouvoir, contre vents et marées, grâce au soutien à peine voilé… d’Israël!

Le partenariat euro-méditerranéen de Barcelone était censé instaurer un climat de sécurité, de prospérité, de coopération multilatérale et de paix dans la zone du bassin méditerranéen, pour éviter à l’UE des vagues déstabilisatrices d’immigration clandestine. Un peu moins de trente ans plus tard, la complaisance à l’égard des régimes "exportateurs" de terrorisme et d’obstructionnisme aveugle a abouti au résultat contraire. Les menaces du chef du Hezbollah contre Chypre constituent, à titre d’exemple, une déplorable illustration des dangereuses retombées sur le Vieux continent, et l’Occident en général, de la léthargie de certains pouvoirs face aux organisations radicales dont la seule fonction est de déconstruire, de déstabiliser, d’entretenir des aventures guerrières sans horizons et – plus grave encore – de semer au sein même du monde occidental les germes de l’extrémisme. Il suffit d’observer la montée aux extrêmes perceptible dans plusieurs pays européens, dont la France actuellement, pour mesurer la portée des méfaits, par ricochet, de cette politique du "laisser faire-laisser aller" face aux comportements belliqueux et répressifs de régimes sources de toutes les déstabilisations.

Chypre, l’une des portes de l’Europe, est à une demi-heure de vol des foyers de subversion entretenus par le régime des mollahs sur les bords de la Méditerranée. Les menaces proférées contre l’île par le porte-étendard (libano-iranien) du radicalisme théocratique illustrent une amère réalité: le processus prometteur de Barcelone initié en 1995 s’est transformé, près de trois décennies plus tard, en anti partenariat euro-méditerranéen… Seul un sursaut salvateur et rassembleur pourrait renverser la tendance dans ce contexte, en dépit de toutes les turpitudes ambiantes.