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Les chiites commémorent dans la nuit du 16 au 17 juillet la Achoura (du mot "achra", qui signifie dix), le souvenir toujours vivant de l’épisode fondateur de leur communauté: l’assassinat à Kerbala (Irak) en octobre de l’an 680 de l’ère chrétienne (Muharram 61, selon le calendrier musulman) de l’imam Hussein, le petit-fils du Prophète, qui fuyait Damas et le calife Yazid, auquel l’opposait un conflit de succession après la mort du Prophète en 632 à Médine (Arabie saoudite).

Pour un chiite, Kerbala, à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Bagdad, résonnera donc pour toujours du martyre de Hussein. Les morts violentes ont marqué la vie de ce dernier: son père, Ali, le gendre du Prophète, fut assassiné, son frère aîné, Hassan, deuxième imam, aussi. L’assassin est le calife omeyyade Mouawiya, fondateur de la dynastie, qui règne de Damas sur un territoire qui s’étend du Golfe aux rivages de l’Afrique du Nord. Hussein, devenu le troisième imam dans l’ordre de succession, vit dans la capitale omeyyade et doit taire son ressentiment contre Mouawiya. Mais lorsque ce dernier meurt en 680 et que son fils, Yazid, lui succède, Hussein se révolte. Pour éviter une condamnation à mort, Hussein fuit Damas avec 72 compagnons. On lui promet qu’à Koufa, au sud de Bagdad, il trouvera des soutiens auprès de la population. Il décide de s’y rendre, en passant par Kerbala, sans soupçonner le piège. C’est en cet endroit que l’armée omeyyade décide d’en finir et de briser la résistance du dernier descendant mâle du Prophète. Le combat est désespérément inégal. Les têtes volent une à une dans le sable. Hussein et ses guerriers sont écrasés.

Les chiites défilent chaque année, le jour de la Achoura, dans ce champ de bataille qu’ils considèrent comme leur cinquième lieu saint, après La Mecque, Médine, Jérusalem et Najaf, centre du pouvoir politique chiite en Irak. La commémoration de la Achoura s’étale sur dix jours. Ces jours de deuil sont marqués par des assises au cours desquelles des conteurs récitent en détail des pages du martyre de Hussein. Dans certains pays, ces récits prennent la forme de reconstitutions théâtrales. Les larmes purificatrices y sont versées abondamment et sans fausse honte. La commémoration culmine le dixième jour, avec des processions donnant lieu à des scènes publiques d’autoflagellation. Les plus fervents se lacèrent le dos et le crâne, avec des fouets ou le plat des sabres, défilant en foule et faisant résonner sourdement leur torse par des frappes de la main (latm). Un deuil de quarante jours commence ensuite, qui se clôt avec le souvenir de l’Arbaïn (40 en arabe), point d’orgue du pèlerinage de Kerbala.

Le divorce entre sunnites et chiites

La tuerie de Kerbala confirma le divorce entre chiites et sunnites. Environ 15 à 20% des musulmans se réclament du chiisme. Sa branche principale  est caractérisée par le culte des douze imams et l’attente du retour du dernier d’entre eux, Al-Mahdi, "occulté" en 874 aux yeux des hommes, mais toujours vivant, qui doit réapparaître à la fin des temps. La révolution islamique en Iran de 1979, à laquelle l’idéologie du Hezbollah est intrinsèquement liée, lui a donné un nouvel élan politique, avec l’avènement d’un nouveau système politique dit "Wilayat el-faqih".

Il s’agit d’un système théocratique développé par l’ayatollah Khomeiny: il confère au religieux la primauté sur le pouvoir politique temporel. Ce système est loin de faire l’unanimité dans le monde chiite. Au Liban, il est écarté par le mouvement Amal, qui considère  l’ayatollah Sistani, en Irak, comme sa suprême référence religieuse.

Endoctrinés

Toutefois, sous l’impulsion de la République islamique et avec des fonds en provenance d’Iran, le Hezbollah a développé son propre réseau scolaire et tente de le répandre au sein de la communauté chiite, se prévalant de la Constitution libanaise de 1926, qui accorde aux communautés le droit d’ouvrir leurs propres écoles.

Ce réseau scolaire est l’institution principale du Hezbollah qui lui permet d’homogénéiser la communauté chiite en endoctrinant les enfants dès le plus tendre âge et en leur laissant peu de place à l’esprit critique. Au sein de ces établissements, la doctrine de la Wilayat el-faqih et le culte du martyre  occupent une place d’honneur,  ce qui fait que l’autorité du mouvement et de sa "résistance" sont sacralisés.

Parallèlement aux écoles, la formation pro-iranienne a créé les scouts Al-Mahdi. Au programme, la question du jihad et le culte du martyre sont bien présents, comme un avant-goût du service militaire et de l’enrôlement dans les rangs de la milice.

Presque quotidiennement, depuis le 8 octobre, date à laquelle le Hezbollah a lancé sa guerre d’appui à Gaza, des membres de la milice chiite sont tués dans la guerre frontalière avec Israël. Leurs proches sont assurés que ces sacrifices ne sont pas faits en vain et leurs funérailles sont entourées d’une grande solennité. Les combattants, jeunes et moins jeunes, sont célébrés comme s’ils avaient achevé l’exploit ultime.

Le secrétaire général de la formation armée a demandé qu’ils soient considérés comme ayant sacrifié leur vie "sur le chemin de Jérusalem", en écho au nom donné par le Hamas à son opération "Déluge d’Al-Aqsa". Aux yeux de la République islamique d’Iran et du Hezbollah,  il y a donc une véritable fixation sur la Grande Mosquée, deuxième lieu saint de l’islam, aujourd’hui sous autorité israélienne.

C’est sa reconquête guerrière, comme devoir religieux,  que magnifie le Hezbollah, à l’occasion de la Achoura. Une reconquête pour laquelle il a déjà  "offert", depuis le 7 octobre, plus de 364 "martyrs" au détriment du Liban.