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Les assaillants devaient se glisser dans les tunnels et prendre d’assaut la Haute Galilée. Le Hezbollah s’était promis d’envahir Israël, du moins le nord de la Palestine occupée, avec ses troupes de choc, ses forces maritimes et ses brigades "aéroportées". Il aurait fait ainsi un sort aux colons des kibboutzim et dévasté les agglomérations qu’il aurait investies. Las, ce scénario n’est plus à jour. La milice chiite est sur la défensive et ne peut tenter une camisade, ne serait-ce que parce qu’elle ne peut plus compter sur l’élément de surprise.

ReutersAu-delà du Litani et bien en-deçà de Haïfa

L’initiative militaire semble désormais appartenir à l’État hébreu, le Hezb se contentant de riposter sans arriver ou sans chercher à causer d’insoutenables pertes humaines dans les rangs ennemis. Mais, depuis peu, la tension est montée de plusieurs crans, Israël s’étant mis à amasser des troupes à sa frontière nord. Cela faisait de longs mois qu’il égrenait les menaces, la dernière ayant été proférée à Washington par Yoav Gallant, ministre de la Défense. Celui-ci nous avait encore une fois assuré que la machine de guerre de son pays était en mesure de ramener le nôtre à "l’âge de pierre". Il l’avait déclaré tout en soutenant que le cabinet israélien était plutôt enclin à emprunter la voie diplomatique.

Au slogan suranné "au-delà de l’au-delà de Haïfa" de Hassan Nasrallah semble répondre le mot d’ordre "au-delà du Litani" de Bezalel Smotrich. Ce ministre israélien des Finances avait claironné vers la mi-juin: "La guerre doit s’achever par une victoire militaire totale sur le Hezbollah… Nous devons lui adresser un ultimatum public … exigeant le retrait de toutes ses forces (du Hezb) au-delà du fleuve Litani et, pour le cas où il ne s’exécuterait pas, l’Armée de défense israélienne se devrait de lancer une offensive bien à l’intérieur du Liban afin d’assurer la sécurité de nos communautés (frontalières), ainsi qu’une opération terrestre qui aboutirait à la mainmise militaire sur le Liban-Sud"(1).

Le facteur humain

En réalité, et en dépit de la tonitruance des discours, les deux belligérants s’accommoderaient bien d’un cessez-le-feu. Le hic, c’est qu’ils ne peuvent s’accorder sur les termes et conditions d’un arrêt des combats. Et, par ailleurs et surtout, ils craignent de perdre la face et de se laisser déconsidérer aux yeux de leurs partisans et du plus large public. Or à force de faire le matamore et d’avoir la vedette, on se prend à son propre jeu. Ayant fait étalage de sa bravoure et de ses exploits, une partie prenante du conflit se déconsidérerait si d’aventure elle faisait preuve de flexibilité ou s’il lui arrivait de céder sur certains points du litige. La moindre manœuvre de sa part pourrait être interprétée comme un recul ou échec cuisant.

Comment échapper à l’image que l’on se fait de soi? L’armée israélienne se voit encore apte à remporter des victoires comme celle de juin 1967, quand elle a pu défaire, rien qu’en jours, trois armées arabes et occuper de larges territoires égyptiens, syriens et jordaniens. Or, de nos jours, c’est à peine si elle arrive à quadriller Rafah ou à se saisir de Yahya Sinwar. De l’autre côté de la barrière, on voit mal le Hezbollah, jamais défait sur le champ de bataille, comme il lui plaît de nous le rappeler, accepter l’inéluctable et se retirer derrière le Litani. Comment l’expliquerait-il aux familles de ses martyrs? Ce serait une telle perte de prestige! Cela lui infligerait une telle blessure narcissique et seule une Apocalypse Now régionale serait en mesure d’effacer l’affront.

Toute image de soi est surinvestie et surdimensionnée comme toute hubris est suicidaire. Ajoutez à cela l’ego des dirigeants et chefs de guerre et on a les ingrédients indispensables pour tout jouer sur un coup de dés. C’est ainsi que la région serait mise à feu et à sang! Reuters

À quoi s’attendre sinon à la procrastination?

Question de personnes! Mais également question de savoir qui résistera plus longtemps aux pressions et qui fera preuve de plus de détermination. Une guerre de nerfs donc. Et c’est à se demander qui perdra patience en premier lieu. Le Hezbollah sait qu’il ne peut compter sur le front intérieur libanais, où ses ennemis sont légion. Netanyahou, quant à lui, doit dans l’imminence régler le problème des 60.000 déplacés des régions du Nord qui veulent réintégrer leurs foyers(2).

Un commentateur s’est interrogé si la solution idéale ne serait pas enfin que Sinouar accepte les termes du cessez-le-feu proposés. Auquel cas, Nasrallah se saisirait de ce prétexte pour faire montre de flexibilité. Mais serait-ce satisfaisant ou suffisant aux yeux de l’opinion israélienne exaspérée par l’incurie des autorités politiques et l’impuissance des militaires à apporter une solution radicale au conflit qui traîne?

Par ailleurs, Israël doit s’acquitter d’une obligation essentielle tant son image d’invincibilité est ternie: il a la charge de rétablir son pouvoir de dissuasion face à ses ennemis(3). À cet effet, il ne semble pas qu’il y ait d’autre solution que de détruire, et de manière radicale, les capacités stratégiques du Hezb. Cela est d’autant plus tentant que les États-Unis, en dépit de leur réticence quant à l’ouverture d’un troisième front, ont promis une aide militaire immédiate à l’État hébreu(4), pour le cas d’une guerre tous azimuts.

Tôt ou tard, le Liban devra payer le prix de l’aventurisme d’une milice qui l’a pris en otage!

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1-Zvi Bar’el, "An all-out war in Lebanon promises nothing for Israel but digging deeper in the mud", Haaretz, le 14 juin 2024.

2-Zvi Bar’el, "For Nasrallah, a full-scale war with Israel will require forgoing internal legitimacy", Haaretz, le 29 mars 2024.

3- Anshell Pfeffer, "Is Israel about to go to war with Lebanon’s Hezbollah?", Haaretz,  le 24 juin 2024.

4- Amos Harel, "Israel is dangerously close to a three-front war: Gaza, Lebanon and the West Bank" Haaretz, le 24 juin 2024.

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